Culture
Le zellige beldi de Fès, un art de sueur et d’argile
Élégance et tradition se marient dans ces fontaines murales en mosaïque, offrant une touche d’art et d’histoire aux espaces qu’elles embellissent. 29032024-Fès (Photo MAP)
Par Farouq EL ALAMI (MAP)
Objet de décoration très recherché dans les quatre coins du globe, le zellige s’est érigé au fil des siècles en l’un des symboles les plus raffinés de l’artisanat marocain. Sous ses formes géométriques harmonieuses et ses innombrables couleurs, le zellige marocain captive le regard et intrigue l’esprit.
Benjalik, à l’est de Fès. Une douzaine de maâlam, maîtres artisans, y ont trouvé refuge à l’ombre de l’imposante montagne Zalagh pour pratiquer, à l’abri des regards, leur métier ancestral. Seule une fumée persistante laisse deviner l’existence du complexe industriel El-Gaâda, à quelques encablures d’une carrière d’argile dédié exclusivement à la fabrication du zellige beldi.
L’argile est la matière première indispensable pour la transformation du zellige, un matériau dont l’usage a accompagné la civilisation humaine depuis la nuit des temps.
"Composé de soixante-dix minéraux, l’argile de cette région est unique en son genre. On ne le trouve nulle part ailleurs, et c’est ce qui donne tout son éclat au zellige fassi", confie à la MAP, le maâlem et chef de l’entreprise "More Zellige", Abdellatif Hissouf.
Initié auprès des plus grands maîtres artisans du zellige à l’ancienne médina de Fès, notamment à Sidi Boujida et Aïn Nokbi ès l’âge de ses huit ans, M. Hissouf maîtrise son sujet. Du haut de ses 37 ans d’expérience, il dirige désormais une entreprise de zellige destinée principalement à l’export.
Une visite à ses ateliers à Benjalik, dévoile les secrets du zellige marocain. Après réception de l’argile brut, il est soigneusement placé par un artisan dans des bassines d’eau où il mijote pendant 24 heures au bout desquelles l’argile prend la texture d’une levure. Recouvert d’une housse en plastique, il est laissé au repos pendant une nuit. Par la suite, l’argile fermenté est placé sur une couche de cendre à même le sol dans des moules rectangulaires d’une dizaine de centimètre où il prend sa forme initiale. Cette étape dite de séchage dure d’une journée l’été à trois jours en hiver.
"La préparation du zellige est en tout point semblable à celle du pain. Il faut pétrir l’argile avec de l’eau avant de le laisser fermenter au soleil et de l’enfourner", explique M. Hissouf.
Une fois séchés, les carreaux de terre cuite sont rassemblés délicatement par paire par les mains expertes d’un artisan pour éviter toute cassure. "Un non initié qui tenterait de ramasser les carreaux d’argile ne manquerait pas de les fissurer", prévient maâlem Hissouf.
A l’aide d’un carreau servant de mesure et d’un marteau tranchant, le biscuit est méticuleusement taillé, toujours à la main, pour prendre la forme désirée, celle du "bejmat", un zellige très sollicité pour les espaces extérieurs et les revêtements muraux. Un artisan confirmé peut tailler jusqu’à mille pièces de "bejmat" par jour.
S’ensuit un nouveau bain de soleil de 24 heures et un premier passage au four, avant la délicate étape de la teinture.
A l’aide d’un mélange de sable et de produits naturels, les artisans recourent à leurs talents d’alchimistes pour concocter la couleur devant envelopper le bejmat.
"Le maâlem doit maîtriser les nuances et les mélanges spéciaux de chaque couleur. Bien que le liquide paraisse vert ou jaune à la base, la teinte finale est un secret que seul le feu peut révéler", explique M. Hissouf.
Ce n’est qu’une fois laissé au four pendant plus de trois heures que le bejmat vire vers sa couleur ultime. Celle-ci dépend à la fois des matériaux composant la peinture que de la durée de la cuisson et de l’emplacement du bejmat dans le four.
Une fois cuit et coloré, le bejmat est enfin prêt à être taillé et assemblé dans sa pose finale. Là encore, le savoir-faire du maâlem est impressionnant.
"Il existe des centaines et des centaines de motifs géométriques, chaque maâlem les connaît par cœur et peut les assortir de mémoire", détaille M. Hissouf, qui compare la connaissance de cette mosaïque ésotérique à celle des noms divins.
Pour le zellige beldi destiné à l’export, les prix oscillent de 200 dirhams/m² à 7.000 dirhams/m² pour les couleurs et les motifs les plus complexes. Certaines formes sont prisées pour les revêtements d’intérieur, d’autres pour le carrelage des salles de bain, ou encore pour l’ habillage des fontaines dans la pure tradition mauresque.
Selon M. Hissouf, le zellige beldi ne cesse de croître en popularité en Europe et en Amérique du Nord. Pour le maître artisan, "la fabrication du zellige est une composante séculaire faisant partie à part entière du patrimoine culturel marocain et un savoir à préserver à tout prix et à promouvoir auprès des générations montantes".