L’insaisissable "Ahmed Al - Alj Al - Inglizi" ou la biographie impossible (IIème partie) – Par Abdejlil Lahjomri

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« Il m’a paru, de plus, que sollicitant un peu les évènements et les textes, Marc - André - Nolet a grandement exagéré leur contribution,non à la modernité qu’ils avaient essaimée, mais à la mise en œuvre et à la créationd’une charpente administrative de l’Etat marocain. » (A. Lahjomri)

  

Dans les investigations de Abdejlil Lahjomri sur  «L’insaisissable ‘’Ahmed Al - Alj Al - Inglizi ‘’ ou la biographie impossible », le Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume terminait la première partie de ces chroniques en se demandant s’il y aurait « deux Ahmed Al Alj, l’un espagnol, l’autre anglais qui s’appelleraient tous les deux Mansour, qui tous deux furent, renégats et bâtisseurs et qui tous deux auraient servis My Ismaël, My Abdellah, et Sidi Mohamed Ben Abdellah et auraient eu une place enviable auprès de ce dernier ?» Dans cette deuxième partie, il conclut que « c’est fort peu probable qu’il y en ait deux ». Et poursuit son enquête en bifurquant sur ce qu’il préfère appeler ‘’la caste des convertis’’ pour interroger l’histoire et les historiens sur leur place dans la construction et la modernisation de l’Etat marocain. Un rôle qui garde pour une bonne partie ses secrets et ses mystères. Un non-dit de l’Histoire.

 

C’est fort peu probable qu’il y en ait eu deux. Les Al - Eulj, ou Al - Oulouj (au pluriel), il y en a eu pourtant beaucoup et le nom d’Ahmed était souvent utilisé parmi ceux que les convertis choisissaient. Il y avait même un quartier à Essaouira qui portait leur nom. Dans son étude sur ‘’ Les Renégats et leur contribution à la construction de l’Etat marocain‘’ qui inspire l’essentiel de cette deuxième partie, Marc - André - Nolet nous dit : ‘’ Un nom fut ainsi utilisé pour désigner les nouveaux convertis à l’Islam, elche. Les elches étaient des renégats et il est possible de supposer que ce terme est issu d’une généralisation, celle voulant que plusieurs convertis étaient originaires de la plus grande palmeraie d’Europe, Elche. Il est donc vraisemblable que le nom s’est ensuite popularisé [...]’’. Lakhdar Omar, dans son essai ‘’ Mogador, Mémoires d’une ville‘’ nous précise, se référant, lui, à ‘’ L’Encyclopédie de l’Islam‘’ que ‘’le mot Alj vient de Alsh, ou Elch, petite ville du Levante espagnol (Shark al Andalous) à vingt kilomètre au Sud d’Alicante, célèbre pour sa palmeraie qui existe toujours […]’’. Marc - André - Nolet fait remarquer dans son mémoire que ‘’l’historiographie actuelle semble délaisser le rôle joué par ces transfuges au Maghreb […]’’, citant, à juste titre, les rares documents comme ‘’les Sources inédites de l’histoire du Maroc ‘’ de Henri de Castries, et plus récemment l’œuvre de Bartholomé et Lucile Benassar ‘’Les Chrétiens d’Allah’’. Son étude va essayer de combler cette lacune et nous convaincre que, le ‘’groupe social’’ (il utilise aussi les appellations de ‘’classe’’ et de ‘’caste’’) des renégats a joué, des Saadiens au règne de My Ismaël, un rôle déterminant dans l’édification et la modernisation de l’Etat marocain. Les comparant ainsi imprudemment, me semble- t- il, aux janissaires ottomans.  Il m’a paru, de plus, que sollicitant un peu les évènements et les textes, il a grandement exagéré leur contribution, non à la modernité qu’ils avaient essaimée, mais à la mise en œuvre et à la création d’une charpente administrative de l’Etat marocain. En l’absence regrettable d’études et de recherches qui pourraient confirmer ou infirmer  son audacieuse hypothèse , on peut suggérer que le rôle de cette ‘’caste’’  fut en effet  important dans des domaines comme ceux de  la guerre, de l’armement, de la navigation, de l’administration des provinces,  de la construction, de l’ingénierie,  de la maçonnerie, du commerce, de la sécurité, de la diplomatie, de l’interprétariat, de la médecine, voire pour certains d’entre eux de l’éducation. 

 

Difficile dans le cadre de cette chronique d’engager un débat sur cette approche qui n’hésite pas à affirmer, preuves historiques à l’appui, que ‘’la caste’’ des convertis, (je préfère employer ce terme au lieu de renégats, aux relents dépréciatifs), dès leur ascension sous les Saadiens à leur déchéance au cours de la deuxième moitié du XVIII siècle, a assumé ‘’ la base de la modernisation étatique du Maroc’’. ‘’ Il semble, écrit-il, que ‘’ les renégats furent assez nombreux pour que l’Etat ait recours à eux et pour qu’ils furent pendant cette période l’élément moteur dans la modernisation […].’’

 

Aux historiens d’en débattre. Quant à nous qui sommes curieux de savoir qui ils sont et d’en identifier quelques-uns dont nous conterons le récit comme ce mystérieux et célèbre mais insaisissable Ahmed Al - Alj -Al Inglizi, essayons de glaner, dans cette étude qui ouvre une voie nouvelle de l’historiographie marocaine et éléments de biographie qui illustreraient leur rôle méconnu mais déterminant.

 

Son affirmation, que je partage, qui avance que la fin du XVIII siècle verra le début de la déchéance de ce ‘’groupe social’’, nous permet, dans le cadre de notre enquête de suggérer que l’intrigant personnage Ahmed Al-Alj al-inglizi a surement été l’un des derniers convertis, auprès des sultans à jouir de leur confiance des sultans.

Lire aussi : L’insaisissable ‘’Ahmed Al - Alj Al - Inglizi ‘’ ou la biographie impossible (1ère partie)

Marc -André - Nolet, tout en signalant la présence d’étrangers sous les Wattassides, considère que l’essor de la ‘’caste’’ des convertis a commencé précisément avec leur victoire à la Bataille des Trois Rois.

Se référant à De Castries, il avance le nombre de trois mille (3000) combattants du côté de l’armée marocaine. Il conclut sans hésitation que les ‘’Saadiens avaient néanmoins enclenché le processus de modernisation de leur pays, entre autres, par la fondation d’un corps de convertis fidèles au pouvoir central ‘’ et que la ‘’Bataille des Trois Rois’’ avait été ‘’l’évènement marquant qui a propulsé les renégats à l’avant-scène de la politique et de l’administration marocaine.’’

 

On apprend que l’un d’entre eux (portugais) avait bénéficié d’une grande confiance sous le Saadien Abdelmalek pour occuper la fonction de Chambellan. ‘’ L’ambassadeur espagnol Juan de Vargas Mexia, rapporte Marc - André - Nolet, ajoute que le Chambellan en fonction était un renégat affranchi par Abdelmalek. Il se faisait appeler le Caïd, ou général Redouan el - Eulj. De plus il fut décrit ‘’ vice - roi de l’Empire marocain’’ par l’Ambassade espagnole de 1579. Ses accomplissements pour le bénéfice du sultan marocain furent nombreux et il avait parait-il caché la mort d’Abdelmalek jusqu’à la fin de la journée pour ne pas démoraliser les troupes, ce qui fut confirmé par une source arabe anonyme‘’.

 

Il rapporte un intéressant et instructif passage de ‘’Nozhat - el- Hadi, Histoire de la dynastie saadienne au Maroc (1511- 1670) de Mohammed es- Seghir al - Oufrani qui éclaire en grande partie ses propos et justifie son hypothèse : ‘’ Il [Ahmed al-Mansur] choisit parmi les étrangers quelques affranchis qu’il éleva à ses frais et qu’il combla de faveurs. C’est ainsi qu’il fit choix de Moustafa - Bey […] lui donna le commandement spécial des spahis et le chargea en outre de garder la porte du palais impérial. Au nombre de ces affranchis, il faut encore citer : le pacha Mahmoud, chargé des trésors publics, le caïd El - Oloudj, chef de la troupe des renégats, le pacha Djouder le conquérant du Soudan, chef des troupes andalouses […] Omar, le caïd de l’armée du Sous. Tels étaient les principaux renégats que le prince avait à son service, mais au-dessus d’eux s’en trouvaient encore d’autres, comme Bakhtiar et Beghi […] Tous les soldats étrangers turcs et renégats furent divisés en six corps […], spécialement chargés de la cuisine et du transport des vivres, avait commr chef Bakhtiar était un des prisonniers fait à la bataille de Ouadi El -Mekhazin.’’

 

 M. A. Nolet ajoutera : ‘’ ainsi, les renégats étaient très bien vus, non seulement par le Sultan, mais également par la population comme l’indique une autre affirmation d’Al- Oufrani, louangeant les renégats, ‘’si les musulmans étaient comme le poète appelé Eddaim Moumen, aucun désastre ne pourrait atteindre les musulmans‘’. Ce chercheur ajoutera : ‘’ De plus sur les quatre pachas qui régnèrent sous Ahmed al - Mansour au Songhai, tous furent renégats ‘’. Et sous le commandant- converti de l’armée du Soudan Djoudar il y en avait d’autres comme l’illustre cette autre citation d’AL –Oufrani : ‘’ le pacha Djoudar fut mis à la tête de cette expédition. Il avait avec lui une dizaine de généraux, le caïd Mostafa- el- Torki, le caïd Ahmed - el- Harousi - al- Andaloussi […] le caïd Ammar - el - Fetase le renégat, le caïd Ahmed -ben Youssef  le renégat , le caïd Ali-ben- Mostafa le renégat, ce dernier […] fut le premier chef marocain investi du commandement de Kagho [...] Deux lieutenants - généraux commandaient les deux ailes de l’armée, Ba- Hassen- Friro le renégat, l’aile droite, et Qasem - waradououï-el - Andaloussi, l’aile gauche […] Dans les colonnes militaires suivantes, encore là, se trouvaient en poste d’autorité quelques renégats, dont Ahmed ben Youssef el -Euldji, probablement un fils de renégat, le caïd Bou Ikhtiar, le fils d’un prince réfugié au Maroc, […] Mostafa- el -fil, Abdemalek - el - Bortoqali et le pacha Soliman.’’

 

Cependant, si comme pour notre Ahmed al - Alj - Al Inglizi, les noms de hauts responsables, jouissant de la confiance de leurs maitres étaient identifiés ; nous ne disposons que de cela, avec quelques maigres informations sur les actions qu’ils accomplirent, parfois sur leur destin, et surtout sur leur mort pour certains violente. Quant à leur nom de famille d’origine, leur pays, les causes de leur conversion, les raisons de leur ascension, rien.  Avaient-il une famille avant cette conversion, en avaient ils fondé une après dans leur pays d’adoption ? Qu’en est-il de leur descendance, de leurs héritiers. Rien non plus ou si peu. C’est comme si une chape avait été jetée sur cette ‘’caste’’, qui la faisait disparaitre et biffer des récits historiques, empêchait et interdisait toute investigation.

                  

Un peu désenchanté et pressentant une biographie impossible, je continuerai  malgré  tout mon enquête  sur le converti corsaire et bâtisseur Ahmed al - Alj Inglizi, dans l’espoir de réunir le maximum d’informations pour  faire son  portrait et éviter à cet acteur de modernité une seconde mort qui serait sa disparition définitive du cours de l’histoire du Maroc qui fut son pays et qu’il a si fidèlement servi . (A suivre)