Le général de l’armée morte d’Ismael Kadaré - Par Samir Belahsen

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Après « Le Palais des rêves » en 1981, Kadaré est déclaré  ennemi du peuple et interdit de publication en Albanie. Ce n’est qu’en 1990 qu’il a réussi son évasion vers la France.

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Nicolas Sarkozy 2023

“L’Europe cherche, avec raison, à se donner une politique et une monnaie communes, mais elle a surtout besoin d’une âme.”

André Frossard / Le monde de Jean-Paul II

Le premier Juillet, est mort l’écrivain Albanais franco-albanais Ismaël Kadaré né en 1936, un symbole de la lutte contre les totalitarismes. Il restera certainement un des grands noms de la littérature de la fin du XXème siècle et du début du XIXème siècle. 

Pour lui l’écriture était un combat, cet homme se voulait libre dans l’Albanie soviétique d’après-guerre, sous le joug de d’Enver Hodja, il a choisi de résister par la littérature. Rejetant la meute de la « troupe d’élite du réalisme socialiste », telle qu’on l’appelait à l’époque, il rejoignit les maquisards de la liberté.

Si son roman « Le Général de l'armée morte » 1963 qui raconte l’exhumation des soldats de la Seconde Guerre mondiale ne lui avait pas valu d’ennui, « Le Monstre » 1965, et « L’hiver de la Grande solitude »1973 où  il dénonce l’oppression du régime de Tirana lui ont valu l’accusation d'incitation à la rébellion.

Après « Le Palais des rêves » en 1981, Il est déclaré  ennemi du peuple et interdit de publication en Albanie. Ce n’est qu’en 1990 qu’il a réussi son évasion vers la France.

L’histoire

Un général est chargé de déterrer les squelettes des soldats morts sur le sol albanais pour les restituer à leurs familles. 

On est juste après la Seconde Guerre mondiale, le général qui n'a jamais connu la guerre et un aumônier militaire italien sont chargés de rapatrier les corps des soldats tombés en Albanie pour leur donner une digne sépulture. 

Pour lui, rendre les morts à la terre qui les a vus naître, est  une tâche honorable.

Sur le terrain, tout respire l'inhospitalité ; les montagnes, la boue, la terre gelée à retourner... 

Rapidement il découvre qu’exhumer les squelettes c’est exhumer l’histoire…

Il découvre aussi cette haine de ses « anciens » ennemis. Il découvre les affres d’une  guerre aussi vaine que meurtrière.

Ce voyage initiatique fait resurgir les vieilles rancunes, les ressentiments et les horreurs de la guerre... le général parait à la fin du voyage plus mort encore que cette armée de squelettes ensevelis. 

Une veuve de la noblesse supplie le général de lui rapporter les restes de son mari. Le général découvre que le mari a été assassiné par la mère d'une jeune fille qu’il essayait de violer.

Il découvre aussi homologue qui le suit, général, un Allemand, à la recherche des corps des soldats allemands morts durant la Seconde Guerre mondiale, il a la même mission et il se pose les mêmes questions…

Luciano Tovoli  a fait de cette comédie dramatique un film,  qu’il a sorti en 1983.

Violence historique

Pendant la dictature d'Enver Hodja, la littérature albanaise était soumise à la propagande du parti. Kadaré a réussi à créer une œuvre critique tout en évitant la censure, grâce à l'utilisation de symboles et de métaphores.

Dans "Le Général de l'armée morte", le personnage du général italien peut représenter une intrusion étrangère dans la société albanaise. Il exhume les exactions violentes commises par les forces italiennes contre la population locale.

Quelles réflexions sur la condition humaine à travers cette œuvre majeure, "Le Général de l'armée morte" ?

Ismaël Kadaré nous rappelle l’extrême violence historique à l'échelle européenne et albanaise. Il évoque l'angoisse des morts anonymes de la Seconde Guerre mondiale à travers le retour de l'envahisseur fasciste de 1939 venant chercher ses morts. Kadaré aborde ainsi des thèmes universels comme la vendetta, l'hospitalité et le deuil des morts.

Sans donner de leçon de morale, le roman, écrit d'une manière expérimentale et macabre pose des

questions existentielles sur la condition humaine face à la violence et à la mort. 

Kadaré cherche à rendre les sentiments de vide, de perte, d’absurdité et d'anonymat à travers des techniques littéraires subtiles comme les chapitres sans numéros, les listes incomplètes et l'angoisse des identifications.

"Le Général de l'armée morte" nous invite à réfléchir sur l'absurdité de la guerre et la condition tragique de l'homme, en Albanie et ailleurs, thèmes récurrents dans l'œuvre de cet écrivain albanais.

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