International
Cinq choses à savoir sur les législatives en Tunisie
Sept millions de Tunisiens élisent le 6 octobre leurs députés. Cinq choses à savoir sur ce scrutin crucial qui devrait redessiner le paysage politique du pays.
Quand ?
Deuxième scrutin législatif depuis l'adoption d'une nouvelle Constitution en 2014, troisième depuis la révolution de 2011 qui a chassé Zine El-Abidine Ben Ali du pouvoir, ce vote se déroule en un seul tour le 6 octobre.
Il intervient trois semaines après le premier tour de la présidentielle qui a débouché sur un duel surprise: le magnat des médias Nabil Karoui, emprisonné dans le cadre d'une enquête pour blanchiment et fraude fiscale, face à Kais Saied, universitaire ayant rassemblé un électorat hétéroclite, allant de la gauche aux plus conservateurs.
Les résultats préliminaires des législatives sont attendus le 9.
Qui se présente ?
Plus de 1.500 listes, comprenant plus de 15.000 candidats, se disputent les 217 sièges de l'Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Au moins un tiers des listes en lice sont indépendantes, ce qui brouille un paysage politique déjà éclaté en une multitude de partis peu différenciés sur le fond.
Principale formation au Parlement, le parti d'inspiration islamiste Ennahdha, en perte de vitesse, joue gros. Son chef Rached Ghannouchi, à qui l'on prête l'ambition de présider l'Assemblée, est candidat pour la première fois.
Victorieux en 2014, le parti Nidaa Tounes, mouvement hétéroclite rassemblé sur une plateforme anti-islamiste avant de s'allier à Ennahdha, a depuis volé en éclats.
Plusieurs partis ont été créés ces derniers mois par d'ex-membres de Nidaa Tounes, dont Tahya Tounes lancé par le Premier ministre Youssef Chahed, candidat malheureux à la présidentielle, ou Qalb Tounes, créé par Nabil Karoui.
D'autres formations présentent des visages nouveaux, comme le mouvement Aïch Tounsi, démarré sous forme de mécénat culturel financé par une entrepreneuse, Olfa Terras, candidate à Bizerte (nord), dont l'époux Guillaume Rambourg, ex-cadre de la finance, a appuyé la campagne d'Emmanuel Macron.
Qui a une chance d'être élu ?
Contrairement à 2014, lorsque Ennahdha et Nidaa Tounes, les deux partis dominants, s'étaient partagé le pouvoir, l'issue de ces législatives est incertaine.
La publication des sondages est interdite. Mais selon des études officieuses, les listes indépendantes pourraient arriver en tête, devant le parti de M. Karoui et Ennahdha, suivis de mouvements comme Aïch Tounsi ou encore Karama, mené par l'avocat islamiste populiste Seifeddine Makhlouf.
Le Parti destourien libre, porté par l'avocate anti-islamiste Abir Moussi, pourrait faire un meilleur score que les 4% de sa chef de file à la présidentielle.
Quelle conséquence sur la présidentielle ?
La présidentielle prévue en novembre a été avancée après le décès fin juillet du président Béji Caïd Essebsi, ce qui a placé les législatives entre les deux tours et les a reléguées à l'arrière-plan.
Un score important de Qalb Tounes aux législatives pourrait être un atout pour Nabil Karoui au second tour de la présidentielle.
De son côté, Kais Saied, arrivé en tête à la présidentielle, se dit opposé au système partisan et n'a donné aucune consigne de vote pour les législatives.
Que se passe-t-il ensuite ?
Le parti arrivé en tête du scutin aura deux mois pour constituer un gouvernement qui sera soumis à un vote de l'ARP: il devra y recueillir une majorité de 109 voix.
Vu la fragmentation des partis, le vainqueur devra probablement composer avec plusieurs autres blocs. Or "certains d'entre-eux ont fait campagne les uns contre les autres", souligne Lamine Benghazi de l'observatoire du Parlement Al Bawsala.
Si le parti vainqueur échoue, le président peut proposer un Premier ministre, qui disposera à son tour de deux mois pour mener à bien la même tâche.
Aïch Tounsi, un anti-parti en lice aux législatives en Tunisie
Des punching-balls pour "tabasser" la corruption, des clowns mettant un "carton jaune" au système: sur les marchés tunisiens, un groupe fait campagne pour les législatives en se présentant comme "des indépendants antisystème", dans le but de convaincre des électeurs exaspérés par la classe politique.
Dans un quartier populaire de Tunis, des militants de Aïch Tounsi ("Vivre à la Tunisienne", NDLR) arborent des T-shirts jaunes "N'ayez pas peur, nous ne sommes pas un parti" pour distribuer des dépliants résumant leur programme.
Ce jeune mouvement issu de la société civile, qui a fait du mécénat sportif et culturel avant de se lancer en politique, espère se faire une place de choix au Parlement au terme des législatives de dimanche. La publication des sondages est interdite, mais des études circulant en privé le placent parmi les 5 ou 6 principaux blocs parlementaires.
"Nous sommes différents des partis politiques classiques, nous renoncerons à l'immunité et à tous les privilèges parlementaires", dit à l'AFP la tête de liste pour la circonscription tunisoise de l'Ariana, l'avocat et militant des droits humains Ghazi Mrabet.
Face à un épicier sceptique, il martèle: "Nous sommes des nouveaux, des personnes qui n'ont participé à aucun gouvernement, il n'y a aucun représentant de partis politiques parmi nous".
Peu convaincu, le commerçant trentenaire rétorque qu'il "aurait aimé" que Aïch Tounsi continue de travailler à défendre les droits de Tunisiens en tant que mouvement associatif, plutôt que de participer aux élections et devenir "comme les autres".
La démarche est toutefois dans l'air du temps: lors du premier tour de la présidentielle le 15 septembre, les représentants des partis classiques ont été balayés au profit de deux candidats ayant fait campagne contre le système.
Nombre d'observateurs s'attendent à ce que cette dynamique se poursuive, ce qui pourrait bénéficier aux législatives à des listes indépendantes ou des partis parvenant à incarner le renouveau.
Pour M. Mrabet, "les Tunisiens ont besoin d'un nouveau souffle, de nouvelles têtes".
"Depuis environ un an, Aïch Tounsi est monté au créneau pour dire que les partis politiques ont échoué, que les politiciens ont volé et violé la Tunisie par un système qui se base sur la corruption, le clientélisme et le copinage", ajoute-t-il.
"Renouveau"
Aïch Tounsi a été fondé en avril 2018 par Olfa Terras, une entrepreneuse connue pour le mécénat effectué via la fondation Rambourg, lancée avec son mari et qui a financé film, tournois sportifs, ou lieux culturels en Tunisie.
Olfa Terras est l'épouse d'un ex cadre français de la finance, Guillaume Rambourg, dont le nom est cité dans des médias français comme ayant été l'un des soutiens financiers du candidat et futur président Emmanuel Macron.
Dans la lignée de la Fondation Rambourg, Aïch Tounsi a organisé une campagne pour promouvoir la citoyenneté, et des projections des matches de l'équipe nationale dans des zones défavorisées lors du Mondial-2018 de football.
Pour élaborer sa "feuille de route", le mouvement dit s'être appuyé sur une "consultation nationale" de 415.000 Tunisiens contactés par téléphone.
Il promet de lutter contre la corruption, mais aussi de garantir l'égalité des chances, et d'améliorer les conditions socio-économiques des Tunisiens.
"Les Tunisiens veulent de nouveaux visages, un renouveau, et Aïch Tounsi a pu attirer l'attention après un travail intensif sur le terrain et un contact direct avec les gens, surtout auprès de la classe moyenne", affirme à l'AFP le politologue Slaheddine Jourchi.
En outre, "il y a des moyens financiers importants qui ont permis à ce mouvement d'organiser des évènements culturels ayant drainé beaucoup de jeunes, et attiré l'attention des médias", poursuit-il.
Aïch Tounsi n'est pas un cas isolé dans la Tunisie de 2019, et d'autres mouvements ont sillonné le pays en se présentant comme une alternative aux partis, à commencer par Qalb Tounes, le mouvement de l'homme d'affaires Nabil Karoui, soupçonné de blanchiment d'argent et qui s'est qualifié pour le second tour de la présidentielle depuis sa cellule de prison.
Pour M. Jourchi, ces mouvements "ont profité du vide politique créé par la classe au pouvoir" pour "convaincre nombreux de Tunisiens".