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Présidentielle en Tunisie : Les favoris, les outsiders et les trouble-fêtes
Tunis - Au terme d'une semaine de campagne électorale très tendue, les 26 candidats en course pour le palais de Carthage continuent de se lyncher mutuellement à coup de révélations parfois fracassantes, d'échange d’accusations par médias interposés et de discours parfois enflammés.
Même si les Tunisiens espèrent toujours que les discours touchent les questions qui préoccupent le plus leur vécu et d’avoir une meilleure appréciation sur la qualité des prétendants au cours des débats télévisés de trois jours, lancés samedi dernier, une certitude commence à se dégager laissant apparaître trois classes de candidats.
Selon les observateurs, il y'a d’abord ceux qui sont considérés comme les super favoris, ensuite ceux qui peuvent créer la surprise et enfin les outsiders.
Les premiers, qui sont le pur produit de l'establishment, ont derrière eux des partis, plus ou moins structurés et des machines électorales bien rodées. Les seconds, dont certains ont été propulsés sur la scène politique à la faveur de sondages qui ne sont pas tout le temps au-dessus de tout soupçon, forment un groupe hétérogène venant de tous bords. Leurs chances dépendront du comportement des électeurs, de leur capacité à séduire, à convaincre et à se démarquer des autres candidats du système qui se sont fourvoyés dans des combats dont l’issue risque de leur être fatale.
La surprise qu’ils peuvent créer provient du discours populiste que certains tiennent et des promesses fantaisistes qu'ils lancent, daignant oublier que les promesses électorales n'engagent que ceux qui les croient.
Les islamistes brouillent le paysage
Enfin, les troisièmes se sont lancés dans la course tout en étant convaincus qu'ils n'ont aucune chance de passer au second tour. Ils ont tenu à aborder cette échéance en courant le risque de se voir discréditer et de recevoir à nouveau une raclée.
Leur présence a brouillé davantage les cartes, creusé davantage les divisions au sein de leurs partis respectifs pouvant conduire à une grande dispersion des voix dont tirerait profit les formations qui ont une base stable et disciplinée, notamment le mouvement Ennahdha (islamiste).
Face à ce maelstrom, de nombreux prétendants, qui ont pris conscience du rôle de figuration qu'ils seront condamnés à jouer, commencent à entrevoir une porte de sortie plus ou moins honorable. Si certains n'écartant pas l'éventualité de se désister au profit des candidats les mieux en vue, d’autres préfèrent poursuivre ce cavalier seul et une dernière catégorie compte tirer profit de l'inexpérience de candidats qui ne font que multiplier les bourdes à travers des prestations catastrophiques dans les plateaux audiovisuels.
Youssef Chached, l’homme à abattre
Manifestement, les candidats favoris, même s’ils ne font pas l’unanimité chez l’opinion publique, possèdent des fortunes diverses mais ils ont pris une longueur d’avance sur les autres grâce aux atouts dont ils disposent. Leur carte maîtresse n’est autre que les moyens dont ils disposent, leur capacité de mobilisation et la machine électorale qu’ils ont réussi à mettre en place.
On peut citer dans cette catégorie Youssef Chahed, chef du gouvernement qui a délégué temporairement pouvoirs et candidat du parti "Tahya Tounes". Considéré parmi les favoris de ce scrutin, il est en même temps l’homme à abattre par la majorité des autres candidats à la course qui, à coup de révélations, de déclarations parfois fracassantes et d’évaluations sévères ne reculent pas à descendre en flamme sa gouvernance des affaires du pays pendant 3 ans.
En dépit de son bilan de trois ans d’exercice de pouvoirs en demi-teinte (en tant que chef de gouvernement), il soutient qu’il a sauvé le pays, à travers des réformes et une mobilisation continue d’une catastrophe annoncée. Son slogan de campagne "Une Tunisie plus forte", décline une vision de développement à moyen et long termes et des ambitions de se maintenir au pouvoir.
Candidat centriste "de la modernité", il dispose de soutiens qu’il a su tisser dans toutes les régions du pays et qui se recrutent de tous les milieux "même si 25% des Tunisiens seulement se déclarent satisfaits de sa gouvernance. Ces 25% mèneront Youssef Chahed à Carthage, car l'obtention d’un suffrage supérieur à 15% permet de passer au 2e tour", estime Mustapha Ben Ahmed, président du bloc parlementaire de "Tahya Tounes", le parti de Chahed.
Abdelkrim Zabdi, un candidat atypique
L'autre super favori n’est autre qu’Abdelkrim Zbidi, ministre de la Défense, candidat malgré lui à la présidence. Cette figure, dont le jeu politique rebute, a bénéficié, notamment après le décès du président Béji Caid Essebsi, de l’appui de Nidaa Tounes, d’autres partis centristes et d’un élan de sympathie parfois spontané auprès de la société civile et de la classe politique. Ce dernier n’a aucun parti derrière lui.
Ce candidat atypique, cette figure qui ne voulait pas être candidat, se présente comme un recours. Ses déclarations empreintes de spontanéité constituent une arme à double tranchons, lui valant des critiques parfois acerbes et même des questionnements chez ceux qui le soutiennent.
Il ne retient pas ses coups à l'égard de Youssef Chahed, qualifiant son bilan économique de "catastrophique", l’accusant sans détours qu’il est à l'origine de l'arrestation de Nabil Karoui, candidat du parti "Qalb Tounes" et provoquant une sorte de séisme en annonçant, mardi dans un entretien à la chaîne Hannibal TV, avoir avorté une tentative de "coup d'Etat" par une tentative de déclaration sous l'instigation d'Ennahdha notamment de vacance du pouvoir.
Cheikh Abdelfattah Mourou, le candidat des islamistes
Cheikh Abdelfattah Mourou, est le premier candidat qu'Ennahdha, présente à l'élection présidentielle depuis 2011. Figurant dans la liste des favoris, il soutient qu’il est "plus ouvert que le noyau dur d'Ennahdha" et que son programme n’est pas idéologique, mais plutôt basé sur "le pragmatisme, les intérêts et les besoins citoyens". Pour lui, "le président de la République est appelé, surtout dans cette période sensible qui constitue une étape décisive, à la création d’un climat de confiance, permettant aux Tunisiens de recouvrer leur "attachement à la vie".
Nabil Karoui, le candidat prisonnier
Deux autres candidats peuvent créer la surprise, ils représentent des courants divers. Nabil Karoui, actuellement en état d'arrestation pour blanchiment d’argent et Mehdi Jomaa, Président du parti "El Badil".
Le premier a été propulsé par les sondages comme l’une des figures qui pourraient créer la surprise et perturber l’establishment. Le timing de son arrestation, a été diversement interprété causant au chef du gouvernement et candidat à la magistrature suprême embarras et critiques acerbes. Même en prison, sa campagne n'a pas été interrompue et il reste, à la faveur de l'action humanitaire qu'il a entrepris depuis quelques années, le candidat qui pourrait créer la surprise et se trouver dans le sprint final.
Mehdi Jomaa, pour sa part sort un peu du lot, à la faveur de son discours pondéré et de la qualité du programme qu'il présente. Même s'il ne dispose pas d'un ancrage régional significatif, lui qui se définit comme "le nouveau système". Il soutient qu'il croit en un Etat moderniste, civil, faisant valoir que "l'Islam politique nuit à la politique et nuit à l'Islam".
Enfin, il y a les outsiders qui seront condamnés à jouer de la figuration. Paradoxalement, parmi ces dernier on peut mentionner le candidat Slim Riahi, qui, d'après un grand nombre d’analystes, est en train de jouer les trouble-fêtes en réglant ses comptes avec le chef du gouvernement, responsable de tous ses malheurs et aussi de la Tunisie.
De son exil doré à Saint Tropez (France), l’interview diffusée mercredi dernier par la chaîne "El Hiwar Ettounsi" a fait l'effet d’une bombe.
Il accuse le chef du gouvernement d’avoir une forte mainmise sur toutes les branches de la Justice tunisienne. Pour lui, Chahed se serait fait des "couloirs dans la justice à ses différents niveaux" en l'accusant d'avoir réussi à introduire et infiltrer la justice tunisienne à tous ses niveaux, pour y faire et en faire ce qu'il voudrait.
Riahi évoque même l'existence d'une "cellule au siège du chef du gouvernement", avec à sa tête un Juge, dont la mission serait de faciliter l’intrusion et l'infiltration du pouvoir de Chahed dans la justice.
En attendant le rendez-vous du 15 septembre, d'autres candidats continuent de s'agiter à l'instar des candidats de l’extrême gauche, de l’ex-président Moncef Marzouki, lâché par Ennahdha, de l'ancien chef de gouvernement Hamadi Jbali, qui a préféré quitter le parti islamiste ou Mohamed Abbou du courant démocratique, dont les chances, selon les sondages, restent négligeables et la présence ne peut que contribuer à l'effritement des voix sans plus.
* MAP