Sénégal : Deux manifestations prévues, troubles et inquiétudes, Internet réduit, consultas fermés, appels au dialogue, le point de la situation

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Une voiture incendiée à Dakar, le 5 juin 2023, alors que les manifestations se sont calmées quatre jours après qu'un tribunal sénégalais a condamné le chef de l'opposition Ousmane Sonko, candidat à l'élection présidentielle de 2024, à deux ans de prison pour "corruption de la jeunesse", mais l'a acquitté de viol et d'avoir proféré des menaces de mort. (Photo JOHN WESSELS / AFP)

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Dakar - Le Mouvement des forces vives du Sénégal "F24" (opposition), composé de partis politiques, d'organisations de la société civile et de personnalités indépendantes, a annoncé, lundi, l’organisation de deux manifestations les 09 et 10 juin.

Lancée mi-avril dernier, cette coalition qui regroupe plus de 100 organisations politiques et de la société civile a indiqué, lors d’une conférence de presse, qu’elle envisage d'organiser "une grande mobilisation pacifique le vendredi 09 juin à la place de la Nation à Dakar et à l’intérieur du pays et une manifestation sur la VDN (voie de dégagement nord à Dakar) le 10 juin".

Des manifestations spontanées ont suivi la condamnation jeudi de l'opposant Ousmane Sonko, candidat déclaré pour la présidentielle de 2024, à deux ans de prison ferme pour avoir poussé à la "débauche" une jeune femme de moins de 21 ans.

Un total de 16 personnes, 19 selon l’opposition, ont trouvé la mort, à Dakar et Ziguinchor (sud), et 500 personnes ont été arrêtées suite à ces actes de violence déclenchés depuis jeudi dans le pays, selon le ministère de l'Intérieur.

Le ministre de l'intérieur, Antoine Diome, avait indiqué, samedi soir sur la TFM, que les manifestations ont été infiltrées par des "forces occultes". "Il y a de l'influence étrangère et c'est le pays qui est attaqué", a-t-il dit sans préciser la partie étrangère mains faisant penser aux combattants russes de Wagner..

"Des installations vitales pour le fonctionnement du pays" ont été prises pour cible pour provoquer "un chaos", a-t-il déclaré, relevant que "les manifestants se sont délibérément attaqués à des installations névralgiques de notre pays".

Dakar ferme ses consulats à l'étranger

Le gouvernement sénégalais a annoncé mardi fermer provisoirement ses consulats généraux à l'étranger à la suite d'attaques contre un certain nombre d'entre eux sur fond de vives tensions sur le territoire national.

"Cette mesure conservatoire fait suite à la série d'agressions récemment perpétrées contre les missions diplomatiques et consulaires du Sénégal à l'étranger, notamment à Paris, Bordeaux (France), Milan (Italie) et New York", a indiqué le ministère des Affaires étrangères dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux.

Il fait état de "sérieux dommages", notamment à Milan où les machines de production des passeports et cartes d'identité ont été selon lui détruites.

Les consulats rouvriront "quand les conditions matérielles et sécuritaires le permettront", dit-il.

Cette fermeture prive des centaines de milliers de Sénégalais de l'étranger des services consulaires comme l'assistance ou la délivrance de passeports.

Le Sénégal a connu entre le 1er et le 3 juin ses pires troubles depuis des années après la condamnation à deux ans de prison ferme de l'opposant Ousmane Sonko dans une affaire de moeurs. Cette condamnation d'une personnalité populaire dans la jeunesse et les milieux défavorisés le rend en l'état actuel inéligible pour la présidentielle de 2024.

M. Sonko n'a cessé de crier au complot du pouvoir pour l'écarter de l'élection, ce que le pouvoir réfute.

Le pouvoir et l'opposition se sont rejeté la faute des violences. Le camp présidentiel a invoqué les appels à "l'insurrection" lancés selon lui par M. Sonko pour échapper à la justice. Il a dénoncé les troubles comme une entreprise de déstabilisation de l'Etat.

L'ONG de défense des droits Human Rights Watch a réclamé l'ouverture immédiate d'une enquête "indépendante et crédible" sur les violences".

Elle voit dans le déchaînement récent un "signe inquiétant" en vue de la présidentielle.

Lundi, trois intellectuels sénégalais de renom, Mohamed Mbougar Sarr, Boubacar Boris Diop et Felwine Sarr, ont imputé les violences à "la dérive autoritaire" du président Macky Sall et au projet qu'ils lui prêtent de briguer un troisième mandat en 2024, malgré les objections constitutionnelles d'un grand nombre.

Un conseiller du président, Yoro Dia, a répondu dans une tribune sur les médias en ligne en leur reprochant un texte "fondamentalement partisan" qui ignore les "appels permanents à l’insurrection" de la part du parti de M. Sonko.

"Ce texte, contrairement au «J’accuse» de Zola qui a été comme un «craquement d’une allumette dans une nuit noire» pour parler comme Mbougar, sera comme les traces d’un chameau dans une tempête de sable", a-t-il dit.

Le chef de l'Etat a jusqu'à présent gardé le silence sur les évènements, malgré les appels à une prise de parole de sa part.

Il a rendu tard lundi soir une visite non annoncée au khalife général des mourides, puissante confrérie religieuse, a rapporté le quotidien gouvernemental Le Soleil. Le khalife, Serigne Mountakha Mbacké, et les dignitaires religieux sont considérés comme exerçant une influence considérable en politique.

Le contenu des discussions n'a pas été divulgué. Mais "la sagesse de ses conseils (du khalife) dans certaines situations peut contribuer au retour de la paix et de la stabilité au Sénégal", dit Le Soleil.

Les Sénégalais à l'épreuve d'un monde avec internet réduit

Soxna Fall a vidé ses portefeuilles numériques dès qu'elle a pu. Les temps sont incertains au Sénégal après les violences de la semaine passée, y compris pour internet, et cette mère de famille ne sait pas à quel moment elle pourra à nouveau disposer de son argent.

Il sont nombreux à avoir fait de même à la première heure lundi après que le gouvernement eut annoncé la veille dans un communiqué de cinq lignes suspendre l'internet des données mobiles dans un contexte de vives tensions.

Cette mesure a impacté l'économie, déjà malmenée par les troubles qui ont agité le pays pendant trois jours, mais aussi le quotidien des Sénégalais, rappelant combien, même avec de faibles revenus, l'internet a pénétré leur vie.

En suspendant l'accès aux données à partir des téléphones portables après avoir restreint l'accès à des plateformes aussi populaires que WhatsApp, Facebook ou TikTok, le gouvernement a aussi conforté les accusations portées contre lui d'atteinte aux libertés au nom du maintien de l'ordre.

Dans le quartier des Maristes à Dakar, Soxna Fall est moins préoccupée pour le moment par ces grandes considérations que par la nécessité de disposer de liquide pour régler ses frais.

Comme de nombreux compatriotes, en temps normal elle recourt constamment sur son portable à l'un des principaux services de paiement et de transfert d'argent, Orange Money ou Wave, pour les opérations de tous les jours, jusque chez le boulanger.

Avec la coupure des données mobiles, cette facilité est remise en cause. Alors elle a "retiré tout son argent" de ses portefeuilles numériques Orange Money et Wave dans un des points de transfert d'argent qui abondent dans la capitale.

"Rien n'est sûr désormais, elles (les autorités) peuvent de nouveau couper l'internet à tout moment", sourit-elle, soulagée de tenir son argent dans ses mains.

Les coupures sont intermittentes. Il faut donc trouver le bon moment où le point de transfert est lui-même connecté. Juste avant elle, Maïmouna Sall, 28 ans, a fait comme elle, retirant 37.000 francs CFA (56 euros) d'un compte et 63.000 (96 euros) d'un autre, dans la même minuscule échoppe multiservices décorée d'affiches Orange Money, Wave, MoneyGram et Western Union.

Si les plateformes servent à bien des transactions, beaucoup d'autres se font encore en billets de la main à la main.

Pape Malick Diagne, le gérant de la boutique des Maristes, raconte avoir reçu entre la matinée et la mi-journée une trentaine de clients, tous venus procéder à des retraits.

Inquiétude pour le Hajj 

D'habitude, en début de mois, les clients viennent plutôt déposer leurs salaires. "Mais là, c'est tout le contraire. Depuis la coupure d'internet, les gens sont paniqués, et ils se précipitent pour retirer leur argent", explique-t-il.

Le Sénégal a connu entre le 1er et le 3 juin ses pires troubles depuis des années après la condamnation à deux ans de prison ferme de l'opposant Ousmane Sonko dans une affaire de moeurs qui paraît le rendre inéligible pour la présidentielle de 2024.

Il y a eu au moins 16 morts et des dégâts considérables. Le gouvernement a employé de gros moyens pour réprimer des heurts visant selon lui à déstabiliser l'Etat, et a indiqué avoir procédé à des centaines d'arrestations.

Comme les restrictions d'accès à internet, il a justifié la suspension des données mobiles par "la diffusion de messages haineux et subversifs".

De nombreuses ONG comme Amnesty International ou Human Rights Watch ont réclamé le rétablissement de l'accès à internet, en plus de l'arrêt de la "répression" exercée selon elles par les autorités.

Les restrictions imposées à internet touchent les Sénégalais au plus près. Les transferts d'argent de Sénégalais de l'étranger vers le pays jouent un rôle économique et social considérable. Des experts soulignent la dépendance de bien des entreprises non seulement à internet mais aux réseaux sociaux.

A quelques jours du premier vol pour le pèlerinage de la Mecque (vers le 26 juin), des voyageurs peinent à finaliser les dernières démarches.

Hawa Ly, 50 ans, a raconté ne plus avoir de nouvelles de son agence de voyage. "Nous ne savons toujours pas pour quel jour est programmé pour notre vol", confit-elle, inquiète. Imam Mbodj, lui, n'est même plus sûr de partir. "On est dans l'incertitude totale", dit-il.

Le Restic, un réseau d'entreprises des technologies de l'information et de communication, a pressé le gouvernement de lever toutes les restrictions. Les plateformes de messagerie instantanée (comme WhatsApp) sont des "leviers de travail pour des milliers d’entrepreneurs individuels à la recherche de revenus pour leur survie", a-t-il écrit.

20 organisations de la société civile invitent Sall et Sonko au ''dialogue direct’’

La Synergie des Organisations de la société civile pour la paix (SOS/Paix) a appelé le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall et l’opposant, Ousmane Sonko, dans une déclaration faite lundi à la presse, à entretenir ‘’un dialogue direct’’ en vue d’‘’une sortie de crise immédiate’’ au Sénégal, à la suite des violences ayant fait, selon un bilan officiel, 16 morts et des dégâts matériels importants.

‘’Pour une sortie de crise immédiate, nous appelons à un dialogue direct entre les deux principaux protagonistes de ces événements, le président de la République, Macky Sall, et l’opposant Ousmane Sonko, président de Pastef’’, affirment ces organisations dans cette déclaration relayée par l'agence de presse sénégalaise "APS".

SOS/Paix ‘’s’engage à rencontrer’’ les leaders politiques concernés, ‘’dans les plus brefs délais’’, pour ‘’faciliter une sortie de crise définitive’’, ajoute la Déclaration faite devant la presse par ses leaders, dont Boubacar Ba (Forum du justiciable), Moundiaye Cissé (ONG 3D), Ababacar Fall (GRADEC), le professeur Babacar Guèye (COSCE), Sadikh Niass (RADDHO), Abibatou Samb (ONDH), Cheikh Oumar Sy (OSIDEA) et Khady Fall Tall (AFAO).

Ces leaders de la société civile ont invité les deux parties à se parler "directement", à la suite d’émeutes ayant fait au moins 16 morts et d’importants dégâts matériels, selon un bilan du ministère de l'intérieur.

‘’Notre cher pays, le Sénégal, est dans une instabilité politique, sociale et économique permanente […] Les affrontements entre les forces de l’ordre et les manifestants ont occasionné une quinzaine de morts et d’importants dégâts matériels. Ils menacent gravement les fondements de la démocratie et de la République et remettent en cause la paix et la stabilité de notre pays’’, affirment les 20 organisations de la société civile dans cette déclaration.

Elles appellent ‘’les acteurs au calme et à la sérénité, pour un retour rapide de la paix et de la stabilité’’.

De même exhortent-elles ‘’le gouvernement à tout mettre en œuvre pour restaurer l’ordre et la sécurité des personnes et des biens, dans le strict respect des droits de l’homme’’.

Le professeur Babacar Guèye et les autres leaders de la société civile invitent aussi ‘’les acteurs de l’opposition et du pouvoir à privilégier un dialogue franc et sincère pour trouver des consensus forts, permettant de surmonter les épreuves que traverse notre pays’’.

Ils souhaitent que ‘’les acteurs politiques de tous bords’’ fassent preuve de ‘’plus de retenue en prenant des mesures de décrispation et en appelant les manifestants à s’abstenir de tout acte de violence’’.

SOS/Paix propose aux pouvoirs publics de ‘’réduire la population carcérale en libérant les détenus de délit mineur ou d’opinion’’.

Selon la Police nationale, quelque 500 personnes ont été arrêtées et 16 ont été tuées lors des manifestations.

‘’Nous saluons l’effort de retenue et de patience des forces de défense et de sécurité, malgré les incidents déplorables’’, déclarent les organisations de la société civile.

Elles invitent par ailleurs les autorités sénégalaises au ‘’rétablissement du réseau’’ Internet, qui fait l’objet de restrictions en raison des messages de ‘’haine’’ qu’il permet de véhiculer, selon le gouvernement.

Le commissaire Ibrahima Diop, directeur de la sécurité publique, a assuré dimanche que "la