''Le mal algérien’’, une enquête officielle française dans les entrailles du régime d'Alger à l’insu des généraux

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Cinq ans de travail sur le terrain mené par les deux auteurs au cœur des réalités algériennes

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Paris - “Le mal algérien”, un essai que viennent de publier les experts français Jean-Louis Levet et Paul Tolila, est une véritable radioscopie de la nature du régime en place, dessinant une Algérie aux antipodes d'une propagande officielle, moquée dans les rues du pays par une majorité d'Algériens criant le rejet de leur propre gouvernement, l'arrogance des pouvoirs en place et un système politique complice des pires iniquités.

L’ouvrage, paru aux éditions Bouquins, est le fruit de cinq ans de travail sur le terrain mené par les deux auteurs au cœur des réalités algériennes, d'échanges avec les principaux acteurs de la société, dans le cadre d’une mission officielle de coopération '’technologique et industrielle’’ avec l’Algérie.

Un séjour qui leur a permis d’observer “les failles et voir venir les impasses du pouvoir en place”, écrivent-ils dans le prologue de l’ouvrage (371 pages), où ils “tentent de décrire et donner un sens aux situations étranges, énigmatiques, aux principaux dysfonctionnements” auxquels ils ont été confrontés.

Pour bien comprendre ce “mal algérien”, les auteurs proposent au lecteur un retour à ses racines et à la genèse du système toujours en place, qui trouve ses origines dans le coup d’État de Houari Boumediène.

‘’Du coup d’État de 1962 naît la configuration typique du pouvoir algérien pour des décennies: un pouvoir réel aux mains de l’armée, dissimulé derrière le paravent d’une présidence civile, et appuyé sur des services secrets quadrillant la population, capables de tenir à l’œil, voire de liquider, les opposants, organisés pour tout type de manipulations’’, soutiennent les auteurs du livre.

Les racines de ce mal algérien se trouvent, entre autres, ‘’dans un pouvoir prétorien, une incroyable avidité de la nomenklatura et ses serviteurs, les atouts économiques volontairement bridés au profit d'importations juteuses, la gangrène de la rente des hydrocarbures et l'explosion de tous les trafics et du marché noir’’, explique-t-on.

Ils dénoncent aussi ‘’une administration tentaculaire paralysante et souvent corrompue, qui accroît les blocages d'une société humiliée, devenue triste et dure pour les plus faibles’’.

Au fil de leurs visites, les deux auteurs découvrent un ‘’chaos administratif’’, où la logique prébendière a tout contaminé et une schizophrénie qui y règne à grande échelle’’.

Dans le “pays du monde à l'envers”, Jean-Louis Levet et Paul Tolila pointent aussi le grand ballet du trio ‘’rente-corruption-purge’’ et invitent à un voyage à travers les méandres de l’histoire récente algérienne, de la captation de l’État par l’armée à l’héritage empoisonné de la guerre d’indépendance (1954-1962) et la corruption endémique, en passant par la bureaucratie qui inhibe les meilleures volontés, l’autoritarisme, le cynisme affiché des pouvoirs algériens et des carences auxquelles la population est confrontée dans tous les grands domaines de la vie (éducation, culture, santé, alimentation, hygiène publique, etc.).

Le livre met aussi l’accent sur ‘’les questions mémorielles, notamment avec l’ancien colonisateur, la France, l’impasse de la rente liée aux hydrocarbures, la clientélisation de la société, l’étouffement de toute démocratie, et la surveillance et la violence parfois extrêmes érigées en moyen naturel de gouvernement intérieur’’.

Les deux auteurs reviennent également sur ‘’le double malheur de l’Algérie sur le plan économique, avec une agriculture que les différents gouvernements ont laissé s’abîmer depuis l’indépendance et une politique rentière fondée sur les hydrocarbures (dépendante des marchés mondiaux), qui a inhibé le développement industriel du pays et toute tentative de diversification réelle’’.

‘’Ces deux pôles négatifs ont enfanté une autre spécificité néfaste de l’économie algérienne qui pèse de tout son poids sur le maintien du statu quo : une classe d’importateurs de produits alimentaires et de produits finis industriels, liée au pouvoir, dépendante de lui et l’ayant lentement pénétré depuis l’ère Boumédiène’’, relèvent-ils.

‘’Au bout de presque vingt années de domination politique, le reflux du pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika et sa fin sous les coups d’une immense contestation populaire ont laissé l’Algérie dans une situation explosive et, dans certains domaines, précaire”, lit-on.

“Avec stupeur et consternation, les opinions algérienne et européenne prenaient connaissance de l’impéritie et des turpitudes d’une gouvernance gangrénée depuis trop longtemps par les prébendes et les prévarications”, notent les auteurs.