Culture
Lecture embarrassée d’une œuvre embarrassante de Zineb Mekouar
En général la publicité qui précède ce genre de publications et vous force à la lecture, est suspecte. Mais on les lit quand même. On peut être déçu ou ne pas l’être. Ce qui compte, toutefois, c’est la lecture et si elle est plaisante par la beauté du style, la richesse de la description et la profondeur de la réflexion ….
Par Mohamed Tantaoui
J’ai lu avec un intérêt aigre un récit embarrassant. ‘’ La poule et son cumin’’ de Zineb Mekouar. Qu’il ait été salué par Tahar Benjelloun, cela n’a en aucun moment chassé cet embarras ni permis ni aidé à une lecture apaisée.
Qu’on y trouve les ingrédients qui font les récits à succès : un peu de religion, un peu de sexe, beaucoup d’exotisme, une critique acerbe d’une société supposée décadente, cela ne m’a en aucun cas dérangé. Plutôt amusé. Nous, lecteurs ordinaires, nous avons l’habitude de cette littérature qui nous prend comme objet et ne nous lâche que quand elle a pressuré nos défauts, nos travers, nos contradictions et nos incertitudes.
En général la publicité qui précède ce genre de publications et vous force à la lecture, est suspecte. Mais on les lit quand même. On peut être déçu ou ne pas l’être. Ce qui compte, toutefois, c’est la lecture et si elle est plaisante par la beauté du style, la richesse de la description et la profondeur de la réflexion, peu importe qu’elle ait donné de nous une représentation désobligeante.
Là, ce qui fut embarrassant, c’est le statut de l’écrivain. Qui écrit et pour qui il écrit ? Ce n’est même pas une affaire d’identité. Ou plutôt si, c’est une affaire d’identité politico-culturelle. Sur quoi écrit-il, pourquoi écrit-il ?
Il y a longtemps, dans un échange assez polémique sur Chaine Inter animé par Mhammed Bhiri, Naïm Kamal avait dit à Tahar Benjelloun, en substance et de mémoire, que nous Marocains d’ici, on attend des Marocains auteurs de là-bas de nous faire rêver, de vendre de nous l’image qui nous aiderait à sortir de nos problèmes dont ils font leur beurre d’écrivains. En termes d’aujourd’hui : des écrits qui attireront sur nous autre chose que la dérision et la compassion, les IDE par exemple.
Si le statut de cette écrivaine (oh ! le vilain mot) est la militante politique engagée dans une perception spécifique de la société, son récit a une identité politique qui en fait une auteure recevable en terre autochtone. Mais racontant l’ici avec les prismes de là-bas en se subordonnant à des standards qui la leur rendent acceptable et éditable, son récit épouse alors une autre identité et prend des connotations politiques, étrangères à la première.
De ce statut indéfini, indécis, incertain, nait l’embarras d’un lecteur ordinaire peu habitué à la face cachée des jeux de l’édition.
Le Goncourt 2021, le sénégalais Mohamed Mbougar Sarr a bien exploré, même s’il n’en a pas tiré toutes les conséquences, l’ambiguïté de cette situation. Dans La plus secrète mémoire des hommes, Mbougar Sarr écrit que « nous [avions] longuement commenté les ambigüités parfois confortables, souvent humiliantes, de notre situation d’écrivains africains (ou d’origine africaine) dans le champ littéraire français […] les auteurs africains des générations précédentes : nous les tenions pour responsables du mal qui nous frappait : le sentiment d’être incapables ou de ne pas avoir le droit (c’était pareil) de dire d’où nous venions ; puis nous les accusions de s’être laissé enfermer dans le regard des autres, regard-guêpier […] regard-guet-apens qui exigeait d’eux, à la fois, qu’ils fussent authentiques – c’est-à-dire différents – et pourtant similaires – c’est-à-dire compréhensibles (autrement dit commercialisables dans l’environnement occidental où ils évoluaient […] »
Mbougar Sarr n’est pas inconscient de ce que ce jugement sévère a d’injuste, mais n’est-ce pas dans les mêmes ambiguïtés, le talent en moins, que nous installe inconfortablement Zineb Mekouar ?
Le résultat est que le lecteur a entre les mains un récit âpre qui le décrit et fait un constat de la société à laquelle il appartient avec beaucoup de fierté, âprement. Mais il ne sait pas qui en réalité écrit et veut qu’on l’éclaire. Ce n’est même pas une affaire de double nationalité. Si double nationalité il y a, ce choix serait respectable et ceux qui le font ne doivent déranger nullement ceux qui ne le font pas. C’est d’un autre choix qu’il s’agit : celui d’être écrivain et d’en assumer pleinement l’identité. Du choix qui a été fait est né l’embarras du lecteur : C’est la militante marocaine qui parle avec le regard de l’autre, s’exprimant dans une langue étrangère, pour un public étranger, concourant pour une reconnaissance étrangère. Là, réside parfois l’ambiguïté d’une littérature diasporique en mal d’elle-même. Il en est ainsi.
Le style est ordinaire, insipide, l’intrigue aussi. Les personnages n’ont aucune profondeur, les situations banales et la critique sociale commune, fréquente, convenue ; là où le style aurait du être florissant, flamboyant, l’intrigue et les situations et les personnages épiques, la critique sociale innovante et étonnante. On n’aurait pas été surpris par exemple par la répétition inutile à quelque pages l’une de l’autre, de l’évocation de la senteur qui accompagne le grand père, on ne se serait pas demandé qui est le ‘’on ‘’ de la page 159 , qui essuie les larmes des yeux qui s’embuent, et on aurait accepté dans un immense éclat de rire le titre ‘’La poule et son cumin’’ , parce que dès l’apparition du gynécologue étranger le lecteur a compris que c’était de lui qu’il s’agissait. Ce type de titre n’est pas nouveau dans la littérature de chez nous en langue française qui arabise la langue française. Abdellatif Laabi l’avait initié avec ‘’ Le fond de la jarre’’.
Le lecteur attend avec impatience le prochain récit de Zineb Mekouar qui serait celui de la militante marocaine pourfendant les travers, les défauts, les contradictions et les incertitudes de la société étrangère à laquelle elle semble appartenir.
Ce n’est qu’en ce moment-là qu’il accepterait, apaisé, la chute de la conclusion et tout le reste n’est que littérature.