Dans l'Inde de Modi, les musulmans ''n'ont plus rien à perdre''

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D'abord ce furent des lynchages. Ensuite un registre de citoyens controversé. Puis le feu vert à la construction d'un temple hindou sur les décombres d'une mosquée. En tête des manifestations qui font rage ces derniers jours en Inde, les musulmans indiens s'inquiètent de leur sort sous la gouverne des nationalistes hindous.

Bien qu'elle ne concerne pas directement les Indiens de confession musulmane -14% de la population, soit environ 200 millions de personnes sur 1,3 milliard-, la nouvelle loi sur la citoyenneté passée par le gouvernement de Narendra Modi a cristallisé les peurs et la colère de cette communauté. Et déclenché l'un des plus vastes mouvements de contestation de ces dernières années dans le pays.

"C'est clair comme de l'eau de roche. Ils veulent construire une nation hindoue sur le modèle d'Israël", estime Zubair Azmi, un avocat de Bombay. "J'ai l'impression que ce pays va entrer en éruption." 

"Je connais des hindous laïcs qui se battent à nos côtés (...) mais leur nombre diminue car d'autres hindous croient la propagande du BJP contre l'islam", ajoute ce musulman de 46 ans, en référence au Bharatiya Janata Party (BJP) du chef de gouvernement.

Depuis l'arrivée au pouvoir de Narendra Modi en 2014, la société indienne connaît la propagation et la banalisation d'un discours ethno-religieux reposant sur une idéologie de la suprématie hindoue, dans laquelle ses détracteurs voient un danger pour la diversité indienne.

La goutte de trop ? 

Dans ce contexte, la loi sur la citoyenneté, qui facilite la naturalisation de réfugiés à condition qu'ils ne soient pas musulmans, semble avoir été la goutte qui a fait déborder le vase.

Des villes et rues aux noms musulmans ont été rebaptisées ces dernières années pour leur donner une appellation plus "hindoue". Dans le même temps, des milices hindoues autoproclamées ont lynché plusieurs dizaines de personnes au nom de la défense de la vache sacrée, principalement des musulmans et des dalits (ex-"intouchables").

En août, New Delhi a révoqué de force le statut d'autonomie du Cachemire, seule région à majorité musulmane d'Inde.

En novembre, la Cour suprême a autorisé la construction d'un grand temple hindou à Ayodhya, sur l'emplacement d'une mosquée démolie en 1992 par des zélotes hindous. Cette destruction avait entraîné l'une des pires vagues de violences de l'histoire de l'Inde indépendante.

"Au coup d'après ils vont s'en prendre à toute l'Inde", a déclaré à une télévision indienne Ayesha Renna, une femme musulmane devenue une icône des manifestations après avoir protégé l'un de ses camarades étudiants des coups de policiers ce week-end à Delhi.

Un registre controversé des citoyens - généralement désigné par son sigle "NRC" - suscite particulièrement l'inquiétude des musulmans.

Âgé de 50 ans, Habib-ur-Rehman vient ainsi de passer quatre ans détenu dans un camp pour "étrangers" dans l'État d'Assam (nord-est) à cause du NRC. Ce dispositif a été mis en place au nom de la lutte contre l'immigration illégale dans cette région aux heurts intercommunautaires fréquents.

"Cinq générations de ma famille ont habité dans ce village et maintenant on me dit que je suis un infiltré car je suis musulman", se désole ce père de quatre enfants, récemment relâché et qui craint d'être expulsé d'Inde.

Ce registre, finalisé plus tôt cette année, demandait à tous les habitants d'Assam de prouver la présence de leur famille de longue date dans la région. Ceux incapables de fournir les documents nécessaires sont alors considérés comme des étrangers - même s'ils n'appartiennent à aucun autre pays.

Se cacher des autorités 

"J'ai voté dans de nombreuses élections et j'ai respecté les lois indiennes toute ma vie", dit à l'AFP Habib-ur-Rehman. "Ils comptent nous bannir de notre terre natale." 

Le registre a laissé 1,9 million de personnes hors de sa liste finale, en grande partie des musulmans. Les exclus du NRC "seront apatrides et non-existants" et "ne peuvent faire des affaires, avoir un emploi, suivre un cursus d'enseignement ou être propriétaires", explique le chercheur Abdul Kalam Azad.

"Ceux qui ne peuvent prouver leur citoyenneté indienne finiront soit en centre de détention ou se cacheront des autorités toute leur vie", ajoute-t-il.

Le gouvernement de Narendra Modi souhaite désormais à terme étendre le dispositif à tout le pays. "Les gens d'Assam étaient prêt pour le NRC et pourtant 1,9 million de personnes sont restées sur la touche. Je ne peux qu'imaginer le sort des musulmans indiens dans d'autres parties du pays", avance Abdul Kalam Azad.

D'après Ambreen Agha, professeure à la O.P. Jindal Global University à Sonipat, l'opposition à la loi contre la citoyenneté est appelée à s'intensifier.

"Il y a eu des résistances par le passé, mais ce qui se passe aujourd'hui dans les rues est sans précédent dans l'histoire de l'Inde moderne", analyste-t-elle.

En Inde, les musulmans "n'ont plus rien à perdre", affirme-t-elle.