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Sénégal : Echanges Blinken – Sall, Internet suspendu, des civils armés ont fait régner la terreur
Les restes carbonisés d'un véhicule dans une rue de Dakar le 3 juin 2023, suite aux violences meurtrières dans la capitale sénégalaise. Les Nations unies et l'Union africaine ont appelé au calme au Sénégal après une flambée de violence meurtrière qui a poussé les autorités à déployer l'armée.. (Photo Seyllou / AFP)
Dakar – Le secrétaire d'Etat américain, Antony Blinken, a déclaré s’être entretenu, mercredi, avec le chef de l’Etat sénégalais, Macky Sall, sur la situation politique qui prévaut au Sénégal après les manifestations violentes qui ont secoué le pays à la suite de la condamnation à deux ans de prison, de l’opposant Ousmane Sonko, a indiqué l'agence de presse sénégalaise officielle "APS".
'’Je me suis entretenu aujourd’hui au téléphone avec le président Macky Sall. Nous avons discuté de la situation politique au Sénégal’’, a déclaré le secrétaire d’Etat américain sur son compte Twitter, ajoute la même source.
Lors de sa conversation téléphonique avec le chef de l’Etat, M. Blinken a présenté ses ‘’condoléances pour ceux qui ont été tués lors des récents troubles’’. Washington a aussi ‘’réitéré son soutien au peuple sénégalais et aux valeurs démocratiques’’, note l'APS.
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L’opposant Ousmane Sonko, poursuivi en justice pour "viol" et "menaces de mort" sur la jeune dame Adji Sarr, a été condamné le 1er juin par la chambre criminelle du tribunal de Dakar à deux ans de prison ferme pour ‘’corruption de la jeunesse’’. Le juge lui a aussi infligé une amende de 600.000 francs CFA.
Dans la foulée de la condamnation de Sonko, de violentes manifestations ont éclaté à Ziguinchor (sud), ville dont il est le maire, à Dakar, et dans une moindre mesure dans d’autres villes du pays.
Les manifestants protestaient contre la menace d’inéligibilité que cette condamnation fait planer sur la tête du leader de Pastef-Les patriotes, candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2024.
16 personnes, (19 selon l’opposition), avaient été tuées au cours des manifestations survenues entre jeudi et vendredi et 500 manifestants ont été arrêtés, selon le ministère de l'intérieur.
‘’Cinq cent personnes ont été appréhendées aux cours des manifestations. Parmi elles, il y a des mineurs et des étrangers. Ces individus étaient […] armés et dangereux", avait déclaré le commissaire divisionnaire Ibrahima Diop, directeur de la sécurité publique.
Lors du Conseil des ministres tenu mercredi, le président de la République a demandé ''l’ouverture d’enquêtes judiciaires immédiates et systématiques pour faire la lumière sur les responsabilités’’ liées aux manifestations.
"Devant la gravité sans commune mesure des faits, le Président de la république a réitéré sa détermination à protéger la Nation, l’Etat, la République, ses valeurs, et ses fondements. Il a cet effet ordonné l’ouverture d’enquêtes judiciaires immédiates et systématiques pour faire la lumière sur les responsabilités liées à ces évènements’’, indique le communiqué du conseil des ministres.
Des hommes armés en civil fait régner la terreur pendant les troubles
Vidéos et témoignages se multiplient : des hommes en civil sont descendus de pick-ups, armés, et ont chassé des manifestants lors des troubles ayant suivi la condamnation de l'opposant Ousmane Sonko.
Samedi, un pick-up blanc est entré dans le quartier de Guinaw Rails Nord, dans la banlieue de Dakar, avec "une douzaine de personnes armées" et en tenue de ville à bord, raconte Ndery Niang, un vendeur de moutons qui a assisté à la scène. "Ils détenaient une liste de jeunes qui selon eux faisaient partie des manifestants et ils se sont lancés à leur poursuite".
Au moins trois jeunes du quartier avaient été tués la veille. La vidéo montrant Bassilou Sarr, 31 ans, tué d'une balle dans la tête selon plusieurs témoins, a été diffusée dans la zone.
Un autre témoin qui tait son nom parce qu'il craint pour sa sécurité confirme le récit de Ndery Niang. "J'ai la haine et j'ai peur", admet-il, "on sait qu'il y a des taupes".
Les violences qui ont secoué le Sénégal du 1er au 3 juin comportent une part de mystère, à commencer par les circonstances dans lesquelles 16 personnes ont été tuées et par qui. Pouvoir et opposition montrent du doigt le camp d'en face. Un jeune homme interrogé à l'hôpital où il a été admis après avoir été blessé à Pikine, un des foyers de l'éruption, également dans la banlieue dakaroise, a raconté s'être retrouvé au milieu des heurts alors qu'il circulait en charrette
Les pro-Sonko accusent le camp présidentiel d'avoir payé des "nervis" se déplaçant en pick-ups pour prêter main forte aux policiers et gendarmes et mater les contestataires. Policiers et gendarmes ont eux-mêmes été accusés de brutalités par les défenseurs des droits. Des images à l'authenticité non confirmée ont circulé montrant des policiers utilisant des civils comme boucliers humains pour se protéger contre les projectiles.
La bataille des images fait rage
Le gouvernement et la police ont montré des images d'hommes armés qu'ils affirment être des manifestants. Le gouvernement met en cause "des forces occultes", "des étrangers" qui veulent déstabiliser le pays, sans plus de précision.
Interrogé par l'AFP, Maham Ka, le porte-parole du ministère de l'Intérieur, indique que certains policiers travaillent en civil mais ajoute ne pouvoir en dire plus pour des raisons de sécurité. "Je ne connais pas ces personnes dans les pick-ups. Je ne peux pas confirmer qu’ils travaillent avec la police", dit-il.
Macky Sall silencieux s’adressera à la Nation
Le président sénégalais, Macky Sall, silencieux jusqu’à maintenant, soupçonné de vouloir rempiler pour un troisième mandat, a indiqué, mercredi, qu’il s’adressera à la Nation après le Dialogue national en vue d’en “partager les conclusions” et “donner les grandes orientations ”sur la ‘’consolidation de notre modèle démocratique et républicain’’, a-t-on appris de source officielle.
"Au terme du dialogue national, le président de la République a informé qu’il s’adressera à la Nation pour partager les conclusions, [qui devraient lui parvenir avant le 25 juin], et donner les grandes orientations qui permettront la consolidation de notre modèle démocratique et républicain", indique le communiqué du Conseil des ministres, parvenu à la MAP.
Devant le gouvernement, Macky Sall a fait part de ses ‘’remerciements à tous les acteurs politiques, économiques, sociaux, religieux et coutumiers, ainsi que les femmes et les jeunes qui ont répondu à son appel au dialogue’’.
Le dialogue national a été lancé le 31 mai dernier, à Dakar, par le chef de l’Etat en présence d’importantes personnalités politiques, religieuses et coutumières.
Plusieues leaders politiques, dont le chef de l’opposition Ousmane Sonko, ont rejeté l'appel au dialogue du chef de l’Etat.
L’ex-parti au pouvoir, le Parti démocratique sénégalais PDS de Abdoulaye Wade, et la coalition Taxawu Senegaal, dirigée par l'opposant Khalifa Sall, un ancien maire de Dakar, ont accepté de participer à la concertation.
L'Etat suspend Internet des données mobiles
Internet des données mobiles au Sénégal est suspendu temporairement sur certaines plages horaires en raison de la diffusion de messages "haineux et subversifs" dans un contexte de troubles à l’ordre public, a justifié le ministère de la Communication, des Télécommunications et de l’Economie numérique.
Dans un communiqué rendu public dimanche, le département de la Communication a informé que Internet des données mobiles est suspendu de façon « temporaire dans certaines localités du pays et sur certaines plages horaires ».
Les réseaux sociaux, comme WhatsApp, Facebook et Twitter, sont toujours coupés, mais le ministre de l'Intérieur a laissé entendre samedi soir qu'ils seraient rétablis quand la situation serait calmée.
A noter que les appels à la retenue et au dialogue se sont multipliés ces derniers jours, de la part de plusieurs pays, d'organisations internationales et de personnalités sénégalaises, tels que le chanteur Youssou N'Dour ou le footballeur Sadio Mané.
Dans une déclaration samedi soir à la chaine TFM, M. Diome a indiqué que le Sénégal a fait l'objet d'attaques "de forces occultes". "Il y a de l'influence étrangère et c'est le pays qui est attaqué", a-t-il dit. "Des installations vitales pour le fonctionnement du pays" ont été prises pour cible pour provoquer "un chaos", a-t-il ajouté en citant notamment l'usine de production d'eau Diender qui produit de 12000 mètres cubes d'eau.
Sonko se trouve dans sa maison à la Cité Keur Gorgui à Dakar après avoir été ramené dimanche dernier par les forces de l'ordre, alors qu'il conduisait une "Caravane de la liberté" de Ziguinchor (sud) vers la capitale.
Ousmane Sonko, candidat déclaré à la présidentielle de 2024, a été déjà condamné fin mars à six mois de prison avec sursis pour "diffamation" contre le ministre du tourisme. Cette condamnation à elle seule, si elle est maintenue en cassation, menace l'éligibilité de Ousmane Sonko à la Présidentielle du 25 février 2024.