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Législatives : Musk-AfD, la liaison qui irrite l’Allemagne
La codirigeante du parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) et candidate du parti au poste de chancelière, Alice Weidel, pose pour des photos avant une discussion en direct avec l'homme d'affaires et milliardaire américain Elon Musk sur sur le réseau social X (anciennement Twitter), | Kay Nietfled / Pool / AFP
Par Zin El Abidine TAIMOURI – Bureau de MAP à Berlin
Berlin - Le rapprochement entre le milliardaire américain Elon Musk et le parti d’extrême droite AfD (Alternative pour l’Allemagne) suscite une vive indignation parmi la classe politique allemande et les sphères académiques et syndicales du pays, certains y voyant un "hold-up de la démocratie".
Tout a commencé par un post sur X en réponse à une publication d’une influenceuse proche de l’AfD. "Seul l’AfD peut sauver l’Allemagne", avait écrit Musk, exprimant ainsi son soutien à ce parti à l’approche des élections législatives anticipées du 23 février 2025, décidées après l’éclatement de la coalition gouvernementale menée par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz (SPD), avec les libéraux (FDP) et les Verts.
L’appui du patron de la plateforme sociale X (anciennement Twitter) à l’AfD, qu’il avait déjà manifesté en juin en déclarant : "Je ne vois pas en quoi l’AfD est extrémiste", a réjoui les membres de ce parti, qui, en à peine douze ans d’existence, s’est déjà hissé à la deuxième place des sondages d’opinion avec 20% des intentions de vote.
Après le post de Musk, l’AfD a immédiatement exploité cette déclaration à des fins électorales sur les réseaux sociaux, un terrain clé de la bataille politique en Allemagne, pour tenter de séduire les 59 millions d’électeurs attendus aux urnes. Alice Weidel, coprésidente de l’AfD, a même répondu à Musk en anglais : "Vous avez tout à fait raison".
Cette prise de position a rapidement déclenché une vague d’indignation aussi bien dans la classe politique que dans les sphères académiques et syndicales, qui y voient une "tentative d’ingérence" dans une échéance politique cruciale pour le pays, dont le parlement a été dissous en décembre dernier à la suite d’une motion de censure contre Scholz.
Si la réaction du chancelier, qui brigue un nouveau mandat, a d’abord été tempérée, déclarant que “la liberté d’expression vaut aussi pour les milliardaires”, le secrétaire général du SPD, Matthias Miersch, a estimé que l’interférence de Musk constitue un "signal alarmant" et a exprimé ses inquiétudes face à une "ingérence extérieure".
L’AfD, qualifiée de "menace potentielle pour la démocratie" par des partis comme la CDU (Union chrétienne-démocrate), qui, à l’image des autres formations politiques, exclue toute alliance gouvernementale avec l’extrême droite, est également accusée d’utiliser X comme une plateforme de "désinformation".
De son côté, le FDP, dont le président fédéral n’est autre que Christian Lindner, ministre des Finances limogé par Scholz, pour précipiter les élections anticipées, a proposé d’engager un dialogue avec Musk pour clarifier sa position, tout en dénonçant, lui aussi, "l’extrémisme" de l’AfD.
Comme si la colère des politiciens ne suffisait pas, la lune de miel entre l’AfD et Musk a pris une tournure plus concrète avec une discussion, diffusée le 9 janvier en direct sur X entre Musk et Alice Weidel, dans laquelle les deux protagonistes ont semblé, selon les médias allemands, "d’accord sur tout".
L’entretien, qui a duré 75 minutes et réuni plus de 200.000 auditeurs en direct, a pris des airs de débat "lunaire", abordant des sujets aussi divers que la politique spatiale, le sens de la vie, l’univers et plus sérieusement la politique nucléaire de l’Allemagne, les défis migratoires et les enjeux de l’éducation.
En réaction à ce "Talk-show", plusieurs syndicats allemands ont annoncé leur départ de la plateforme X, l’accusant de faire de la "propagande" pour l’extrême droite, de diffuser de la "désinformation" et de véhiculer un "discours haineux".
Plus de 60 universités et institutions de recherche allemandes, telles que la Freie Universität Berlin, l’Université de Münster et l’Université des sciences appliquées RWTH Aachen, ont également annoncé leur retrait de la plateforme. Elles protestent contre la "radicalisation croissante des discours" sur ce réseau social.
La commissaire fédérale à la lutte contre les discriminations, Ferda Ataman, a, dans la foulée, appelé le gouvernement à quitter le réseau social X, estimant que la plateforme "n’est pas sérieuse". S’en est alors suivie la suspension, par le ministère de la Défense, de son compte X.
La liaison Musk-AfD a largement concentré l’attention des observateurs et de l’opinion publique en Allemagne, où elle continue de faire les gros titres. Les membres des partis politiques lancent des avertissements et l’administration du Bundestag suit de près le dossier. L’enjeu soulevé par les médias allemands et les experts en communication politiques est l’entrave à l’égalité des chances entre les partis pendant la campagne électorale, avec une influence sur les intentions de vote.
La promotion de l’extrême droite allemande par l’homme le plus riche de la planète relance également le débat sur le contrôle des géants de la tech. Des observateurs estiment que les "autorités de régulation doivent être renforcées et les infractions sanctionnées de manière drastique".
Alors que la course à la Chancellerie se joue désormais sur les réseaux sociaux, l’influence d’Elon Musk et de sa plateforme, qui rassemble plus de 11 millions d’utilisateurs mensuels en Allemagne, mise en tribune au service de l’extrême droite, aidera-t-elle l’AfD à mener la bataille électorale ou conduira-t-elle à son désaveu ?.