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An 2024: Face aux défis, la Chine réinvente sa trajectoire économique - Par Adil Jouhari
Pour la première fois en Chine, la stimulation de la consommation est devenue la priorité économique principale, devançant l’innovation technologique qui occupait cette position en 2024.
Par Adil Jouhari (Bureau de MAP à Pékin)
Beijing - L’année qui s’achève n’a pas été de tout repos pour la Chine. La deuxième puissance économique mondiale s’efforce de tracer de nouvelles voies de croissance à l’ère post-Covid-19, dans un environnement international marqué par une incertitude persistante et des tensions géopolitiques croissantes.
Début 2024, les prévisions des analystes laissaient entrevoir un net rebond de l’économie du géant asiatique, près de deux ans après la levée des strictes mesures sanitaires mises en place durant la crise pandémique.
Pourtant, la machine de cette "Usine du monde" n’a pas retrouvé sa cadence habituelle, entravée par le marasme du secteur immobilier, l’affaiblissement de la demande intérieure et les politiques de découplage adoptées par certains pays à son égard. Ces facteurs pèsent d’autant plus que la Chine reste un maillon incontournable des chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales.
Face à ces défis, Beijing s’est fixée un objectif de croissance de 5% du produit intérieur brut (PIB) pour 2024, après avoir atteint 5,1% en 2023.
Dans son dernier rapport sur les Perspectives de l’économie mondiale publié en octobre, le Fonds monétaire international (FMI) avait initialement tablé sur une croissance de la Chine de l’ordre de 5,2% pour cette année, avant de revoir ses prévisions à la baisse, à 4,8%.
Dans ce document, l’institution de Bretton Woods a mis en garde contre le ralentissement persistant dans le secteur immobilier et la faible confiance des consommateurs, tout en notant que "la croissance ne devrait fléchir que légèrement pour s’établir à 4,8% en 2024".
Les signes de ce ralentissement étaient déjà visibles au troisième trimestre de cette année. Le taux de croissance s’est effectivement contracté à 4,6%, contre 4,7% au trimestre précédent, selon les données publiées par le Bureau des statistiques de la Chine.
Consciente de ces difficultés, Beijing a redoublé d’efforts pour juguler la crise du secteur immobilier, longtemps moteur essentiel de la croissance économique, à travers une série de mesures destinées à lui redonner souffle et relancer sa dynamique.
Ainsi, les autorités chinoises ont annoncé, en octobre dernier, l’élargissement de l’échelle de crédit des projets sur liste blanche (un mécanisme permettant aux municipalités de recommander aux banques de financer en priorité certains projets immobiliers) à 4.000 milliards de yuans (562 milliards de dollars américains).
La banque centrale avait également introduit, en septembre, des mesures incluant la réduction des taux hypothécaires existants pour l’achat de résidences principales et secondaires.
Dans la foulée, quatre grandes banques chinoises, dont la Bank of China et la China Construction Bank, ont emboîté le pas en annonçant des baisses de taux d’intérêt sur les prêts immobiliers existants, pouvant atteindre jusqu’à 30 points de base en dessous du taux préférentiel.
Les mesures engagées ne se limitent pas au secteur immobilier, mais incluent également des réformes financières, notamment l’annonce d’un passage à une politique monétaire "plus flexible" dès 2025, marquant ainsi un tournant significatif par rapport à l’approche "prudente" actuellement en vigueur.
Lors de la Conférence centrale sur le travail économique, tenue récemment en décembre, les responsables chinois ont souligné la nécessité de stimuler la consommation en 2025 pour pallier la faiblesse de la demande.
Pour la première fois, la stimulation de la consommation est devenue la priorité économique principale, devançant l’innovation technologique qui occupait cette position en 2024.
Tout en affichant leur confiance dans la trajectoire économique du pays, les responsables ont toutefois reconnu que l’économie fait face à "de nombreuses difficultés et défis ".
Ces défis ne se limitent pas à des facteurs internes, mais sont également liés à un environnement international complexe et aux tensions commerciales persistantes avec les États-Unis et l’Union européenne.
Fin octobre, la Chine s’est opposée à la décision de la Commission européenne d’imposer des surtaxes douanières sur les voitures électriques fabriquées sur son territoire, estimant que cette mesure comporte "de nombreux aspects déraisonnables" et constitue un acte protectionniste.
Le dernier épisode de la rivalité commerciale sino-américaine a été marqué par l’annonce de Washington de nouvelles restrictions ciblant la capacité de Beijing à produire des semi-conducteurs de pointe, utilisés dans des secteurs stratégiques tels que l’intelligence artificielle.
Ces mesures ont suscité une forte opposition de la part de la Chine, qui a dénoncé une "utilisation abusive" des réglementations par les États-Unis, affirmant qu’elles "entravent gravement les échanges économiques et commerciaux normaux entre les pays" et représentent "une menace sérieuse pour la stabilité des chaînes industrielles et d’approvisionnement mondiales".
Plusieurs experts s’attendent à ce que cette confrontation se poursuive l’année prochaine, notamment avec l’arrivée de la nouvelle administration Trump.
Dans ce contexte, Beijing a exprimé, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Wang Yi, l’espoir que la future équipe dirigeante à Washington saura réorienter les relations sino-américaines "sur la bonne voie".
Ces propos rejoignent ceux du président Xi Jinping, qui a appelé à éviter l’escalade entre la Chine et les États-Unis, mettant en garde contre une éventuelle guerre commerciale ou technologique entre les deux superpuissances.