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L'AMÉRIQUE DE TRUMP - Par Mustapha SEHIMI
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Le président américain Donald Trump dans la salle de presse Brady de la Maison Blanche, le 30 janvier 2025 à Washington, DC. (Photo Oliver Contreras / AFP)
Politiquement, aux États-Unis, ce constat au cours des dernières années : celui de l'émergence de deux lignes de pensée distinctes. La première ? Celle des néoconservateurs présumés liés à l'État profond et au capital financier de Wall Street. Ce courant de pensée, défenseur de l'économie virtuelle, a pour pilier la bourse américaine.
La seconde ? Elle a été personnifiée par la figure de l'ancien président Trump, réélu en novembre dernier. Il a des liens avec l'économie réelle et au complexe industriel américain. Il s'oppose à la délocalisation industrielle massive; il propose la relance de l'économie avec le rapatriement du potentiel industriel américain. Au dehors, il est en faveur d'un accord global avec la Russie et la Chine délimitant leurs intérêts respectifs dans des macrorégions spécifiques du monde.
Populisme et nationalisme
Le président Trump n'a pas cessé de mettre en cause ce qu'il a appelé 1'"État profond" aux États-Unis. Il fait référence à l'existence d'un appareil ou à un réseau de bureaucrates, de fonctionnaires et d'influences permanentes opérant au-delà du contrôle démocratique et des changements dans les administrations présidentielles. Cette idée paraît suggérer qu'il y aurait en fait deux âmes au sein de l'État américain : 1'une représentée par le traditionalisme institutionnel et l'interventionnisme mondial associés à des personnalités telles que le précédent président, Joe Biden; et l'autre, par une orientation plus rationaliste, critique et méfiante à l'égard des institutions établies et proche de la figure de Donald Trump. Cette âme est appréhendée comme étant populiste et nationaliste. Elle se décline autour de plusieurs points: critique de l'establishment et du "système" considéré comme un obstacle au changement; le nationalisme et 1'Amérique d'abord avec le slogan " America First" se traduisant par une politique étrangère isolationniste; le populisme et l'antiélitisme aussi exploités par Trump dans un langage et un style particuliers et mettant en exergue les besoins du " vrai peuple américain". De ce point de vue, l'État profond n'est pas l'ossature de la démocratie, mais autre chose : un réseau à combattre pour rendre le pouvoir aux citoyens...
Il y aurait beaucoup à dire sur le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Ainsi l'utilisation massive de Twitter et des médias sociaux (visibilité instantanée, contact direct avec la base, simplification du message tels que "America First" et " Make America Great Again"); les attaques médiatiques et le concept de "fake news" ( diabolisation du journalisme traditionnel, polarisation de l'opinion publique); le style provocateur et "politiquement incorrect" (critiques et attaques personnelles, ridicule du "politiquement correct", récit d'une guerre culturelle avec ses partisans, véritables défenseurs de l'identité américaine); l'attention des médias et l'effet mégaphone; et des messages autour de slogans puissants et faciles à mémoriser - "Drainez le marais" contre la "corruption politique à Washington ; "Construisez le mur" à la frontière avec le Mexique pour arrêter l'immigration illégale. Au total, Trump a fait un usage intensif de la rhétorique populiste. Il s'est ainsi présenté comme le champion du "peuple" contre les élites. Il vise constamment à créer un sentiment d'appartenance et même d'identification entre lui et ses partisans, volontiers dépeints comme une majorité opprimée de gens ordinaires. Le succès de Trump ? Il a été possible grâce à sa capacité à catalyser et à amplifier trois tendances déjà présentes dans le pays: le populisme, le nationalisme et le mécontentement à l'endroit des élites politiques.
Sentiments mêlés
Le concept "America First" a conduit à des actions dans trois domaines: les réductions d'impôt et des politiques fiscales réformées, la déréglementation avec l'élimination des contraintes pesant sur les entreprises, et la guerre commerciale avec la Chine, l'Europe, le Canada et d'autres - avec le levier du relèvement unilatéral des droits de douane.
Cela dit, le précédent mandat de Trump (2017-2021) et le second entamé depuis un mois ont profondément transformé la perception des États-Unis à l'étranger, générant des sentiments mêlés d'admiration, de perplexité et de désillusion. Les dirigeants et les mouvements politiques de droite et nationalistes, voient en lui, hier et aujourd'hui, un modèle de leadership fort - un exemple de souveraineté nationale, antimondialisme et populisme. Mais c'est de désillusion qu'il faut parler pour de nombreuses démocraties libérales et pays européens du fait qu'il représente une rupture brutale avec les valeurs et les idéaux traditionnellement associés aux États-Unis (affaiblissement des alliances historiques OTAN, UE, scepticisme à l'égard du multilatéralisme, perte de crédibilité de la démocratie américaine, un avenir incertain pour le rôle mondial des États-Unis). Le regard vers l'avenir conduit à cette interrogation de principe : Trump -t-il été un phénomène temporaire ? Ou a-t-il initié une transformation irréversible : celle du trumpisme et de la Nouvelle Droite américaine ?