Culture
Un livre d’Abdellah Cherif Ouazzani : L’islam en otage - Par Mustapha SEHIMI
Dans ce livre, le voilà, Abdellah Cherif Ouazzani, qui sort en patrouille : il met tout sur la table - à l’occasion, il la renverse… Un tempérament, oui. Des convictions aussi.
Dans la cohorte des islamologues, Abdellah Cherif Ouazzani occupe sans doute une place à part. Rien à voir avec celle des islamologues, officiels ou autoproclamés, ici et là, cathodiques pour certains d’entre eux. Il est le produit d’un capital social - un père érudit de la Quaraouine et une ascendance de lettrés ; d’un cursus académique au plus haut niveau universitaire - un doctorat ; et d’un goût de l’effort et de la recherche qui en fait un passeur, plutôt un messager, sans cesse en marche dans le long chemin des traverses du religieux et de la société.
Dans ce livre, le voilà qui sort en patrouille : il met tout sur la table - à l’occasion, il la renverse… Un tempérament, oui. Des convictions aussi. Hassan Aourid qui a préfacé cet ouvrage - et qui s’est investi depuis plus d’une décennie dans l’appréhension du champ religieux - le dit bien : « Moulay Abdellah souffre de l’usage qu’on fait de l’islam, par une minorité agissante et de l’image qu’on veut lui coller dans d’autres cénacles ». L’islam ? Ce n’est ni la religion prise en otage par ceux qui l’instrumentalisent sous diverses formes ni de ceux qui nourrissent le radicalisme et ses multiples facettes. L’islam donc ? Il est aux antipodes de toutes ces transgressions : il est message de paix, d’amour, de justice – un humanisme universel pour tout dire. Comme le dit le Coran : « Si ton Dieu avait voulu, Il aurait fait de vous une seule nation, mais les gens resteront différents, et c’est pour ça qu’Il les a créées » (Sourate Houd-2/118).
Déconstruire le discours des radicaux
Deux parties articulent cet essai. La première a trait à l’extrémisme religieux. Et, d’abord, le radicalisme ; il a toujours existé, religieux, politique ou ethnique ; il est corrélé au terrorisme suivant de multiples variantes - un lien qui tient à des intérêts politiques et économiques. L’auteur déconstruit le discours des radicaux qui s’en tiennent toujours à « des chimères ou utopies » : le retour aux sources ou la recherche de la pureté des « pieux ancêtres » (Salaf salih) ; la mythologie du califat ou la recherche de l’union ; la dignité ou le recouvrement du respect et la légitimité ; enfin, la délivrance celle-ci se fonde sur le mythe du « groupe sauvé » qui est central chez les extrémistes religieux – son expression la plus accentuée se retrouve chez tous ceux qui relèvent de l’obédience wahhabite.
En complément, bien des traumatismes ont durablement impacté les groupes radicaux : colonialisme conflit israélo-palestinien depuis le milieu du siècle dernier : un imaginaire aussi plus que millénaire sans cesse ravivé dans l’époque contemporaine avec une théorie du complot visant l’islam. Il faut y ajouter encore la stigmatisation qui frappe les musulmans en particulier quand ils sont une minorité dans des pays mais aussi dans leurs pays musulmans (droits de l’homme, statut de la femme,…). Et puis, cette notion clef du Jihad, justification d’une violence qui n’en finit pas ces dernières décennies. Abdellah Cherif Ouazani explique que dans le Coran – quarante et une âyat y sont consacrées ; qu’il signifie l’effort de tout musulman « pour purifier son cœur et lutter contre l’ignorance et les mauvais penchants » -en somme être le meilleur possible.
Une bonne guidance spirituelle
Ce qui renvoie à une autre notion : celle du takfir - l’excommunication d’un croyant considéré comme un mécréant. Ce concept est, on le sait, largement instrumentalisé par les extrémistes religieux ; il frappe tous ceux qui « sont différents, dans la pensée, l’interprétation et même dans leur aspect vestimentaire ». Or, sur la base des fondements de la foi musulmane, seul le polythéisme est excommuniant – une âya du Coran le précise : « Certes Allah ne pardonne pas qu’on Lui donne quelqu’un associé, à part cela, il pardonne à qui Il veut » (Sourate Annissa – 04/48). De même, pour ce qui du concept « Al Walaa wa Al Baraa » (loyauté et innocence), le même processus de dévoiement ne peut être évacué : tant s’en faut. Il est érigé comme une condition de l’«éligibilité à la communauté musulmane » ; il s’ensuit ce décret : « Ceux qui ne l’intègrent pas dans leur foi et ne l’appliquent pas, sont des mécréants ».
C’est qu’en effet les grands principes coraniques instaurent un autre type de rapport avec les non-musulmans, de relations toutes d’équité et de bienfaisance (Ô les croyants ! Soyez stricts (dans vos devoirs) envers Allah et (soyez) des témoins équitables. Et que la haine pour un peuple ne vous incite pas à être injuste. Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la piété. Et craignez Allah. Car Allah est certes Parfaitement Connaisseur de ce que vous faites ». (Sourate Al Maida – 05/08).
Dans la seconde partie, est étudié le radicalisme anti-islam ou antireligieux. Il s’agit d’appréhender ceux qui « tentent d’annihiler l’islam et le vider de sa substance, et de faire la lumière sur leurs méthodes et stratégies ». L’auteur passe en revue de nombreuses problématiques nourrissant avec une boite à outils des débats tronqués et même dévoyés d’une certaine littérature : laïcité et islam, démocratie, droits de l’homme, place de la femme, libertés, diversité,…
L’islam sollicité ici par ce radicalisme tournant à l’islamophobie en Occident n’a rien avoir avec la Religion Révélée. Celle-ci est un message éternel d’unicité divine. D’amour. Et D’entraide. De paix aussi – le socle des valeurs universelles.
Ce livre est stimulant et utile ; il était nécessaire ; il permet de recadrer de manière didactique des questions de fond au centre des convulsions des sociétés musulmanes, notamment au Maghreb et dans le monde arabe. Il va au-devant d’une demande culturelle et politique qui a tant besoin d’une bonne guidance spirituelle…