Gabon: le général Oligui prête serment lundi, menace les entrepreneurs, l'opposition veut imposer son candidat

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Des soldats gabonais portant le général Brice Oligui Nguema (C), chef de la garde présidentielle du président déchu Ali Bongo Ondimba, le 30 août 2023, selon des images diffusées par la télévision d'État. (Photo Gabon 24 / AFP)

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C’est consommé ! La presse française n’hésite plus à qualifier de nouvel homme fort du Gabon, le général Brice Oligui Nguema, qui sera intronisé lundi président d'un pouvoir de "transition" à la durée encore indéterminée mais l'opposition exhorte les putschistes à reconnaître plutôt la "victoire" de son candidat à la présidentielle.

Le général Oligui , à la tête des militaires qui ont renversé mercredi le président Ali Bongo Ondimba à peine proclamé réélu, a promis la "mise en place progressive des institutions de la transition" et le respect de tous les "engagements" du Gabon, "extérieurs et intérieurs".

Pour des entreprises responsables

Le général Brice Oligui Nguema a toutefois menacé les entrepreneurs impliqués dans la corruption, endémique dans ce pays, et exigé d'eux "patriotisme" et "engagement" pour le "développement du pays".

Des audits récents ont montré que "les sociétés ont surfacturé et les services reviendront sur ces enquêtes afin que cette surfacturation revienne à l’Etat", a-t-il déclaré d'un ton ferme et le regard noir devant plus de 200 chefs d'entreprises gabonais "convoqués" jeudi à la présidence de la République, dans un discours retransmis intégralement vendredi sur les chaines de télévision d'Etat.

"Il est difficile de percevoir, au stade actuel, votre engagement et votre patriotisme s’agissant du développement attendu (du pays) par nos compatriotes", a tonné le général Oligui ; "Je vous tiens un langage de vérité, qui doit permettre à chacun d’entre vous de se remettre véritablement en cause", a-t-il lancé, ajoutant: "C'est une  situation qui, pour moi, ne saurait perdurer, et je ne le tolérerai pas".

"Je le dis avec force: stoppez ces manœuvres", "je vous encourage à changer de paradigme et à faire en sorte que, face au pouvoir que j’incarne désormais, j’aie en face de moi des entreprises responsables, pas des entreprises qui se créent au gré des intérêts et des situations du moment, avec comme plan la surfacturation que nous connaissons tous et l'enrichissement comme cela a été constaté", a-t-il ajouté.

Mercredi, des officiers de la Garde républicaine (GR), garde prétorienne de la famille Bongo au pouvoir depuis 55 ans, proclamaient "la fin du régime", moins d'une heure après l'annonce de la réélection du chef de l'Etat à la présidentielle de samedi qu'ils estimaient truquée.

Placé en résidence surveillée par les militaires, Ali Bongo, 64 ans, avait été élu en 2009 à la mort de son père Omar Bongo Ondimba, qui dirigeait sans partage depuis plus de 41 ans ce pays très riche de son pétrole et pilier de la très controversée "Françafrique" par laquelle Paris a perpétué sa main mise sur ses anciennes colonies et à la source du ressentiment antifrançais actuel.

"Respect des engagements" 

Les mutins ont maintenu le couvre-feu décrété samedi par le gouvernement déchu mais, jeudi, la vie avait repris son cours normal à Libreville, hormis d'interminables files d'attente devant les boulangeries, à en croire des journalistes de l'AFP.

Et dans le quartier huppé de Sablière, les deux voies d'accès à la résidence des Bongo étaient barrées par deux véhicules blindés de la GR et parcourues par ses "bérets verts" lourdement armés, le visage souvent couvert d'un masque noir.

Les Gabonais vivent au rythme des communiqués des putschistes lus sur les antennes des deux chaînes de télévision - Gabon 24 et Gabon 1ère - les seuls canaux de communication du nouveau pouvoir.

Jeudi, ils ont annoncé que le général Oligui prêtera serment lundi 4 septembre devant la Cour constitutionnelle, dont ils ont annoncé le "rétablissement temporaire".

Le nouvel homme fort a aussi demandé à "tous les responsables des services de l'Etat" d'assurer "la continuité du fonctionnement de tous les services publics".

Et il a tenu "à rassurer l'ensemble des bailleurs de fonds (...) et les créanciers de l'Etat que toutes les dispositions seront prises afin de garantir le respect des engagements" du Gabon "aussi bien sur le plan extérieur qu'intérieur".

La "Patrie reconnaissante" 

A l'annonce de leur putsch, les militaires avaient fustigé des élections truquées mais surtout "une gouvernance irresponsable et imprévisible".

L'opposition est sortie jeudi de son silence, pour demander aux putschistes de reconnaître la "victoire" de leur candidat, Albert Ondo Ossa, à la présidentielle.

Après avoir remercié vivement, au nom de la "Patrie reconnaissante", l'armée de s'être "dressée contre un coup d'Etat électoral", le porte-parole de la plateforme d'opposition Mike Jocktane l'a invitée à reprendre la compilation des résultats qui "verra la victoire de M. Ondo Ossa dans les urnes officialisée".

Ce dernier, interrogé par TV5 Monde, a qualifié les événements en cours de "révolution de palais", pointant du doigt la sœur d'Ali Bongo, Pascaline Bongo, comme étant potentiellement à la manœuvre du coup d'Etat pour maintenir en place "le système Bongo".

"Deux sentiments" 

" Fidèle à sa doctrine sur les changements de pouvoir anticonstitutionnels, l'Union africaine a suspendu jeudi le Gabon de ses rangs. Pour sa part, le chef de la diplomatie de l'UE Josep Borrell, fidèle au double langage européen, a souligné que le putsch militaire faisait suite à des élections "pleines d'irrégularités".

Ali Bongo, principal héritier de l'immense fortune d'Omar, propriétaire de nombreuses résidences de luxe notamment en Grande-Bretagne et en France, pour le bonheur de ces deux pays qui en ont largement profité, a été jusqu'alors épargné, en tant que chef d'Etat, par la procédure judiciaire dite des "biens mal acquis" en France, dans laquelle neuf autres enfants du "patriarche" décédé en 2009 sont inculpés.

Dans un article intitulé La dynastie Bango, une histoire française, le journal français Le Monde que, ‘’l’argent [qui coulait] à flots dans les caisses de l’Etat qu’Omar Bongo [gérait] comme un patrimoine privé’’ servait ‘’pour appâter les responsables politiques [français] établis et de jeunes ministres français », se souvient un ancien diplomate. Le président gabonais sait comment s’acheter des fidélités. Une partie de l’argent du pétrole atterrit ainsi dans les caisses de partis politiques français. « Il arrosait un peu tout le monde », confie un ancien responsable français.’’, précise le quotidien.

Pour l'heure, les putschistes semblent également lui faire grâce de ces accusations. Ils qualifient Ali Bongo de "Gabonais normal," "mis à la retraite". Mais ils ont arrêté, notamment pour "détournements massifs de deniers publics" et "falsification de la signature" du président, son fils Noureddin Bongo Valentin et six autres membres dits de la "jeune garde" au sein de la présidence. (Quid avec AFP)