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Mahamat Idriss Déby, le fils de son père – Par Hatim Bettioui
Mahamat Idriss Déby a réussi troquer l'uniforme militaire contre une tenue civile et organiser les premières élections présidentielles dans le Sahel africain depuis la vague de coups d'État dans la région, visant ainsi à légitimer son pouvoir par des élections
L'Afrique ne manque jamais de surprises et de paradoxes. De temps en temps, elle veille à apporter du nouveau, bon ou mauvais, surtout dans ses systèmes de gouvernance. Jusqu'à présent, quatre présidents africains ont hérité du pouvoir de leurs pères, dont Ali Bongo Ondimba, qui a pris le pouvoir en 2009 après la mort de son père Omar Bongo, qui avait dirigé le pays depuis 1967. Son successeur a été renversé par un coup d'État familial le 30 août 2023.
Avant lui, Faure Gnassingbé a succédé à son père Gnassingbé Eyadéma, décédé en 2005 après avoir gouverné le Togo d'une main de fer depuis 1967. De même, Joseph Kabila a succédé à son géniteur Laurent-Désiré Kabila à la présidence de la République démocratique du Congo (anciennement Zaïre) dix jours après son assassinat le 18 janvier 2001.
Joseph Kabila est resté président du pays jusqu'en 2019, lorsqu'une transition pacifique du pouvoir a eu lieu après que les électeurs ont rejeté le successeur choisi par le président sortant. Des élections ont été organisées et Félix Tshisekedi, vainqueur, lui a succédé à la tête de l’Etat.
Le dernier dauphin à avoir accédé à la magistrature suprême est Mahamat Déby, qui a hérité du pouvoir au Tchad après la mort de son père Idriss Déby lors d'un affrontement avec des rebelles le 20 avril 2021. Ce fut un clair viol de la constitution tchadienne, qui prévoit dans ce cas le transfert du pouvoir au président du parlement, en charge d’organiser ensuite des élections libres dans un délai de deux mois pour permettre au peuple de se donner un nouveau président.
Anglophones et francophones
A contrario de tout cela, l'ancien président kényan Uhuru Kenyatta, fils du premier président du pays, Jomo Kenyatta, est arrivé au pouvoir non par hérédité, mais grâce à son engagement dans la politique et sa progression dans les postes jusqu'à devenir président de la République. Uhuru, qui signifie "liberté" en swahili, n'est entré en politique qu'en 1990, encouragé par le président Daniel Arap Moi. Son père est mort en 1978 après avoir gouverné le pays pendant quatorze ans.
Il est intéressant de noter que l'expérience de Kenyatta fils n'aurait certainement pas pu se réaliser de telle manière, si elle n'avait pas eu lieu dans un pays anglophone. Les expériences de Bongo et Eyadéma qui ont accédé à la présidence par hérédité auraient eu peu de chances de réussir si elles avaient eu lieu dans des pays francophones.
Sociologues et politilogues ne sont pas encore assez penchés sur la question pour l’analyser dans toutes ses dimensions, mais le système de gouvernance en Afrique francophone semble plus alambiqué qu’en Afrique anglophone. Dans cette dernière, les choses se passent de manière plus fluide et surtout sans heurts. Le président est élu, peut faire deux mandats, puis laisse la place à un autre président dans le cadre d'une transition pacifique du pouvoir. Cela s'est produit au Ghana, en Sierra Leone, au Kenya et dans d'autres pays, limitant ainsi les tentatives de coups d'État militaires, contrairement à ce qui se passe dans de nombreux pays d'Afrique francophone.
Même dans un pays comme le Sénégal qui fait figure d’exception dans l’espace francophone, on a vu l'ancien président Abdoulaye Wade essayer de transmettre le relais à son fils Karim, mais grâce à la vigilance de société civile et politique sénégalaise, sa tentative a échoué. Au lieu d'entrer au palais présidentiel, Karim a fini prison avant de s’exiler au Qatar. Le défunt leader libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, et le défunt président égyptien Hosni Moubarak ont également tenté de transmettre le pouvoir à leurs fils, Saïf al-Islam et Gamal, mais les tempêtes du "printemps arabe" ont été plus fortes que leurs ambitions.
Une guerre d’influence
Le général Mahamat Idriss Déby, dernier arrivé au pouvoir en Afrique par héritage, a dirigé une phase de transition et a présidé le conseil militaire de transition au Tchad après la mort de son père, rejoignant ainsi le club des militaires putschistes au pouvoir au Niger, au Mali et au Burkina Faso.
La phase de transition au Tchad devait durer un an, mais, comme à l’accoutumée, elle a été prolongée à trois ans avant de se conclure par des élections présidentielles organisées le 6 mai dernier. Le général a remporté l'élection avec 61 % des voix, tandis que son rival et Premier ministre de la période de transition, Sucis Masra, un opposant de longue date à lui et à son père, n’aurait récolté que 18 % des voix.
Mahamat Déby a réussi troquer l'uniforme militaire contre une tenue civile et organiser les premières élections présidentielles dans le Sahel africain depuis la vague de coups d'État dans la région, notamment au Niger, au Mali et au Burkina Faso, visant ainsi à légitimer son pouvoir par des élections et à devenir un président civil ordinaire face à des défis innombrables.
Il est évident pour tous que l'élection de Mahamat Déby a eu lieu en pleine lutte d’influence dans la région du Sahel entre l'Occident et la Russie, sans oublier la Chine qui s'y infiltre doucement. Ainsi, environ un mois après la décision du conseil militaire de transition au Niger d'annuler un accord militaire avec les États-Unis, le Tchad a demandé une révision de l'accord sur la présence des forces américaines sur son territoire, arguant que Washington n'a pas réussi à fournir des justifications convaincantes pour la présence de ses forces à la base "Adji Kossei".
Et bien que Washington, faisant contre mauvaise fortune bon cœur, considère ce qui se passe avec le Tchad comme faisant partie de la révision continue de la coopération sécuritaire et militaire entre les deux pays, elle a annoncé que cette coopération serait reprise après les élections présidentielles en raison de l'augmentation du danger dans la région du Sahel due à la prolifération des groupes armés en Afrique de l'Ouest et du Centre.
Le Tchad de Déby fils se trouve partagé entre le camp occidental, qui le considère comme un partenaire stratégique étant donné qu'il est la force régionale qui combat Al-Qaïda et Daech, et le russe en expansion, en plus de la Chine qui exploite le pétrole tchadien.
La Chine est présente dans la région, mais de manière plus discrète et moins visible que les deux camps directement en concurrence. Elle n'est pas moins importante que les Russes, les Américains et les Français, et elle jouera certainement un rôle dans les jours à venir. Sa présence dans le Sahel est significative, car elle exploite également la production pétrolière au Niger.
Le patenté Déby condamné à l’équilibrisme
On pense que le général Mahamat Déby, qui a grandi à l'ombre de son père et acquis une remarquable expérience militaire et politique, ne tombera pas dans le piège de se jeter dans les bras d'un camp au détriment de l'autre. Il essaiera de concilier les forces en conflit dans la région et de trouver un équilibre entre elles, contrairement aux conseils militaires au pouvoir au Niger et au Mali, qui ont expulsé les Français et les Américains et misé sur une alliance avec les Russes.
La France a encore trois bases militaires au Tchad, rendant difficile pour l’actuel président du Tchad, qui sait ne pas y avoir intérêt, de se jeter dans les seuls bras des Russes. Même si Déby fils, en bon équilibriste, a visité Moscou avant les élections, ce qui a semé le trouble et soulevé de nombreuses questions sur la possibilité d'une nouvelle alliance avec Moscou dans la région du Sahel. Mais cette carte a l’avantage d’au moins réduire la marge de manœuvre de Paris et de ses habituelles exigences.
Il est vrai qu'il y a de forts sentiments anti-français au Tchad, comme ailleurs, en raison de son passé colonial et de son exploitation vorace du pays, mais le jeu des intérêts dépasse les émotions et les désirs. Il exige de la prudence avant de prendre des décisions qui pourraient conduire à une impasse. Déby fils veillera sans aucun doute à entretenir de bonnes relations avec la Russie et à conclure des accords importants avec elle, sans pour autant tendre ses relations avec les autres grands acteurs de la région.
Déby fils a prouvé qu'il est un politicien pragmatique et plus flexible que son père. Sa flexibilité s'est manifestée lorsqu'il a accepté que l'un des plus farouches opposants de son père, et son propre adversaire, soit son Premier ministre pendant sa présidence de la période de transition.
Sa flexibilité s'est également manifestée lorsqu'il a su apaiser la colère des Tchadiens après avoir prolongé la période de transition d’un à trois ans. Elle a atteint son apogée lorsqu'il a accepté la candidature de son Premier ministre à l'élection présidentielle et sa concurrence.
Déby père a accepté de mettre des bases militaires à la disposition de l'Occident pour pouvoir intervenir dans la vaste région entourant le Tchad. Et il n’est pas certain que Déby fils adoptera une politique différente, d'autant plus que l'armée tchadienne est l'une des plus expérimentées et combattantes dans la lutte contre les mouvements terroristes armés.
Déby face au défi de développement
La menace du Tchad d'annuler l'accord sur la présence des forces américaines sur son sol n'était qu'une carte brandie temporairement pour des raisons purement électorales. L'organisation d'élections présidentielles a fait du Tchad la première nation à sortir du club des régimes militaires au pouvoir dans la région du Sahel.
Tout comme le groupe des cinq pays du Sahel (G5) s'est dissous après les coups d'État militaires dans la plupart de ses pays, la nouvelle alliance du Sahel, sous parapluie russe, commence à se dissoudre à son tour avec le retour du système électoral au Tchad.
Il n'est pas facile pour l'Occident de renoncer au Tchad, étant donné qu'il est situé dans une région stratégique de grande importance. Si le Tchad est entouré de défis et de dangers de tous côtés en raison de ses vastes frontières avec six pays, la détérioration de la situation au Soudan due à la guerre civile et la transformation de la Libye en un État en déliquescence ont contribué à réduire les nombreuses menaces pesant sur le régime tchadien. Il n'y a plus le colonel Kadhafi pour financer des mouvements opposés au Tchad, et le Soudan n'est plus capable de soutenir certains mouvements armés qu'il appuyait. Ainsi, la lutte pour le développement reste le principal défi que Déby fils doit relever dans les jours à venir.
Le Tchad a une grande opportunité de sortir du groupe des États défaillants, et Déby fils n'a d'autre choix que de tirer les leçons du président gabonais déchu Ali Bongo, qui, malgré son attachement au pouvoir, a fini par payer le prix fort. Déby fils doit également corriger les erreurs des trois décennies de règne de son père. Le pays est ouvert à toutes les possibilités et de toutes parts, tant le jeu dans un domaine où les grands se disputent la. primauté n'est pas toujours synonyme de résultats positifs.