Le Paradis du peintre – Par Abdejlil Lahjomri

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Qu’il naisse d’un délire obsédant, d’un rêve coloré, d’une déchéance ou d’une élévation, de l’idéal ou du spleen, l’acte de peindre est le refuge où se confondent dans une harmonie enchanteresse les enfers et les paradis.

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Dans sa galerie Média, la Fondation CDG organise à partir de ce jeudi 16 décembre « une exposition qui porte, nous dit Abdejlil Lahjomri, un titre aussi suggestif que ‘’Le Paradis d’Eden’’ ». Une palette d’artistes peintres marocains y exposent leurs œuvres qui entrainent le Secrétaire perpétuel de l’Académie dans les méandres de la définition de Paradis et ses représentations, finissant par conclure que « pour l’artiste l’acte de peindre est en soi un paradis ».

Une exposition qui porte un titre aussi suggestif que « Le Paradis d’Eden », et qui annonce qu’elle traite aussi du « Paradis Perdu » invite les visiteurs à entreprendre un voyage dans les profondeurs de l’âme humaine que les trois monothéismes nourrissent de mythes immémoriaux.  Un voyage qui revisite l’ambivalence de la condition humaine, écartelée entre une élévation exaltée, vers la beauté céleste, et une déchéance dans la souffrance de la perte. « Paradis » est le nom de cette élévation vers la beauté, les délices et l’enchantement des origines.  « Perdu » est le nom de la chute de l’humanité sur une terre inhospitalière. Désemparée et orpheline d’avoir été exclue, « d’un milieu de jouissance heureuse où tout est donné ».   

Le mythe est connu. Ses représentations sont multiples, plus dans le christianisme, que dans le judaïsme et l’Islam.  Bien que quelque part dans la géographie spatiale ou mentale, il existerait semble-t-il un « BIT ADINI » qui serait à l’origine de la légende de ce qui est appelé communément Jardin d’Eden.  

Que disent, cependant les toiles choisies, et offertes à l’admiration d’un public, intrigué par le titre de « Jardin d’Eden », et par le souvenir malheureux de la chute, par l’emploi de l’expression « Paradis Perdu ».

Une seule toile du peintre Hassan El Gloui a comme titre « Le Paradis ». Elle évoque pourtant un jardin de plantes aux couleurs peu flamboyantes.  La couleur verte est triste, et la couleur marron ternit l’ensemble de la toile.  Un Eden qui ne l’est pas, où l’absence d’êtres vivants accentue l’atmosphère de désolation et de déshérence.  Serait-ce là un paradis ?  Et comme il n’y a pas de paradis sans enfer, la toile du peintre éponyme, qui porte ce nom, donne à voir une couleur rouge qui brûle les rares végétations qui subsistent Toile peuplée d’être vivants, que les flammes assaillent avec la violence de l’apocalypse. 

La morale dans ces deux toiles est que le paradis est irrémédiablement perdu pour l’humanité.  Et de l’avoir quitté, l’homme est condamné à vivre irrémédiablement dans un enfer de vie.

Mohamed Ben Allal, Moulay Ahmed Drissi, Fatima Hassan El Ferouj, Ahmed Louardighi, Boujemaa Lakhdar, Abbès Saladi peignent-ils dans ces toiles essentielles et prenantes « Le Jardin d’Eden », ou le Paradis Perdu ?

Peut-être que la gazelle de Boujemaa Lakhdar, par sa grâce, évoque-t-elle des savanes paradisiaques ? Peut-être que son totem pensant est le signe d’un univers que colore le vert apaisant des jardins de notre enfance ?

Les scènes de la vie quotidienne de Mohamed Ben Allal sont son paradis.  Il nous rappelle que le poète avait dit que « Le paradis est là où je suis ».

L’effervescence et le flamboiement des couleurs de Louardighi, exaltent et enchantent des palais, des jardins.  Elles sont un hymne à la vie.  Et où trouverons-nous le paradis, si ce n’est dans cette vie ? L’œuvre de ce peintre, c’est le paradis perdu que le rythme de la femme à la mandoline, nous fait redécouvrir.

Pour Moulay Ahmed Drissi, c’est tout le contraire. Le labeur fatigue l’homme, sous un soleil dédoublé, incandescent, qui vieillit la nature, la rend chétive, l’appauvrit, l’amaigrit, l’anéantit.

Il y a chez Fatima Hassan Ferouj, le retour à la joie de vivre sur cette terre, et même si les couleurs sont peu chatoyantes, l’inspiration l’est puisque le savant dispense autour de lui une manière d’être dans un monde qui aurait pu être paradis, qui l’est « presque » grâce à la sérénité que répandent les toiles du peintre.

L’ailleurs de Abbès Saladi n’est ni un paradis ni un enfer.  Sa vie fut un enfer.  Ce qu’il garde du mythe du « paradis perdu » est le « jour du jugement ».

Mais pour ce peintre tourmenté, dans l’enceinte de mausolée, le jugement n’est pas prononcé.  L’homme restera prisonnier de cet entre-deux, ni paradis, ni enfer, à jamais enchaîné à ses délires. 

Il y a pourtant une ligne rouge qui est le fil conducteur de cette admirable exposition.  Pour l’artiste l’acte de peindre est en soi un paradis.  Au-delà de la représentation elle-même, que la toile illustre le paradis d’Eden, le jardin enchanté, l’enfer, ou simplement le dur labeur de la vie quotidienne, pour l’artiste le paradis serait en soi l’acte de créer.  Et ce paradis est le vrai jardin d’Eden, parce que jamais perdu, toujours renouvelé.  Qu’il naisse d’un délire obsédant, d’un rêve coloré, d’une déchéance ou d’une élévation, de l’idéal ou du spleen, l’acte de peindre est le refuge où se confondent dans une harmonie enchanteresse les enfers et les paradis.

 

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