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Tunisie - gouvernement tunisien : L’improbable compromis
Tunis - Au moment où il ne reste qu'à peine 17 jours pour clore des concertations fastidieuses et tendues engagées pour la formation du gouvernement tunisien qui mettra fin à plus de 4 mois de vide politique, le processus semble plus que jamais grippé, voué à un nouvel échec.
En se référant aux déclarations des leaders des partis politiques, un éventuel compromis parait improbable, tant le pays semble s'orienter inexorablement vers des élections anticipées et seul un miracle de dernière minute pourrait sauver la mise et éviter au pays des tourments dont il n’a ni les moyens ni la force de supporter.
Le désaccord entre le président de la Tunisie et le président d’Annahda
Le dialogue engagé par le chef de gouvernement désigné Elyes Fakhfakh, semble arriver à une voie sans issue. Les partis qui ont entre leurs mains les clefs du vote de confiance opposent, aujourd’hui, leur véto critiquant la méthodologie adoptée, l’exclusion des négociations du parti "Qalb Tounes", deuxième en termes de nombre d’élus et, "last but not least", le choix même de Fakhfakh, que Rached Ghannouchi président du mouvement Ennahdha a estimé « qu’il n’est pas la personnalité la plus apte pour s’acquitter de cette mission délicate et complexe ».
Derrière ce blocage, au demeurent prévisible se cache une guerre non déclarée entre deux personnes, deux visions et deux projets.
Un profond désaccord, il n’y a pas longtemps latent, mais qui n’est plus tu, révélant un antagonisme entre le Président Kaies Saied et le Président du parlement Rached Ghannouchi. Chacun essaie de marquer son terrain, d’affirmer sa légitimité et le pouvoir dont il est loti.
Ghannouchi entend imposer sa loi par le pouvoir que lui donne son poids dans le parlement et manifester son désaccord avec les choix faits par le président de la République et le chef de gouvernement désigné, exigeant avec force la formation d’un gouvernement d'union nationale, l’élargissement des consultations tout en cherchant à faire prévaloir que la légitimité du gouvernement vient avant du parlement et non du président de la république.
Face à cet imbroglio, tout le processus de formation du gouvernement reste suspendu à un improbable compromis de dernière minute, à un sursaut d’orgueil de tous les acteurs politiques, toutes tendances confondues, à ne pas verser le pays dans le scénario du pire, celui de la chute du gouvernement et de l’organisation de nouvelles élections législatives anticipées.
Toute la question est de savoir comment tous les protagonistes vont pouvoir trouver une sortie honorable qui épargnerait le gouvernement d’être l’otage du chantage politique des partis politiques, l’otage de conflits d'influence et l’otage de de certains de consacrer l'exclusion et de confisquer la volonté populaire.
Des négociations dans le désenchantement
Dans ce climat délétère marqué par un échange aigre-doux entre les parties impliquées, une forte tension et une certaine résignation, il est difficile de préjuger de l’issue finale du processus enclenché par le chef de gouvernement désigné, "coupable" pour certains, d’avoir sorti de sa neutralité, abattu prématurément toutes ses cartes et de déclarer son rangement dans le camp de l’occupant du palais de Carthage.
Au moment où le dialogue, entre les neufs partis engagés dans la formation du gouvernement, est bloqué ou presque, l'équipe de Fakhfakh entame, dans une sorte de désenchantement, la troisième et dernière phase.
Le chef du gouvernement désigné a accompli un autre pas en avant adressant une correspondance invitant les partis à proposer en l’espace de 24 heures seulement leurs candidats au gouvernement.
Dans sa correspondance, il a fixé les règles du jeu, insistant sur la nécessité de respecter l’équilibre entre les personnalités partisanes et indépendantes, soulignant que les départements de la Défense et des Affaires étrangères ne feront pas l’objet de négociations et précisant qu’il se chargera en personne de désigner des personnalités indépendantes pour les portefeuilles de la Justice et de l’Intérieur.
Il a en sus fixé les critères qui devraient présider au choix des candidats qui devraient satisfaire des conditions de compétence, d'intégrité, de niveau académique et de leadership.
Il est à noter qu’un bonus sera donné pour le poids parlementaire de chaque parti dans la répartition des portefeuilles ministériels.
Le chef d’Ennahdha et président du Parlement, Rached Ghannouchi qui a boudé les réunions organisées par Elyes Fakhfakh sur le programme du gouvernement, est très vite monté au créneau, rompant son silence et n’hésitant pas à adresser ses flèches aussi bien à la présidence qu’au chef de gouvernement désigné.
Tout en réitérant son refus catégorique de l’exclusion de "Qalb Tounes" affirmant mercredi devant les médias que "le gouvernement ne passera pas si le chef du gouvernement désigné, Elyes Fakfakh écarte -Qalb Tounes-".
Il a tenu à rappeler que le pays a besoin de coalitions dans le cadre d’une union nationale et qu’il n’y a aucun motif pour que Fakhfakh écarte des partis et leur impose de se ranger du côté de l’opposition.
En haussant le ton, Ennahdha cherche à éviter le fait accompli et à donner un signe aux partis, notamment "Attayar" de Mohamed Abbou ( socio-démocrate) et "Echaab" de Zouheir Magzaoui (Nassérien) que rien ne passera sans son aval et que leur rejet du gouvernement Habib Jemli au parlement lui est resté en travers la gorge.
D’ailleurs, lors de la réunion du 3 février dernier consacrée à l’examen de la version révisée du document contractuel du gouvernement qui a vu la présence de neuf partis politiques, Ennahdha a annoncé la couleur signifiant au préalable son refus de signer le document en question et appelant le chef de gouvernement désigné à élargir les concertations et à inclure "Qalb Tounes" dans son gouvernement.
"Machrou Tounes" (centriste) a fait de même annonçant son retrait pur et simple de ces concertations arguant l’existence de nombreuses lacunes dans la mise en œuvre du processus et de l’ambigüité de la démarche d’Elyes Fakhfakh qui "devient prisonnier des directives d’une poignée de partis politiques".
Les islamistes haussent le ton
Tout en restant serein et calme, le chef de gouvernement désigné n’a pas cherché à polémiquer. Il a laissé Fathi Touzri, son proche conseiller à répondre à certaines déclarations considérées gênantes en en estimant qu’à travers ses déclarations "Rached Ghannouchi a quitté les négociations".
Bien plus, il a affirmé que les dés sont jetés et que "Qalb Tounes" est définitivement écarté du processus de concertations, soutenant que le fait "d’élargir les concertations n’est pas une bonne approche et le but n’est pas le passage du gouvernement. Elyes Fakhfakh ne veut pas d’un gouvernement voté par 109 députés, il ne tient pas à former n’importe quel gouvernement mais veut réaliser les aspirations exprimées lors des élections de 2019", conclut Fathi Touzri. Devant cet imbroglio, les analystes craignent le fait que le pays se dirige droit vers des élections législatives anticipées.
Même si cette éventualité est redoutée et considérée comme le scénario du pire, la brouille qui prévaut actuellement laisse croire que cette solution extrême n’est plus exclue.
Le vice-président de l'Instance supérieure indépendante des élections (Isie), Farouk Bouasker a fait savoir l’Instance est prête à tous les scénarios bien que l’éventualité de la tenue de nouvelles élections législatives soit très improbable.
Les dispositions de l’article 89 de la Constitution font que le compte à rebours pour le vote de confiance au parlement prendra fin le 15 mars 2020. En revanche, un flou persiste, puisque la Constitution ne mentionne pas si l’on peut désigner un autre chef et proposer un autre gouvernement entre ces deux dates et ne prévoit pas ce qui se passe si le président rejette cette option et ne propose plus aucune date butoir dans ce cas.
Dans un tel cas, on estime que le 1er mai 2020 serait la date minima pour organiser de nouvelles législative et le 15 juin 2020 en tant que date butoir pour organiser ces élections.
Néanmoins, le chef de gouvernement en exercice Youssef Chahed tire la sonnette d’alarme sur l’impact catastrophique sur le pays d’un éventuel recours à des élections législatives anticipées.
Pour lui, "la situation du pays ne peut pas supporter une période transitoire de plus de quatre mois".
Pour Chahed, "la période transitoire n’a que trop durée", soulignant que l’absence de clarté a obligé le gouvernement à gérer les affaires courantes dans des conditions très difficiles".
Seul sursaut d’orgueil des différents acteurs politiques pourrait épargner le pays d’une telle situation. Pour un grand nombre de Tunisiens, il faut continuer à espérer et prier.