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Tunisie : Des législatives écrasées par la présidentielle et le ras le bol des anciens du régime
Tunis - Si le 1er tour de la présidentielle du 15 septembre dernier a sonné le glas de la classe politique traditionnelle, les législatives pourraient, avec une inflation de listes des indépendants et de faux indépendants, enfoncer le pays dans une instabilité politique durable.
Les élections des membres du deuxième parlement après 2011 prévues le 6 octobre prochain pourraient se transformer en une sorte de duplication du premier tour de la présidentielle.
La seule différence réside néanmoins dans l’inflation de listes des indépendants et de faux indépendants en compétition dont la présence contribuera inévitablement à brouiller davantage la donne et transformera ce scrutin indécis en une épreuve cruciale pour l’avenir de la transition démocratique de ce pays maghrébin.
La vague populiste observée dans les résultats du 15 septembre dernier risque de se renforcer avec le grand nombre de listes indépendantes qui bénéficient de plus en plus d'un préjugé favorable chez les électeurs qui risquent de sanctionner une fois de plus les partis traditionnels.
Pour éviter un tel scénario « catastrophes », les manœuvres se sont multipliées pour éviter sinon atténuer l'impact d'un autre séisme politique. D’où les appels à l'unité des forces centristes et démocrates pour barrer la route devant un aventurisme qui peut encore aggraver l'instabilité politique et les difficultés économiques et sociales du pays.
En attendant le 6 octobre prochain, le déroulement de la campagne des législatives se fait dans une sorte d’indifférence générale. La transfiguration du paysage politique à l’issue du premier tour de la présidentielle a eu pour effet d’écraser ce scrutin pourtant crucial et dont l’importance n’échappe à personne.
Cette situation est d’autant plus paradoxale que les législatives sont considérées comme des élections clef. La constitution de 2014 accorde les pleins pouvoirs à l'Assemblée des Représentants du Peuple dont les 217 membres décident du choix du président du gouvernement et doivent accorder leur confiance à chacun des ministres.
Une bataille sans merci
D'une manière générale 15.737 candidats seront le 6 octobre prochain en course pour pourvoir 217 sièges. La répartition des 1.503 listes en compétition pour les ces sièges au parlement donne le tournis : 673 listes sont partisanes, 312 de coalition et 518 menés par des indépendants.
Sur ce total, 1.340 listes sont en Tunisie et 163 à l'étranger. En 2014, faut-il rappeler, on a compté 15.652 candidats sur 1.500 listes (910 partisanes, 472 indépendants, 158 de coalition).
Pour les régions électorales, elles ont été réparties en 33 circonscriptions, 27 en Tunisie et 6 à l’étranger. Par ailleurs, l’Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) a défini le calendrier de ce scrutin.
La fin de la campagne électorale à l'intérieur de la Tunisie est fixée pour le 4 octobre 2019, le dernier délai pour l’annonce des résultats préliminaires des législatifs est prévu pour le 10 octobre, enfin l’annonce des résultats définitifs ne devrait pas dépasser le 13 novembre 2019.
Si tout est mis en branle pour la réussite de cette échéance et la garantie de sa transparence, il n’en demeure pas moins vrai que sur le terrain, les différentes forces politiques appréhendent ses résultats et redoutent ses surprises.
Outre le poids prééminent des listes indépendantes, l’émergence de mouvements à l’instar de "Ich tounsi" qui ont entrepris depuis des mois une campagne agressive qui a investi toutes les régions et tous les médias et de candidats issus de la société civile, laisse augurer d’une bataille sans merci.
Le favori de la présidentielle : « Pas concerné par les législatives »
En raison du caractère imprévisible de cette échéance, une sorte de précipitation des alliances, des initiatives de dernière minute et des tentatives de ressouder le camp de la famille démocrate et moderniste a été enregistrée. La classe politique, celle qui a laissé des plumes notamment le 15 septembre dernier, les élites et observateurs avertis expriment des craintes, des questionnements sur les risques qui en découleraient d’une nouvelle poussée populiste et d’un éventuel basculement du pouvoir à leur profit.
Ce qui accroît ces appréhensions, ce sont justement les déclarations parfois inattendues des nouveaux acteurs propulsés aux devants de la scène politique. Kais Saied, qualifié en pole position pour le second tour de la présidentielle et recevant notamment un large appui, dont celui d’Ennahdha (islamiste), a surpris tout le monde en annonçant lors d’une réunion à ses partisans qu'il n'est "pas concerné par les législatives".
Pour lui, soutenir ces élections va à l’encontre de ses convictions et ses principes voire même se présente en contradiction avec le projet qu’il a présenté aux Tunisiens.
Même si certaines parties sont en train de pousser Kais Saied à apporter explicitement son soutien à leurs listes électorales (essentiellement islamistes) en lui assurant, en contrepartie, une ceinture parlementaire dont il aura besoin une fois investi président de la république, ce dernier a rejeté ces offres, réitérant son engagement à rester à l’écart des tiraillements politiques et des tractations autour des législatives.
Le chef du gouvernement, Youssef Chahed, candidat malheureux de "Tahya Tounes", a essayé de tourner vite la page de la présidentielle appelant la famille centriste et notamment ses frères d’arme à l’impératif de l’unité pour éviter que le pays ne saute dans l’inconnue.
Il soutient qu’il y a encore un espoir avec les élections législatives, parce que le pouvoir est au Bardo et à la Kasbah.
Son appel à l’autre candidat de la présidentielle Abderlkerim Zbidi (ancien ministre de la Défense), ne semble pas trouvé l’écho souhaité.
La pagaille de plusieurs années
Il justifie son appel par le fait que le modèle proposé par les personnes qui gravitent autour du candidat Saied fait, selon ses dires, peur.
Il affirme sans détours que, "quand je vois des gens qui le soutiennent ont une vision différente du terrorisme de la notre, qui veulent mettre fin à l’état d’urgence pour qu’il ne soit plus utilisé pour arrêter les terroristes. Si ces personnes-là gagnent et libèrent les 300 terroristes arrêtés, cela me fait peur, car cela va changer le modèle social tunisien".
Cet appel a provoqué une réponse cinglante. Le directeur de campagne du candidat Abdelkarim Zbidi, Faouzi Abderrahman a estimé que ceux qui appellent au rassemblement n’ont rien compris, car étant eux-mêmes le problème, ils ne peuvent être la solution.
Il soutient que "ce n’est pas en quelques jours qu’on va régler la pagaille de plusieurs années, et celui qui appelle au rassemblement et à l’entente n’a rien compris puisque celui qui est le problème ne peut être la solution".
L’autre parti "Qalb Tounes", dont le président et néanmoins candidat retenu pour le 2ème tour, reste en détention pour "blanchiment d’argent" et "évasion fiscale" poursuit sa campagne pour les législatives avec le même allant et le même engagement.
Les candidats des différentes listes de ce parti continuent à sillonner les régions et à présenter leur programme qui s’articule autour de trois mots clef : Education, santé et lutte contre la pauvreté.
Même si le parti islamiste "Ennahdha", qui a accusé le coup lors de la présidentielle, tente de reprendre le poil de la bête, il n’en demeure pas moins qu’il est en train de perdre ses repères et ses certitudes.
En accordant son soutien au candidat à la présidentielle Kais Saied, il cherche à en tirer des dividendes et à regagner l’estime d’un électorat qui lui était acquis mais qu’il a perdu.
Pour nombre de spécialistes, il n’est pas exclu que la coalition "Al Karama" (Dignité), piloté par l’avocat Seif Eddine Makhlou (islamiste) fasse une percée au Parlement.
Paradoxalement, ce jeune avocat est en train de percer à la faveur de son discours populiste et à fort relent souverainiste (anti-français) séduit les jeunes qui en ont "assez d’être gouvernés par des gens de l’ancien régime".
Dans toute cette cacophonie, le scrutin du 6 octobre prochain présente les mêmes similitudes que celui du 15 septembre dernier. Ses résultats ne sont pas connus d’avance et si la vague populiste arrive à poursuivre son ascension, le pays risquerait de payer les frais en instabilité politique et conflits sociaux.