Point de vue : L’appel des mots ou la francophonie des idoles - Par Anass Benaddi

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C’est au XVIIe siècle, annonciateur des Lumières à venir, que la France a brillé par son rayonnement intellectuel. Le “Grand Siècle”, marqué par des figures comme Descartes, Pascal, Racine ou Corneille, a établi les bases d’un modèle universel

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Par Anass Benaddi

Il existe un espace immatériel, un terrain d’entente où les frontières se dissolvent, où les nations ne s’affrontent pas, mais se rejoignent. Cet espace, c’est celui des lettres, des idées et de la culture. Un monde à l’apparence utopique mais bien réel, où les langues se délient, où l’on parle d’humanité commune. Au sein de l’espace francophone, la littérature et la culture deviennent ces vecteurs puissants capables de transcender les clivages et les incompréhensions, de rapprocher les peuples. 

La France, souvent vue comme une puissance impériale par son histoire militaire et coloniale, n’a jamais véritablement dominé par ses armes. Ce ne sont ni les TGV, ni les sous-marins, ni les forces militaires qui ont exporté le “miracle français”. La grandeur de la France repose sur ses idées. C’est au XVIIe siècle, annonciateur des Lumières à venir, que la France a brillé par son rayonnement intellectuel. Le “Grand Siècle”, marqué par des figures comme Descartes, Pascal, Racine ou Corneille, a établi les bases d’un modèle universel. Il a produit des idées si puissantes qu’elles ont forgé un imaginaire commun qui subsiste encore aujourd’hui dans l’espace francophone. Le français s’est imposé comme la langue de la diplomatie, de la littérature et de la pensée critique, non par la force, mais par l’attraction irrésistible de ses concepts. N’est-ce pas là l’essence même de la francophonie ? Une communauté de pays qui, malgré leurs histoires différentes, se retrouvent autour de cette langue, de ce répertoire commun d’idées et d’idéaux. 

De la France aux îles des Caraïbes, du Maghreb à l’Afrique subsaharienne, de la Suisse au Québec en passant par la Belgique, le français est devenu le socle d’une certaine vision du monde, où la diversité culturelle et linguistique n’est pas un obstacle, mais une force. C’est dans cette langue que les auteurs expriment non seulement les particularités de leurs propres patries, mais aussi les dilemmes universels qui lient toutes les humanités. La littérature francophone, plus qu’un corpus homogène, est un reflet coloré des aspirations, des angoisses, et des espoirs partagés de peuples éparpillés sur plusieurs continents. Si Chateaubriand, avec son regard mélancolique sur la nature et la civilisation, capturait la nostalgie d’un monde en déclin, Victor Hugo, emboitant le pas à son idole se dressait déjà comme la voix d’une conscience universelle, appelant les nations à se soulever contre l’injustice. 

Ces écrivains, chacun dans son registre, ont contribué à cimenter les bases de ce que l’on appelle aujourd’hui la francophonie. Des portes étendards de la liberté intellectuelle guidant les peuples, car leur influence ne s’arrête pas aux frontières de la France. Prenons Proust, dont l’œuvre, en apparence réservée à une élite bourgeoise de la Belle Époque, touche aujourd’hui des lecteurs à Dakar, Abidjan, Phnom Penh, ou encore Port-au-Prince. Pourquoi ? Parce que sa quête du temps perdu n’est pas simplement une exploration personnelle, mais un questionnement universel sur la mémoire, l’identité et la fugacité de l’existence. Proust parle à l’humanité dans ce qu’elle a de plus intime, dépassant ainsi les clivages sociaux ou géographiques. Et que dire de l’influence de la poésie de la Renaissance, incarnée par Ronsard et Du Bellay, qui déjà au XVIe siècle cherchaient à réconcilier l’héritage classique de l’Antiquité avec la modernité naissante de leur temps. Leurs vers continuent d’inspirer les poètes francophones modernes, qui, tout en étant profondément enracinés dans leurs terres d’origine, dialoguent avec un patrimoine littéraire universel. Cette interconnexion, cet échange perpétuel entre les auteurs d’hier et d’aujourd’hui, reflète l’essence même de la francophonie : une mosaïque d’identités, toutes différentes, mais liées par une langue commune.

 Toutefois, il est crucial de reconnaître que l’histoire de la francophonie n’est pas sans ses zones d’ombre. Pour de nombreux pays africains ou caribéens, le français s’est imposé par la force, par la colonisation, et l’on pourrait s’interroger sur la légitimité de cette langue en tant que véhicule d’unité. Pourtant, c’est bien dans cette même langue que des auteurs comme Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire ou encore Maryse Condé ont su subvertir le discours dominant pour y inscrire leur propre voix, leur propre histoire. Senghor, poète président du Sénégal, a magnifié la langue française tout en réaffirmant son appartenance africaine, prouvant que le français pouvait être utilisé pour revendiquer une identité, non pour la nier. Dans ce contexte, l’œuvre d’Amin Maalouf est emblématique. Le secrétaire perpétuel de l’Académie Française, écrivain franco-libanais, incarne cette figure du pont entre les mondes. Son œuvre questionne les identités plurielles, les trajectoires humaines marquées par l’exil et l’errance, le dialogue entre l’Orient et l’Occident. À travers ses récits, Maalouf nous montre que la francophonie n’est pas une simple extension de la France, mais un espace de réconciliation, un lieu où les cultures se rencontrent, se confrontent parfois, mais toujours avec le souci de mieux se comprendre. 

En effet, si la France a longtemps brillé par ses inventions techniques, par ses prouesses militaires ou ses conquêtes industrielles, c’est bien par ses idées qu’elle a marqué durablement le monde. Le “miracle français” ne roule pas à grande vitesse et ne se mesure pas à coups de contrats d’armement, mais se contemple à la lumière du 18e, dans cette formidable explosion d’intellects qui a vu Rousseau, Voltaire et Montesquieu poser les bases de la démocratie moderne. La France a été un modèle, non parce qu’elle imposait son hégémonie par la force, mais parce qu’elle produisait des concepts universels, capables d’inspirer les révolutions -et les évolutions- à travers le monde. 

C’est ce modèle, celui des idées, qui continue de nourrir l’imaginaire collectif des nations francophones. Aujourd’hui encore, alors que les nations semblent se replier sur elles-mêmes, que les discours nationalistes se durcissent, la littérature francophone est un rappel que la diversité est une richesse. Les écrivains francophones, de Paris à Dakar, de Rabat à Port-au-Prince, nous rappellent que l’art de l’écriture dépasse les clivages nationaux. Il rassemble, il unit, il fait dialoguer. Dans un monde où les crispations identitaires sont de plus en plus fortes, la francophonie apparaît comme un antidote à l’enfermement, une fenêtre ouverte sur l’autre. 

En définitive, la francophonie est plus qu’un espace linguistique. Elle est un univers de dialogue, d’échanges et de partage. Elle est ce pont invisible, bâti sur des siècles de littérature et de pensée, qui unit des peuples aux histoires et aux cultures diverses. La littérature francophone, loin d’être figée, est vivante, évolutive, ouverte à tous les vents du monde. À travers elle, les peuples francophones se reconnaissent, se confrontent parfois, mais toujours dans l’espoir de construire un avenir commun. Un avenir, cela se veut, cela se façonne

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