Trente ans après la fin de l’apartheid, les Sud-africains toujours en quête d’égalité - Par Hamid AQERROUT

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Les visages de l’aridité en Afrique du Sud où l’apartheid a cédé la place à la ségrégation économique

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Par Hamid AQERROUT (MAP)

Johannesburg - Il y a 28 ans, les Sud-Africains ont voté lors de la première élection démocratique du pays, qui a ouvert la voie à un nouveau gouvernement démocratique après l’ère de l’apartheid. Mais trois décennies après, de nombreux citoyens se demandent encore si la Journée de la liberté valait toujours la peine d'être célébrée le 27 Avril, car beaucoup ne se sentent pas réellement libres.

Au fil des ans, l'idéal de liberté devient un espace de plus en plus contesté et débattu dans une Afrique du Sud ensanglanté et gangrénée par la corruption, la criminalité, l'injustice, la discrimination et une crise économique très aigue.

Liberté politique, mais inégalité toujours

Aux débuts grisants de la démocratie, beaucoup ont soutenu que la liberté implique que les jours sombres et oppressifs d’avant 1994, la peur et les combats étaient terminés et cela aurait dû l'être.

Il y a eu des sentiments mitigés à propos des commémorations de cette année, beaucoup se demandant ce qu'il y a à célébrer alors que le pays est meurtri par un taux de chômage record de 35,3 pour cent, la violence sexiste et bien d’autres maux. En 2015, plus de la moitié des Sud-africains vivaient sous le seuil de pauvreté, alors que le taux de meurtres était de 58 personnes par jour en 2020, faisant de l’Afrique du Sud l’un des pays les plus violents au monde avec comme premières victimes les femmes et les enfants.

De surcroit, l'incapacité des gouvernements successifs de fournir une éducation et des soins de santé décents à des millions de citoyens nuit également à l'idéal de liberté. Avec 80% de la population utilisant les soins de santé publics, les Sud-africains sont confrontés à des infrastructures en ruine et à une pénurie de médecins, d'infirmières et d'établissements qualifiés.

Il va sans dire que la liberté politique n'a pas comblé le fossé de l'inégalité. Elle l’a au contraire exacerbé. En effet, près de 30 ans après la fin du régime ségrégationniste de l'apartheid, les Blancs gagnent en moyenne trois fois plus que les Noirs, selon un rapport des statistiques nationales. Il n'est pas surprenant que les citoyens accordent une grande importance à l'égalité en tant que principe démocratique essentiel, car l'Afrique du Sud est toujours considérée comme la société la plus inégale au monde .

Le parti de Mandela en perte de vitesse

Des faits que le Président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a lui-même reconnu en déclarant, à l’occasion de la célébration de la Journée de la liberté, que bien que le pays dispose de lois pour promouvoir les droits des enfants et des personnes handicapées et combattre la violence sexiste, «nous ne sommes pas encore là où nous voulons être».

Pour le porte-parole du Parlement, Moloto Mothapo, même si le pays a fait des progrès, il doit encore surmonter de nombreux défis. «Nous devons surmonter nos obstacles et repousser les frontières du chômage, de la pauvreté, des inégalités et de la violence à l'égard des femmes et des filles qui continuent de caractériser la vie de la majorité des Sud-africains», a-t-il dit.

Julius Malema, leader des combattants pour la liberté économique (EFF), estime que le Jour de la liberté n'avait aucun sens pour les femmes sud-africaines et pour de larges couches de la société, arguant qu’«il n’y a pas de liberté politique sans liberté économique».

D’autres encore font prévaloir que l’Afrique du Sud a une façade de démocratie, couplée à un non-événement d'indépendance, parce que, disent-ils, «la liberté politique a été caractérisée par un règlement négocié dans lequel les auteurs des crimes odieux de l'apartheid n'ont jamais été tenus pour responsables".

Pour preuve, font-ils constater, la majorité des mines restent contrôlées par des intérêts étrangers, tandis que les banques, le secteur financier et la bourse de Johannesburg sont toujours sous l'emprise ferme d'une communauté des blancs.

De ce fait, certains hommes politiques comme Malema affirment que «la liberté politique obtenue en 1994 n'a plus de sens, car ceux qui contrôlent notre économie ont finalement déterminé notre trajectoire politique et économique».

Alors que l’Afrique du Sud célèbre le Jour de la liberté pour se remémorer de la fin de l’apartheid, les Sud-africains continuent à délégitimer le système démocratique mis en place au motif qu'il n'a pas répondu aux attentes du rêve de 1994. En atteste la faible participation aux élections locales de novembre dernier qui ont vu le Congrès National Africain (ANC), parti historique au pouvoir depuis la fin de l'apartheid, passer pour la première fois sous la barre des 50 %.

Une rhétorique populiste et antidémocratique plus forte commence alors à prendre racine dans le pays de Nelson Mandela.

 

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