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Sénégal: L'opposition a pu enfin manifester sans affrontements avec les forces de l’ordre
Des groupes de la société civile et des groupes politiques tiennent des pancartes lors d'une marche appelant les autorités à respecter la date de l'élection, à Dakar, le 17 février 2024. Le Conseil constitutionnel sénégalais a annulé le 16 février 2024 le report de l'élection présidentielle de ce mois-ci, une décision historique qui ouvre un champ d'incertitude pour ce pays traditionnellement stable d'Afrique de l'Ouest.. (Photo JOHN WESSELS / AFP)
Des milliers d'opposants ont pu manifester dans le calme samedi à Dakar, signe d'apaisement au Sénégal après deux semaines de tensions liées au report de la présidentielle du 25 février, ensuite invalidé par le Conseil constitutionnel.
Portant des T-shirts noirs marqués du nom du collectif citoyen ayant appelé à la marche, "Aar Sunu Election" ("Protégeons notre élection"), ou drapés aux couleurs du Sénégal, les manifestants ont brandi des pancartes sur lesquels on pouvait lire notamment "Respect du calendrier électoral", "Non au coup d'État constitutionnel" ou "Free Sénégal".
Les gendarmes ont quadrillé tout le secteur de la marche, mais contrairement aux précédentes manifestations, interdites, ils ne portaient pas de tenue anti-émeutes.
L’opposition criait depuis début février au "coup d’Etat constitutionnel". Mais depuis la décision jeudi du Conseil constitutionnel d’invalider le report de l’élection au 15 décembre et d'exiger qu’elle se tienne "dans les meilleurs délais" - ce qu’a accepté le président Macky Sall -, la situation s’est apaisée, comme en témoigne l'autorisation de cette manifestation.
"Libérez Sonko"
"Le mot d'ordre aujourd'hui, c'est la mobilisation", estime Malick Gakou, candidat à la présidentielle qui a participé à la marche. "L'État du Sénégal n'a plus le droit à l'erreur et il doit organiser l'élection au mois de mars pour que la passation de service entre le président Sall et le nouveau président puisse se faire le 2 avril", date de la fin du mandat du chef de l'Etat sortant.
La décision du président de se conformer à l'avis du Conseil constitutionnel "nous enlève beaucoup de stress", affirme dans la foule Maestro El Kangam, artiste-rappeur de 34 ans, drapé aux couleurs du Sénégal. "Personnellement je n'ai pas confiance en lui et j'attends de voir s'il respectera sa parole, s'il le fait il sortira au moins par la grande porte".
"Macky Sall dictateur", "Libérez Sonko", a scandé la foule d'hommes, de femmes et d'enfants dans une ambiance de fête.
Bien qu'absent, Ousmane Sonko, leader de l'opposition emprisonné, très populaire auprès des jeunes, a été omniprésent parmi les marcheurs chantant la célèbre chanson "Sonko namenaaalaa" ("Sonko tu nous manques").
A la fin de la marche, Aar Sunu Election a appelé dans un communiqué à "continuer la mobilisation en restant alertes, pour surveiller le déroulement intégral du calendrier républicain selon les dispositions légales".
Le "Collectif des familles de détenus politiques" avait également prévu une manifestation qui a été interdite et ses membres se sont joints à la marche de Aar Sunu Election, a indiqué l'un d'eux, Souleymane Djim.
Les précédentes manifestations organisées pour s’opposer au report de la présidentielle et au vote de députés fixant la date du scrutin au 15 décembre, toutes interdites, avaient donné lieu à des violences et de nombreuses arrestations. Trois personnes ont été tuées.
"Elections inclusives, libres"
La communauté internationale a fait part de son inquiétude et appelé à la tenue la plus rapide possible de la présidentielle.
Samedi, le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a souhaité la tenue d'"élections inclusives, libres et transparentes" dans les meilleurs délais.
Le mandat de Macky Sall s’achève le 2 avril et la présidentielle devrait théoriquement se tenir avant. Le chef de l’Etat a indiqué qu’il entendait mener "sans tarder les consultations nécessaires pour l’organisation de l’élection présidentielle dans les meilleurs délais", conformément à la décision du Conseil constitutionnel.
Chacun s'accorde à dire, y compris la Cour constitutionnelle qui n’a pas fixé de date, que l'élection n'est plus possible le 25 février.
Autre inconnue à part la date, l'identité des candidats à la présidentielle.
Les "Sages" ont homologué en janvier 20 candidatures, en invalidant des dizaines d'autres.
Or les vives contestations auxquelles a donné lieu ce processus et les accusations de corruption portées contre le Conseil constitutionnel par le candidat disqualifié Karim Wade, fils de l'ex-président Abdoulaye Wade, ont été l'un des arguments du camp présidentiel pour reporter l'élection.
Pour M. Wade et d'autres candidats éliminés, le report était une nécessité ou une aubaine.
Samedi, une commission d'enquête parlementaire, créée fin janvier par des députés pro-Wade et pro-Sall sur le rôle de deux juges du Conseil constitutionnel dans la désignation des candidats à la présidentielle reportée, a mis fin à ses travaux, a annoncé l'Assemblée nationale.
Par ailleurs, après la libération ces derniers jours de plusieurs dizaines d'opposants, la pression pourrait rapidement augmenter pour que soit aussi relâché le candidat antisystème et membre du Pastef (dissous) Bassirou Diomaye Faye, prétendant sérieux à la victoire bien que détenu.