Espagne : Fleurs et lamentations sur la tombe d'un dictateur

5437685854_d630fceaff_b-

451
Partager :

Dans la basilique où est enterré Franco, la nouvelle du feu vert de la Cour suprême à son exhumation est tombée à la sortie de la messe. "J'espère qu'ils vont arranger ça", soupire le sacristain qui y est farouchement opposé.

Comme chaque jour, quelques dizaines de fidèles sont venus prier là, au creux des montagnes boisées à une cinquantaine de kilomètres de Madrid.

Et comme chaque jour depuis l'enterrement de Franco il y a 44 ans, sa tombe - située juste derrière l'autel - est ornée de fleurs "fraîches", précise un gardien.

Une heure avant de connaître la décision de la Cour, le sacristain, frère Julio Iglesias, souhaitait encore à haute voix "qu'ils laissent les morts en paix". 

Mais bientôt, la messe était dite et la décision des magistrats connue. La plus haute instance judiciaire rejetait "dans sa totalité" le recours des descendants de Franco, résolus à empêcher le transfert de sa dépouille dans un lieu plus discret.

"C'est une église consacrée, ils ne peuvent pas entrer ici comme des éléphants dans un jeu de quilles, en cassant tout", a réagi auprès de l'AFP le sacristain de la basilique depuis 1981, en rappelant que la Cour devait encore traiter trois autres recours contre l'exhumation voulue par le gouvernement socialiste, dont celui présenté par sa communauté bénédictine gérant le lieu. 

- Adieux à Franco 

"Cette décision est une honte", réagit plus vivement un électeur de droite de 56 ans, Mariano Zafra, "venu exprès faire (ses) adieux à Franco au cas où ils l'emporteraient".

Le dictateur avait lui-même imaginé et fait construire ce monument - notamment par des milliers de prisonniers poltiques républicains - et l'immense croix de 150 mètres de haut qui le domine.

Il y a 60 ans, lors de l'inauguration du "Valle de los caidos", il magnifiait comme "une croisade de libération" la guerre civile meurtrière menée de 1936 à 1939 pour renverser la République espagnole. "L'anti-Espagne a été vaincue et défaite mais elle n'est pas morte", lançait-il.

L'endroit est cependant présenté comme un lieu de "réconciliation de l'Espagne" par les moines, qui disent prier pour tous les morts de la Guerre civile, car Franco y fit transférer secrètement les restes de 33.000 morts des deux camps. 

Les visiteurs peinent à découvrir leurs emplacements, indiqué par la simple inscription "tombés pour Dieu et pour l'Espagne 1936-1939". Une guide précise qu'ils sont répartis "derrière les huit chapelles latérales", inaccessibles, "derrière des murs"...

Jose Antonio Primo de Rivera - fondateur du parti fascisant la Phalange, exécuté en 1936 par des républicains - est lui enterré dans un "lieu privilégié", près de l'autel, selon le voeu même de Franco. 

- Vue sur l'immense croix 

A l'Hôtellerie monastique de la Sainte-Croix, située dans le complexe du Valle de los caidos, des Espagnols "conservateurs" mais "pas catholiques", Javier Gebrié et Aurea Buenosvinos, ont dormi dans une chambre avec vue sur la croix géante.

Surtout fréquentée le week-end, l'hôtel compte 120 chambres monacales, où une bible attend le visiteur.

Ce couple fait partie des nouveaux visiteurs du Valle de los Caidos, où près de 379.000 personnes sont venues l'an dernier, 33% de plus qu'en 2017. 

Informaticien de 48 ans, Javier rejette l'exhumation de Franco comme une manoeuvre "électoraliste" des socialistes. 

S'il admet que "bien sûr, Franco fut un dictateur", il soutient que les films actuels "mentent" sur l'histoire, comme si la République avait été "idyllique" et que "seul le camp nationaliste avait tué". 

Mercedes Abril, une Espagnole de 86 ans, déteste ces lieux alors même qu'ils contiennent les restes de son père. Chef de gare d'un village d'Aragon et militant socialiste, il fut fusillé en 1936 et jeté dans une fosse commune. Elle n'apprit que des décennies plus tard que ses ossements y avaient été transférés.

"Sortir Franco de là, c'est logique: il n'a pas à y être, lui qui n'est pas mort pendant la Guerre civile, bien qu'il soit un criminel de guerre", assène la vieille dame jointe au téléphone à Valladolid. "Mais moi ce qui m'intéresse, c'est qu'on sorte mon père de cet endroit, qui n'est pas du tout un lieu de réconciliation".