International
Et si les Palestiniens se disaient Israéliens !
Il y a eu beaucoup de caquetage autour de la position marocaine sur le ''deal du siècle'' qui réduit le rêve de l’Etat palestinien à une poignée d’enclaves sans espace vital ni possible autonomie décisionnelle. Alimenté par la sortie, pas très heureuse, du ministre des Affaires étrangères, Nasser Bourita, au Parlement, « on ne va pas être plus Palestinien que les Palestiniens ». Néanmoins, la diplomatie marocaine a assuré le service minimum dans une conjoncture complexe et compliquée.
C’est l’ancien rédacteur en chef d’Attajdid, Bilal Tallidi qui a le mieux exprimé cette complexité(1). La position embrassant les inconciliables, du moins en apparence, a fait preuve d’une grande dose de prudence dans le positionnement par rapport à ce deal. Bilal Tallidi concède, le contexte étant ce qu’il est, qu’une diplomatie pragmatique et rationnelle ne pouvait mieux produire, et tant pis si par la suite il est rattrapé dans son analyse par ses propres considérations idéologiques et engagements politiques. L’essentiel est que les Palestiniens, ceux que Mahmoud Abbas compte dans ses rangs ont bien saisi la subtile navigation contrainte de Rabat dans les méandres de ce conflit. A l’issue de l’entretien que le président de l’autorité palestinienne a accordé au ministre des A E marocain, Saeb Erakat, secrétaire général de Comité Exécutif de l’OLP ne s’est pas trompé lui dans sa lecture et n’en a retenu dans son tweet que l’essentiel : Le Royaume du Maroc est fermement aux côtés du peuple palestinien.
Pour ne rien changer, et alors que les Marocains se préparaient à sacrifier une fois de plus (ou de trop) leur grasse-matinée dominicale au rituel des manifestations de soutien indéfectible et de refus catégorique, des médias ont commencé à fuiter l’histoire d’un deal qui en cacherait un autre : le soutien du Maroc au « troc du siècle » contre la reconnaissance américaine de la souveraineté marocaine sur le Sahara. Directement ou par ricochet, pareille rumeur est de celles qui font le bonheur du pouvoir algérien qui a la fâcheuse tendance à vouloir amalgamer la récupération du Sahara avec l’occupation israélienne des territoires palestiniens.
Fort heureusement derrière ce tohubohu se dessinait un débat autrement plus porteur sur les alternatives à l’impuissance du monde arabe et l’impasse dans lequel se trouve la question palestinienne. Le Quid qui avait dans ses archives un texte d’Ahmed Herzenni, écrit en 2006 et publié dans Un Maroc décanté, le reproduit sous le titre : L’Etat Palestinien comme alternative au « deal du siècle» (2). Partant du constat que « toutes les solutions à la question palestinienne- et juive en même temps- basées sur l’idée de partage territorial se sont effondrées », Ahmed Herzenni en conclut que « les palestiniens doivent reconnaître définitivement et pleinement le fait accompli de la présence juive en Palestine.» De leur côté « les Juifs de l’Etat d’Israël doivent « se convaincre que malgré leur supériorité militaire et les soutiens internationaux […] ils ne pourront jamais écraser définitivement la résistance palestinienne, arabe et islamique. » Celui qui est aussi ambassadeur itinérant du Maroc depuis 2016 en arrive ainsi à substituer à « l’approche territoriale […] une approche intercommunautaire qui se fonde sur les principes de l’unité de territoire, de la reconnaissance des droits de chaque communauté religieuse, de la démocratie et de l’intégration régionale » devant aboutir à l’apparition d’un Etat Uni de Palestine.
Une idée aussi vieille que le conflit
La même semaine, Jeune Afrique publiait le point de vue de l’écrivain et psychanalyste d’origine tunisienne Gérard [Simon] Haddad qui, constatant « la solitude radicale et désespérante » des Palestiniens, aboutit, en d’autres termes, à la même conclusion : « un Etat binational, laïc et démocratique […] de type confédéral, sur le modèle helvétique [qui] pourrait être baptisé République de Canaan, avec Jérusalem comme capitale »(3). Il faut préciser que l’idée d’un Etat binational n’est pas récente et a jalonné l’histoire du conflit israélo-palestinien. Elle est très présente chez le parti communiste palestinien comme chez les fractions de l’OLP à la gauche du Fatah à l’image du FPLP de Georges Habach.
Un penseur de la stature de l’américano-palestinien Edward Saïd, qui a beaucoup réfléchi au sujet pose le même problème, mais différemment. Pour lui « la question, […], n’est pas de savoir comment trouver les moyens de maintenir [arabes et juifs palestiniens] séparés, mais de voir s’il est possible pour eux de vivre ensemble et aussi paisiblement que possible. » S’il était encore de ce monde, il aurait pu ajouter : ce vivre ensemble est-il encore envisageable avec les Israéliens d’aujourd’hui ? Pour Gérard Haddad ils ne sont guère que « quelques israéliens » à y croire. C’est que généreuse, l’idée d’un Etat binational se heurte à une sorte de malformation congénitale de la création d’Israël. Dès ses balbutiements dans la déclaration de Balfour en 1917, elle est conçue, et perpétuée par la suite, comme un « foyer national pour les juifs ».
Si la nationalité israélienne est un fait pour les polices des frontières, dans la réalité elle se dissout dans la confession juive et ce n’est pas par hasard qu’Israël se définit en permanence comme l’Etat hébreux. Dans ses lois fondamentales il est expressément défini comme l’Etat-nation du peuple juif. De sa naissance à son trépas, l’Israélien est coulé dans une « identité immaculée » qui aurait mis au ban de la communauté internationale tout autre Etat. Le « deal du siècle » lui-même s’inscrit dans cette optique et déjà jette les fondements d’une politique qui nettoieraient l’Etat hébreu de « ses » Israéliens arabes. La proposition d’échanges de territoires entre Israël et l’improbable Palestine qui mettraient des dizaines de milliers d’Arabes israéliens sous son autorité leur faisant perdre de nombreux droits n’est que le prélude, il faut faire confiance aux gouvernements israéliens, de cette « purification ».
Sans préjuger d’éventuelles évolutions à moyen et longs termes de la conjoncture actuelle, le contexte présent ne fait ressortir l’Etat binational que comme une utopie pour bonnes volontés. Dans les faits, laisser tomber ce qui leur est reconnu comme un droit, même partiel et chimérique, pour un Etat Uni de Palestine ou pour une république de Canaan, reviendrait à échanger la lueur d’une lanterne à huile contre une vessie incomestible. N’est-ce pas là une autre façon de faire perdurer cet infini feuilleton de concessions, au nom du fait accompli et de sa violence ? Concessions que, du côté de Tel Aviv, un seul journal israélien, Ha’aretz, admet : « Deux clichés israéliens ont la peau dure, écrit-il : “Les Palestiniens n’ont jamais manqué une occasion de rater une occasion” et “les Palestiniens n’ont jamais reçu de meilleure proposition”. Ces slogans sont faux. Après tout, les Palestiniens ont signé les accords d’Oslo et d’autres accords ultérieurs. » Sans rien obtenir que la poursuite des bombardements, de la colonisation et de l’enclavement.
Avant Oslo et ce qui en a découlé, ou peut-être dans un futur plus ou moins lointain, quand la configuration mondiale aura changé, l’approche de l’Etat binational aurait été/serait concevable. Pour autant, il n’en constitue pas moins dans l’immédiat, une piste susceptible de mettre à mal la politique expansionniste et annexionniste d’Israël : en allant encore plus loin dans la revendication d’un Etat binational. Les Palestiniens qui, en dehors de quelques pétards mouillés du Hamas ne faisant même pas mal à l’air qu’ils brassent, ont abandonné la lutte de libération et renoncé dans leur globalité à la violence, seraient sans doute mieux inspirés de réclamer tout simplement et sans fioriture l’appartenance à Israël qui cherche à se défaire de ses arabes : « Nous ne sommes pas juifs, mais nous voulons être israéliens ! » Il n’y a certainement pas mieux pour placer l’Etat hébreux en face de ses paradoxes et faire ressortir, dans le cas de l’acceptation par Israël comme dans celui de son refus, la composante ségrégationniste de la vision et des pratiques israéliennes. Mais probablement que même dans cette situation, l’Occident, comme celui qui veut tuer son chien, trouvera encore quelque rage aux Palestiniens.
1 - « on ne pouvait attendre de la position diplomatique marocaine qu’elle dépasse le plafond de ce qu’elle a exprimé. Le langage qu’a choisi le communiqué du ministère des A E offre une image des contraintes de la position arabe, ou [plus exactement] l’image de l’extrême faiblesse dont souffre l’équation arabe dans sa globalité. La position a tout embrassé : la considération pour l’initiative de l’Administration de Donald Trump. Une grande dose de prudence dans le positionnement par rapport à ce deal, conditionnant la position marocaine à l’examen minutieux de ses détails. L’énonciation de quelques principes devant encadrer les négociations entre les parties (solution à deux Etats et le dialogue comme meilleure voie pour y arriver). La réaffirmation de la sensibilité de la question d’Al Qods. La nécessite de satisfaire aux droits des Palestiniens. Et [enfin] la réaffirmation de l’importance de la dimension économique en relation avec la dimension politique et sa centralité. »
2 - L’ETAT UNI DE PALESTINE COMME ALTERNATIVE À ''L’ACCORD DU SIÈCLE''
3 - Jeune Afrique du 2 au 8 février