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Le séparatisme, un phénomène mondial nommé “chaos créatif”*
La question du Sahara marocain inquiète et interpelle les acteurs internationaux et beaucoup d’ONG également. Or s’il existe une chose aussi répandue à travers le monde c’est bien les mouvements séparatistes qui foisonnent aussi bien en Europe qu’en Afrique en passant par l’Asie et l’Amérique. Oui le séparatisme est loin d’être le monopole des pays africains. Il est un phénomène mondial, qui plus est un fléau très dangereux en plus d’être une sorte de continuité de la guerre froide qui n’a jamais vraiment cessé
Le séparatisme, un phénomène mondial
Le continent européen a pendant très longtemps été divisé et ce depuis plusieurs générations. En plus des guerres et des rivalités de plusieurs siècles, la composition démographique des Etats eux-mêmes a souvent été une source de conflit. Les alliances et les conquêtes ayant fusionné les territoires des nombreux royaumes d'Europe au cours des siècles, les groupes minoritaires ont toujours été pris au milieu, conduisant à des conflits internes et à des revendications territoriales concurrentes qui ont aggravé les conflits existants entre les Etats européens. Les exemples les plus remarquables incluent l'Ecosse, la Catalogne, la Flandre, la Wallonie, l'Alsace-Lorraine, l'Irlande du Nord et le Pays Basque. En Europe, ces mouvements ont aujourd’hui un impact important sur deux Etats européens, le Royaume-Uni et l'Espagne.
Il existe également un autre exemple européen du séparatisme qui est la situation de la Flandre et de la Wallonie en Belgique. Les Wallons flamands et francophones néerlandophones ont tous deux recherché l'indépendance à plusieurs reprises dans l'histoire de la Belgique depuis son indépendance des Pays-Bas en 1830. Par ailleurs, alors que la Flandre a grandi en population et a prospéré économiquement, les appels flamands à l'indépendance ont augmenté ces dernières années. La Flandre compte aujourd’hui plus de 60% de la population belge et trois quarts de son activité économique, ce qui signifie que la Flandre subventionne la région wallonne moins riche en termes de programmes gouvernementaux. Le gouvernement belge fait face à un immense dilemme : il ne peut ni permettre un référendum d'indépendance, car un vote «oui» déchirerait la nation belge, ni ignorer la nouvelle alliance flamande et ses partisans. Plusieurs autres cas de séparatisme existent en Europe comme en témoigne la carte plus haut.
De son côté, l’Afrique connaît également des mouvements séparatistes qui durent depuis des années. Les séparatistes ne revendiquent parfois qu’une portion infime du territoire, à l’instar des rebelles de l’enclave du Cabinda en Angola, des populations nigérianes de la péninsule de Bakassi au Cameroun voire des indépendantistes du mouvement pour l’autonomie de la Kabylie en Algérie. Certains conflits sont gelés et durent depuis des dizaines d'années: c'est le cas de la Casamance au Sénégal et du Sahara au Maroc.
La Somalie, elle, est un État quasi fantôme aujourd’hui: le Puntland (au nord est) et le Somaliland au nord ouest vivent de façon autonome. Au sud, le Jubaland se verrait bien Etat tampon avec le Kenya. Le Soudan qui se remet à peine de la séparation avec le Soudan du Sud en juillet 2011, est confronté aux sécessionnistes à l’ouest avec le Darfour, au Sud Kordofan ainsi qu’à l’est de son territoire. Il y a aussi le cas du Mali où le Nord du pays contrôlé par les islamistes radicaux et autoproclamé indépendant par les Touaregs du mouvement de libération de l’Azawad, constitue plus de la moitié du territoire malien. Le Nigéria est lui aussi menacé d’une fracture nord-sud avec les actions terroristes de la secte islamiste Boko Haram.
Enfin, il y a la République Démocratique du Congo (RDC) qui souffre de conflits armés à tendance séparatiste, avec l’implication plus ou moins active de certains voisins. D’ailleurs, l’Est du Congo est meurtri par le mouvement des rebelles du M23 auxquels le Rwanda apporterait un soutien direct selon un rapport des Nations Unies.
En Asie, les principales tendances séparatistes ont lieu en Thaïlande, dans le sud des Philippines et à Aceh (Indonésie).
En Thaïlande, les organisations activistes sont le PULO (Pattani United Liberation Organization) et le New PULO (faction dissidente créée en 1995). Malgré leurs divergences, les deux organisations ont établi une alliance tactique au milieu de l’année 1997. Pas moins de 33 attentats leur furent attribués dans la période d’août 1997 à janvier 1998, ce qui représente la plus importante éruption d'activité séparatiste musulmane dans la région depuis le début des années 1980.
Dans le sud des Philippines, le Moro Islamic Liberation Front (créé en 1980 comme dissidence du Moro National Liberation Front, MNLF) entend établir un Etat musulman séparé dans toutes les régions méridionales des Philippines où les musulmans sont encore majoritaires. Les troupes du MILF sont entraînées principalement par des vétérans de la guerre d'Afghanistan.
Quant à Aceh, la violence séparatiste y a été latente depuis les années 1950. Elle mêle un rejet de l'orientation séculière de l'État indonésien avec des insatisfactions économiques et des ressentiments face à ce qui est perçu comme une volonté de domination javanaise.
Il y aussi la question du Tibet, de certaines régions d’Inde, des Kurdes turcs, irakiens et syriens.
Enfin, contrairement à ce que l’on pourrait croire, il existe des mouvements séparatistes dans certaines zones en Amérique, notamment l’Alberta au Canada, l’Alaska aux Etats-Unis, le Lakota, etc. Il faut aussi rappeler au chapitre des tentatives de séparatisme, ces grandes mégalopoles réclamant leur statut d’Etat, comme l'est déjà la capitale Washington DC.
Ou inversement, les banlieues oubliées de ces grandes villes en guise de protestation. Le cas le plus connu fut celui des comtés de la banlieue de Chicago qui voulaient, à la fin des années 60, se réunir dans le nouvel Etat de "Forgottonia" (Forget = oublier, en anglais). Dans le Maryland, ce sont les comtés ruraux qui se sentent totalement étrangers au mode de vie des citadins de l’agglomération Baltimore-Washington DC et veulent voler de leurs propres ailes. Toutefois, le Texas et la Californie, restent les plus sérieux dans leur projet.
Un fléau dangereux
Avant de parler de la dangerosité de ce phénomène, il convient tout d’abord d’énumérer ses causes qui peuvent être résumées en cinq points. La première cause est un mouvement de contestation contre la mondialisation excessive et non réglementée qui laisse le citoyen ordinaire perdu et sans identité. Il cherche donc un nouveau sentiment d'appartenance dans un petit pays nouvellement indépendant, favorisant le localisme par rapport au globalisme. La deuxième raison est le fait que les minorités ethniques peuvent se sentir opprimées et sont tentées de chercher un « divorce » et de mettre en place leur propre nation. La troisième est l'échec mondial des gouvernements nationaux, qui semblent chroniquement incapables de respecter leurs promesses électorales. Quatrième raison, il y a un certain intérêt personnel. Les provinces riches, dans un pays, dont la constitution les oblige à aider les plus pauvres (comme le Québec au Canada ou encore la Catalogne en Espagne), sont tentés mettre fin à ces subventions et garder tout leur argent.
Enfin la cinquième et plus importante raison qui pourrait expliquer le séparatisme est les guerres appelées “proxy”. Des groupes séparatistes financés et organisés par un pays hostile au pays touché par ce fléau. C’est le cas du Polisario, financé, organisé, entrainé et hébergé par l’Algérie. C’est aussi le cas, de plusieurs pays victime de la guerre froide entre les Etats-Unis et la Russie.
Au Sénégal, par exemple, il y a eu la Guinée-Bissau qui a toujours soutenu les rebelles du Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance (MFDC). D’ailleurs ces derniers ont longtemps pu trouver refuge en Guinée-Bissau. Par ailleurs, en 2006, une opération menée par l’armée sénégalaise a permis le démantèlement de cette base. Et depuis lors, les régimes bissau-guinéens successifs affichent leur soutien au Sénégal empêchant les rebelles de se replier sur leurs territoires. C’est dire que sans ces gouvernements ou pays qui tirent les ficelles derrières pour des règlements de compte personnels, les mouvements séparatistes n’auraient pas eu l’ampleur qu’ils ont aujourd’hui.
C’est également le cas de la question du Sahara marocain avec l’Algérie qui prétend soutenir la cause des sahraouis alors que ce n’est plus un secret pour personne que les raisons sont surtout une hostilité de l’Algérie vis-à-vis du Maroc. L’Algérie, Etat récent qui son existence au colonialisme français, outre qu’elle cherche à se construire une identité au détriment du Maroc, veut éviter à tout prix l’évocation des problèmes frontaliers qui l’oppose au Royaume chérifien, malgré des accords passés au temps de la lutte contre l’occupation française entre le gouvernement marocain et le GPRA (gouvernement provisoire de la république algérienne) .
Le séparatisme peut être très dangereux pour la stabilité des nations et même conduire à la guerre dans des circonstances extrêmes quand il n’y a pas de contrôle. Il peut causer un dysfonctionnement au sein d’un pays et conduire à une haine identitaire fratricide.
L’exemple le plus concret du caractère dangereux du séparatisme que l’on peut donner est le cas du Soudan du Sud. Ce pays est devenu synonyme d’ « Etat défaillant », ou d’ « archétype africain » en plus d’être un pays pauvre et mal géré. En plus de cela, il est prévisible que si la violence au Soudan du Sud n’est pas contenue dans ses frontières, ses excès pourraient entraîner de graves troubles dans les pays voisins, les poussant peut-être, eux aussi, au bord de la guerre civile en raison de leur situation extrêmement fragile.
On peut aussi donner l’exemple de l’Est de l’Ukraine où les mouvements séparatistes pro-russes ont installé une guerre. En Avril 2014, les séparatistes contrôlent une grande partie des territoires, en septembre de la même année la ville portuaire de Marioupol est encerclée par les séparatistes et en janvier 2015, ils reprennent l’aéroport international de Donetsk. Inutile de dire que ce conflit a coûté la vie à plusieurs centaines de personnes.
Séparatisme, une réminiscence d’une guerre froide qui se poursuit
Si les mouvements séparatistes foisonnent de plus en plus à l’aube des années 60, la question que tout le monde peut se poser est comment ces mouvements, qui se disent nationalistes, arrivent à trouver le financement nécessaire pour assurer leur survie ? Qui se cache réellement derrière leurs revendications indépendantistes ? Mais surtout qui bénéficie de l’état de discorde, voire même de guerre ? Pour tirer au clair la réalité de la situation, bien que trop compliquée et complexe, il faut revenir sur un fait marquant de l’histoire du XXème siècle, à savoir la guerre froide.
Cette guerre latente qui est née à l’issue de la deuxième guerre mondiale entre deux superpuissances internationales, les Etats-Unis et l’URSS, dont les projets et les aspirations étaient tout à fait antagonistes, a joué un rôle capital dans les tensions et les conflits qui existent à ce jour dans le monde. Il suffit de prendre pour exemples les guerres civiles en Ethiopie ou en Angola qui sont toutes les deux inscrites dans le contexte de la guerre froide.
Si en Europe de l’ouest, les mouvements séparatistes n’usent pas éminemment de la violence, à l’est de l’Europe, en Afrique comme au Moyen-Orient, c’est le chaos total qui règne dans certaines régions où les rêves indépendantistes fleurissent sur un terreau de crise et de conflit. En assistant à la chute du mur de Berlin en 1989, le monde pensait que cet acte avait signé la mort du communisme et avec lui la fin des temps de l’agressivité et de la bipolarisation du monde. Mais c’est la Russie, héritière légitime du legs soviétique, qui va commencer à défier l’Amérique et à menacer ses intérêts. Les Etats-Unis, vainqueurs de la guerre froide, vont commencer à imposer leur dominance stratégique en exploitant le « chaos créatif » afin de déstabiliser tous leurs adversaires et rivaux.
Dans le cas du Sud-Soudan, la guerre farouche qui ravage le pays profite bien à Washington, car depuis que les combats ont éclaté, la production sud soudanaise a reculé d’au moins 15%. Et ce, uniquement en deux semaines de guerre. Alors qu’avant la partition entre le Nord et le Sud, la production soudanaise est montée jusqu’à 600 000 barils par jour. La Chine, qui s’intéresse à tous les pays africains producteurs potentiels de pétrole, s’est retrouvée dans l’obligation de se détourner du Sud-Soudan tant que la situation continuait à dégénérer tragiquement. Les Etats-Unis vont donc entraver un de leurs plus grands concurrents mondiaux de tirer profit de la troisième réserve de pétrole dans le continent africain.
La grande stratégie des Etats-Unis pourrait donc être résumée à exploiter le tribalisme du continent africain et le sectarisme au Moyen-Orient pour promouvoir les changements des systèmes et des régimes politiques et garantir ainsi leur contrôle sur des parties stratégiques du monde en les laissant souffrir des affres des guerres civiles.
La Russie, quant à elle, ne cache pas son soutien aux séparatistes. Elle épouse leurs thèses et se dit prête à les aider financièrement pour réaliser concrètement leurs revendications. Le cas de la République Populaire de Donetsk, mouvement séparatiste couvé par Moscou en Ukraine, fait montre de la volonté de Moscou de semer la division pour profiter librement des dissensions existantes. En avril 2014, dès le début des affrontements entre séparatistes et gouvernement ukrainien, des volontaires russes ont pris part au combat. Les représentants ukrainiens ont, eux, dénoncé à plusieurs reprises l’incrustation de la Russie dans le conflit. Les volontaires russes disent, pour leur part, vouloir défendre les populations russophones. En novembre dernier, l'OTAN confirme l'entrée de convois militaires russes, y compris d'armement lourd, en Ukraine. Des allégations pourtant démenties par Moscou. Poutine voudrait, pour plusieurs analystes, rétablir la puissance de la Russie, lui qui affirme sans cesse que la plus grande tragédie du 20ème siècle était l’éclatement de l’Union soviétique. Il veut donc la rétablir et a besoin de l’Ukraine.
Comme la Russie, l’Algérie finance sans vergogne le Polisario. Au nom du “droit à l’autodétermination”, le gouvernement de Bouteflika manipule les séparatistes du front. Ce conflit, qui aurait causé jusque là la mort de plus de 16 000 personnes, est soutenu fortement par l’Algérie. C’est en 1972, que Kadhafi demande à la Mauritanie d'armer le Polisario pour aider à fonder un mouvement de libération du Sahara, le président Mokhtar Ould Daddah refusera. Dès 1973, lors de la création du Polisario, la Libye offre des armes légères. Mais, c'est en 1975, après le départ de l’Espagne, que l'Algérie commencera effectivement à armer le Front Polisario et en 1976, cet apport deviendra massif. L'Algérie offrira alors des canons de 122 mm, tout le carburant nécessaire et la base arrière de Tindouf tandis que la Libye livrera des transporteurs de troupes, des missiles et des roquettes.
La naissance, en ce sens, du jour au lendemain du Polisario montre clairement les mauvaises intentions de l’Algérie qui veut profiter, tant bien que mal, du statu quo dans la région pour contrer les intérêts du Maroc.
Il est clair que les mouvements séparatistes n’émanent pas tous d’un sentiment national fort et authentique, mais ils sont généralement manipulés et instrumentalisés à dessein par des tierces parties. Les pays puissants croient dur comme fer que parfois il est nécessaire de diviser pour mieux régner et que pour défendre ses propres intérêts, des centaines de vies, voire même des milliers, ne valent plus grand-chose. L’image intolérable de la mort et de la souffrance est, elle, banalisée par les médias et la véritable cause du conflit reste dissimulée.
* Sources :