La fin d’Israël, encore et encore – Par Mohamed Chraibi

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La fumée et la poussière s'élèvent alors que le soleil se couche lors d'un raid de l'armée israélienne à Tulkarem le 10 septembre 2024, dans le cadre d'une offensive militaire à grande échelle lancée une semaine plus tôt en Cisjordanie occupée. (Photo par Jaafar ASHTIYEH / AFP)

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J’aimerais revenir encore une fois sur un sujet qui me tient à cœur et fait sourire mes interlocuteurs quand j’en parle : La fin d’Israël.

L'attaque du 7 octobre 2023, en faisant voler en éclat plusieurs mythes entourant Israël (dont ceux de l'omniscience de ses services de renseignement et la capacité dissuasive de son armée) constitue un tournant formidable dans l'histoire du conflit israélo palestinien. Il y a un avant (qui fait l’objet d’un livre que je compte publier prochainement) et un après totalement imprévisible dont j'ai eu, néanmoins, l'audace de traiter dans plusieurs de mes chroniques, parmi celles-ci: Peut on envisager la fin d'Israël ? (18/1/24), Toufane al Aksa  (6/5/24), et La fin d’Israël plus proche qu’envisagé (25/5/24). Je ne reviendrai pas ici, en détail,  sur les arguments que j’y avance, souvent empruntés à des intellectuels Juifs reconnus, vivant ou ayant vécu en Israël. Je me limiterai à en rappeler l'essentiel :

  • Après le 7 octobre, le niveau atteint par la haine des communautés juives et palestiniennes, l'une pour l‘autre, rend totalement caduques la solution à deux comme la solution à un Etat. La seule solution possible est celle du « zéro état» selon le journaliste Ofri Ilani (1)
    • En traitant les Palestiniens par des méthodes en contradiction avec les lois et les conventions internationales, Israël trahit les valeurs du Judaïsme.
    • On peut vivre sa judéité hors d'Israël, dans l'exil (Shaul Magid  "The Necessity of Exile,")
  • Israël a été créé au lendemain de l'holocauste pour mettre en sécurité les Juifs du monde et ce qui s'est passé le 7 octobre signe l’échec de cette entreprise. 
  • Un pays ne peut pas justifier son existence par la crainte de voir se reproduire le drame vécu par les Juifs aux mains des Nazis (E. Saïd). Etc…

De nombreux états-nations ont disparu, temporairement ou définitivement  au cours de l'histoire. Israël en a fait l’expérience à (au moins) deux reprises déjà; l'Israël contemporain est la résurrection du royaume d'Hérode (roi de Judée, constructeur du second temple 1er siècle avant Jésus). Ce à quoi nous assistons actuellement en Palestine est la résurrection d’Israël, après sa disparition au 2ème siècle, par les Palestiniens qui sont les vrais héritiers des Juifs restés sur place après que les autres en furent chassés par les Romains au 2ème siècle. Ce sont ceux-là qui seront restaurés sur les terres de leurs ancêtres juifs usurpées par les sionistes  accourus d'Europe et d'Amérique.  Une remarquable ironie de l’histoire.

La fin d’Israël ne sera pas nécessairement apocalyptique. Israël pourrait succomber à  l’hémorragie déjà en cours : Plusieurs articles parus dans le journal israélien Haretz, que je cite dans mes chroniques, font état des départs précipités de nombreux hommes et femmes, généralement des professionnels hautement qualifiés. Ceux-là mêmes qui font d’Israël  la grande puissance régionale qu'il était jusqu’ à une date récente. 

Selon E. Kandel (ancien conseiller de Netanyahu, cité dans ma chronique, La fin d’Israël plus proche...) : Le départ de 20 000 d'entre eux suffirait à laisser Israël sans haute technologie, sans université et sans sécurité. Ce sera l’effondrement d’Israël et la fin du rêve sioniste.  Il s’agit d’une menace existentielle plus grande que l’Iran. 

Ce phénomène observé dès mars 2023 suite à la tentative du gouvernement de prendre le contrôle de la Cour suprême, s'est accéléré depuis octobre 2023. Dans un article daté du 17/7/24, Haaretz affirme qu’une enquête du « Jewish People Policy Institute » révèle qu’un juif israélien sur quatre est désireux de quitter Israël pour s’installer dans un pays tiers (2). Et dans un article daté du 21/8/24 (3) le même journal écrit : « les  citoyens qui n’ont pas encore réussi à fuir le pays sont prisonniers de la peur d’une attaque de l’Iran et du Hezbollah». Par ailleurs, on sait aussi que les guerres de 67 et 73 ont provoqué des pics de départs d’Israéliens vers les États-Unis et l'Europe.

Évidemment, il est très difficile d’admettre que 7 millions de juifs israéliens reprennent le chemin du Galut (exil en hébreu) comme le souligne Ofri Ilani (article cité plus haut) où il écrit  : « L'idée d'un exil ressemble un peu à la vision d'Elon Musk de coloniser Mars pour sauver l'humanité. Musk survivra peut-être, mais qu'en sera-t-il du reste d'entre nous ? »

Je n'ai évidemment pas la réponse à cette question, seulement quelques pistes de réflexion à explorer :

1/ Déménager les Israéliens : 

Le chiffre de sept millions de juifs devant quitter Israël en cas d’effondrement de l’Etat sioniste, avancé par Ilani, est excessif pour de multiples raisons : Il y a tous ceux désireux de quitter Israël dont le nombre est évalué à 25% de la population juive (voir ci-dessus). Ceux là comprennent les Israéliens ayant une double nationalité (10 -15% de la population), ceux  suffisamment qualifiés pour être accueillis  à bras ouverts dans tout pays où ils souhaiteraient s’établir, ceux ayant de la famille ou des relations à l’étranger qui les aideraient à s’établir (estimés à 30/50% par ChatGPT)… Les effectifs de ces groupes ne s’additionnent évidemment pas car ils se recoupent, plus ou moins largement. 

A titre d’ordre de grandeur, il ne serait pas déraisonnable de retenir le chiffre de 40% de juifs israéliens qui n’auraient pas trop de difficultés à s‘établir en Occident (Amérique du Nord, Europe, Océanie) et marginalement dans des pays arabes qui entretiennent de bonnes relations avec Israël, comme le Maroc. Il y a également les Juifs israéliens, qui accepteraient de vivre sous un régime palestinien laïc et démocratique. Leur importance est difficile à évaluer mais ils existeraient en nombre  significatif si leur sécurité était garantie par les grandes puissances et les pays arabes voisins. Il y a aussi ceux  établis en Israël pour des raisons purement religieuses, comme les émigrés de la première Aliah, qui n’auraient pas de raison de quitter Israël si leur sécurité est garantie dans le nouvel état palestinien. A ce sujet, il est important de souligner que l’attaque du 7 octobre 2024 et les évènements qui s’en sont ensuivis ont clairement montré l’incapacité de l’Etat israélien à assurer la sécurité de ses citoyens. Pire, la plupart des analystes estiment que depuis octobre 2024, il est plus dangereux d’être Juif en Israël que partout ailleurs dans le monde.

Resteraient, alors, environ 4 millions de réfugiés qui relèveraient du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) dont la mission est précisément «  l'intégration dans les pays d'accueil ou la réinstallation dans un pays tiers » de victimes d’accidents de l’histoire.  A titre d’exemple, on peut citer le cas de la guerre en Ukraine qui a poussé plus de 7 millions d’ukrainiens à se refugier dans les pays voisins (Pologne, Moldavie, Roumanie) et au-delà,  avec l’aide du HCR.

2/ Déménager Israël : 

On  se souvient qu’en 1903, au 7eme congrès sioniste,  Hertzl  avait défendu l’idée de l’installation du « foyer pour les Juifs » en Ouganda-Kenya et que ce projet fut abandonné malgré le vote majoritaire qu'il avait obtenu (ce qui provoqua une scission au sein du mouvement). La question pourrait de nouveau être posée.

Et, quoi qu’il en soit, n’oublions pas que: les sionistes européens et américains qui ont (grâce à leur intelligence, leur puissance financière, leurs relations privilégiées avec les gouvernants d’Europe et d’Amérique) trouvé, en Palestine, la solution à la « question juive » (telle qu'elle se posait aux 19ème et 20ème siècles) ont des héritiers, aux États-Unis et en Europe, dotés de capacités démultipliées.  C'est à eux qu'incombe la responsabilité de trouver la solution à la « question juive » telle qu'elle se pose aujourd'hui. Ce sera l’occasion pour eux de montrer leur attachement aux Juifs et non à un Etat paria.

Je vois d’ici ceux qui vont balayer tout ça d’un revers de main au motif que je ne prends pas en compte l’appui inconditionnel des Etats Unis à Israël, assurance tous risques de la pérennité de celui-ci. Je renvoie ceux-là à ma chronique du 12/6/24 « l’Amérique n’est plus le leader du monde ».

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  • Olfi Ilany, Zéro state for Two peoples,  Haaretz 11/8/24
  • One in four Israeli Jews would leave Israel to another country if they could (Haaretz 17/7/24)
  • Netanyahu keeps the wheels of insanity spinning): Haaretz 21/8/24

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