La dynamique maroco-espagnole est-elle menacée ? Entretien avec Omar Dahbi

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Ce qui est différent cette fois, c’est que certains analystes locaux, à force de célébrer et louer sur les plateaux de télévision le rapprochement maroco-espagnol, ils ont fini par faire croire à l’opinion publique marocaine que l’on avait dépassé, à tout jamais, toutes les zones de turbulences et que la donne géopolitique maroco-espagnole avait entamé irréversiblement une nouvelle ère (Omar Dahbi)

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On s’en doutait un peu, et même beaucoup. Ni la rencontre entre le Roi Mohammed VI un jour de Ramadan (avril 2022), ni la feuille de route qui fixe les perspectives des relations maroco-espagnoles ne mettront les rapports entre les deux pays définitivement à l’abri des soubresauts et des relents de ce que furent toujours ces rapports. A nouveau pris dans le tumulte des surenchères internes et des prismes et préjugés historiques et/ou idéologiques, le rapprochement maroco-espagnol et la nouvelle position de Madrid sur le Sahara font actuellement l’objet d’un débat âpre espagnolo-espagnol. Ce débat constitue-t-il une menace pour l’avenir de ce que Madrid et Rabat ont convenu de construire ensemble ? C’est l’une des questions que le Quid.ma a posées à Omar Dahbi. Éditorialiste, écrivain, CEO chez News Com Africa Holding, ancien directeur des rédactions de Medi 1 Tv et Radio et responsable auparavant dans plusieurs supports dont Aujourd’hui Le Maroc et Le Matin, Omar Dahbi a commencé sa carrière journalistique en Espagne. Fin connaisseur de ce pays ibérique, il est entre autres, l’auteur de l’ouvrage «Maroc-Espagne, la guerre des ombres (2000-2010)». NK  

Omar Dahbi, les relations entre le Maroc et l’Espagne reviennent aux devants de la scène. Entre la ministre du travail espagnole qui a qualifié le Maroc de dictature et les débats houleux au Congrès des députés sur la politique marocaine du gouvernement, on a l’impression de revenir à une époque que l’on croyait révolue. Que se passe-t-il ?

Ce qui se passe est tout à fait normal et prévisible. J’ai toujours écrit et déclaré que notre principal problème avec l’Espagne est que le Maroc est un sujet de surenchère électorale là-bas. Dès que les élections se profilent à l’horizon, les politiques espagnols rouvrent leurs tiroirs et sortent leurs notes et se déchainent sur la question. Et comme on est à quelques mois seulement des élections générales, entre autres, ce qui se passe ne devrait pas nous étonner. Mais, ce qui est différent cette fois, c’est que certains analystes locaux, à force de célébrer et louer sur les plateaux de télévision le rapprochement maroco-espagnol, ils ont fini par faire croire à l’opinion publique marocaine que l’on avait dépassé, à tout jamais, toutes les zones de turbulences et que la donne géopolitique maroco-espagnole avait entamé irréversiblement une nouvelle ère. Or, ce n’est pas vrai…

Pourtant, il faut reconnaitre que la position espagnole sur le dossier du Sahara a changé de manière radicale. Ce qui est en soi un exploit indéniable pour la diplomatie marocaine…

C’est vrai. Nul ne peut dire le contraire. Mais notre problème demeure toujours le même. Dans la politique comme dans le rugby, après avoir marqué un essai, il faut le transformer. Or, nous avons certes marqué, mais nous en sommes restés là et nous sommes partis précipitamment célébrer cette victoire oubliant que le vrai travail venait à peine de commencer. Et c’est une responsabilité partagée. Pedro Sanchez a, lui, commis deux erreurs. La première est qu’il aurait dû traiter les relations entre les deux royaumes comme les grands dossiers dits « d’État » et qui ont été réglés par un pacte entre les partis politiques. Ils sont sept pactes dans l’histoire de la démocratie espagnole et le dossier des relations stratégiques avec le Maroc est tout aussi important. J’avais dit il y quelques mois qu’il fallait travailler sur « Un pacte sur le voisinage » et qui réglerait toute la politique espagnole concernant son environnement géopolitique et s’imposerait à tous au-delà des changements de gouvernement. D’ailleurs, ce qui bouffe la plus grande partie de l’énergie politique en Espagne ce sont les relations avec l’Union européenne et avec le Maroc. La deuxième erreur de Sanchez a été de répondre aux attaques de ses détracteurs à propos de sa nouvelle position sur le Sahara par des arguments circonstanciels. Dire aux Espagnols que l’on a changé de politique car on se devait de ménager le Maroc afin d’éviter des vagues d’immigration, par exemple, est politiquement maladroit. Il l’avait dit à l’époque et il vient de le redire devant le Congrès des députés mercredi.  En fait, il fallait expliquer que le changement avait un objectif géoéconomique qui devrait projeter l’Espagne dans une nouvelle dimension intercontinentale. Chose qui lui manque puisqu’elle peine à propulser son économie au-delà de ses frontières et développer une sorte d’influence géoéconomique. Pour simplifier, l’Etat espagnol a du mal à drainer des marchés vers son secteur privé car il n’a pas d’influence au-delà de ses frontières…

Il semble que vous rejetez la faute uniquement sur le chef du gouvernement espagnol… ?

Absolument pas. J’allais venir à la responsabilité marocaine. Comme je l’ai déjà signalé, nous avons marqué un essai mais nous ne l’avons pas transformé. Ce qui a fait que nous n’avons pas transformé la percée en acquis. Demain, si la droite gagne les élections (les sondages la donnent en tête mais avec une majorité relative), nous risquons de retourner à la case départ. Ce qu’il fallait et ce qu’il est encore temps de faire aujourd’hui c’est, d’abord œuvrer à tisser des canaux de communication et de dialogue avec l’ensemble de la classe politique espagnole, la société civile, les intellectuels et la jeune nouvelle élite médiatique. J’ai toujours dit qu’il faut parler aux Espagnols, à tous les Espagnols. Car notre position est légitime sur le Sahara mais, malheureusement, l’opinion publique espagnole n’en connait qu’une seule version, celle de nos adversaires. Notre problème est que nous ne parlons pas assez aux autres pour leur expliquer notre position, mais nous faisons tout pour amener nos analystes sur nos propres plateaux de télévision pour qu’ils disent aux Marocains que c’est la faute aux autres. Et dans le cas de l’Espagne, il est clair que nous ne parlons guère à la société espagnole et, de ce fait, elle ne nous connait pas. La preuve : une ministre se permet de dire sur un plateau de télévision que le Maroc est une dictature et l’opinion publique s’en réjouit puisqu’elle considère que ladite ministre a eu le courage et le mérite de dire ce qui est, pour eux, la vérité. Alors à qui la faute si nous n’avons pas pu faire une vraie percée dans la place médiatique espagnole pour raconter ce que nous sommes. Nous avons aussi la responsabilité de servir des « arguments économiques » à Sanchez. Seuls les intérêts économiques survivent aux aléas de la politique. 

A vous entendre parler, on dirait que nous sommes condamnés à ne jamais nous entendre parfaitement. Est-ce le cas ?    

Bien au contraire, nous avons tous les atouts pour devenir les meilleurs alliés de la région. Nous pouvons aller de l’avant et développer une alliance économique qui nous rendrait ensemble plus forts. Regardez la candidature commune pour l’organisation de la Coupe du Monde 2030. C’est une candidature qui n’est pas seulement très convaincante, mais elle est aussi, d’une certaine façon, dissuasive car cette alliance entre deux continents, deux cultures et cette union des forces semble dire aux autres qu’elle est invincible. 

Il faut profiter de cet élan pour mieux se connaitre et forger une alliance politico-économique solide entre les deux royaumes. Mais pour ce faire, les deux parties ont beaucoup d’effort à faire à la fois sur le plan de la communication et sur « l’opportunisme » économique. 

 

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