Tripoli, jadis ''Kandahar'' du Liban, rebaptisée la ''mariée de la révolution''

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Ville côtière du Liban autrefois perçue comme un "nid d'extrémistes", Tripoli est devenue le lieu des manifestations antigouvernementales les plus festives, avec des milliers de jeunes chantant et dansant tous les jours jusque tard dans la nuit.

Depuis le début de la contestation la semaine dernière au Liban contre la classe politique, la précarité et les taxes, la foule compacte rassemblée place Al-Nour dans le centre de la capitale du Nord se déhanche au son des basses du coucher du soleil jusqu'au bout de nuits euphoriques.

Des scènes inédites dans cette ville musulmane sunnite relativement conservatrice, surnommée un temps la "Kandahar" du Liban, en référence à la ville afghane et lieu de naissance spirituelle des Talibans.

Sur la place Al-Nour, où trône une imposante sculpture formant le mot "Allah" (Dieu), un DJ officie depuis un balcon surplombant une marrée humaine illuminée par les lampes torches des milliers de téléphones portables. Limonade et friandises gratuites sont distribuées. 

Des slogans et des hymnes populaires sont repris en chœur comme la chanson révolutionnaire italienne "Bella Ciao", écrite en 1944, popularisée auprès des jeunes par la série Netflix espagnole La Casa de Papel et reprise aussi dans les manifestations en Algérie et à Barcelone.

Pour Mahdi Karima, aux platines place Al-Nour, le concept de manifestation-fête a gagné le reste du pays où les Libanais mobilisés par centaines de milliers depuis le 17 octobre, expriment leurs doléances et frustrations sur fond de musique électro.

"Tous les Libanais ont parlé du caractère civilisé des manifestations à Tripoli", se réjouit le DJ de 29 ans.

"Cette révolution a brisé les stéréotypes de la ville."

"Surprise" 

Généralement perçue comme un foyer de misère sociale --plus de la moitié des ménages sont pauvres-- et de radicalisme religieux, la deuxième ville du Liban a été ces dernières décennies le théâtre de violences intercommunautaires et d'attentats attribués à des groupes islamistes.

En 2011, des centaines de ses fils ont rejoint les combattants dans leur guerre contre le régime de Bachar al-Assad en Syrie voisine. En 2014, l'armée libanaise a mis en place un plan qui a permis un retour du calme mais Tripoli a quand même gardé sa réputation de bastion extrémiste.

Après des années d'interviews d'extrémistes et de reportages montrant des enfants en armes, les médias découvrent aujourd'hui un nouveau visage de la ville : celui de la fête, qui a dopé le mouvement contestataire à l'échelle nationale. 

"Tout le monde avait peur de venir à Tripoli parce que les gens pensaient que c'était une ville islamique conservatrice", rappelle Amal, une étudiante de 22 ans.

Mais ses "habitants ont surpris tout le monde au Liban et à l'étranger. Nous avons brisé leurs préjugés."

- "Opprimée" -

Des images de la foule en transe ont envahi les réseaux sociaux et sont retransmises en direct par les chaînes locales, incitant les habitants des régions voisines, y compris chrétiennes, à rallier les rangs des manifestants. 

La ville a été baptisée par plusieurs manifestants "la mariée de la révolution". 

Cela ressemble vraiment à un mariage", confirme Mahmoud Shawak, l'un des organisateurs de manifestations âgé de 50 ans. 

A l'instar d'autres régions du Liban, les manifestants à Tripoli ont conspué leurs chefs communautaires traditionnels qui comptent parmi les hommes les plus riches du pays. 

Dans les rues, ils ont déchiré les portraits et affiches de leurs députés au rythme de slogans divers, dont celui phare du Printemps arabe: "le peuple veut la chute du régime". 

Marginalisée depuis des décennies par le pouvoir, Tripoli est l'une des villes les plus démunies du pays. Selon une étude de l'ONU datant de 2015, 57% de sa population vit au niveau ou en dessous du seuil de pauvreté et 26% des habitants souffrent d'extrême pauvreté. Le conflit syrien n'a fait qu'aggraver la situation. 

"Tripoli se révolte parce qu'elle est négligée et opprimée", déplore Nafez Mouqadam, un médecin de 60 ans. "Le pays sera détruit si la classe dirigeante reste en place."