Tunisie : la reprise en main du président fait craindre un recul des libertés

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Photo fournie par la présidence tunisienne le 4 août 2021 montrant Kais Saied avec des membres de la Garde nationale à Bir Bour Rekba, à une soixantaine de la capitale tunisienne

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Arrestations, interdictions de voyage et assignations à résidence visant magistrats, députés et hommes d'affaires: la "purge" anticorruption enclenchée par le président depuis sa reprise en main en juillet d’une Tunisie à la dérive, suscite inquiétudes et craintes d'un recul des libertés.

Depuis cette décision choc de suspendre le Parlement pour un mois et de limoger le Premier ministre Hichem Mechichi, le président Kais Saied n'a toujours pas nommé de nouveau gouvernement ni dévoilé sa "feuille de route", réclamée par plusieurs partis politiques, en grande partie responsables de la situation actuelle et organisations de la société civile.

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Des partisans du parti d'inspiration islamiste Ennahdha manifestent contre le président tunisien Kais Saied à Tunis, le 26 juillet 2021

Plusieurs hommes politiques, hommes d'affaires, magistrats ou députés --dont l'immunité a été levée par M. Saied-- affirment avoir été interdits de voyage à l'aéroport de Tunis, voire avoir été assignés à résidence sans communication préalable.

"La liberté de déplacement est un droit constitutionnel que je m'engage à garantir", a assuré cette semaine le président Saied. "Mais certaines personnes devront rendre des comptes à la justice avant de pouvoir voyager."

Théoricien du droit, Kais Saied se présente depuis son arrivée au pouvoir en 2019 comme l'interprète ultime de la Constitution, et s'appuie sur son article 80, qui envisage des mesures exceptionnelles en cas de "péril imminent" à la sécurité nationale, pour justifier les mesures prises.

"Dérive" 

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Des partisans du président tunisien Kais Saied, le 26 juillet 2021 à Tunis

Mais pour Sana Ben Achour, professeure en droit public, certaines mesures s'apparenteraient à un "coup d'Etat".

Kais Saied "a le pouvoir et, pour lui, il est le seul apte à interpréter la Constitution" et détient donc tous les pouvoirs, a-t-elle récemment affirmé à des médias locaux.

Face à ces accusations, M. Saied répète régulièrement agir strictement "dans le cadre de la loi" et de la Constitution adoptée en 2014.

Nombre de Tunisiens ont eux accueilli avec enthousiasme les mesures de M. Saied: exaspérés par leur classe politique, ils attendent des actes forts contre la corruption et l'impunité dans un pays où la situation sociale, économique et sanitaire est très difficile.

Mais opposants, partis politiques, magistrats et avocats qui craignent une "dérive autoritaire" exhortent le président à présenter sa stratégie, alors que les mesures exceptionnelles sont "renouvelables" après 30 jours.

Dans un communiqué, 45 magistrats ont notamment dénoncé "l'affreuse atteinte gratuite et sans précédent à l'encontre de la liberté de circulation et de voyage" visant certains de leurs confrères, "en l'absence de toute procédure judiciaire".

"Mesure arbitraire" 

L’islamiste Ennahdha, principal bloc parlementaire et adversaire du président, a aussi dénoncé l'assignation à résidence non justifiée par le ministère de l'Intérieur d'Anouar Maarouf, un ex-ministre et l'un des dirigeants de ce mouvement.

Le Courant démocratique, parti social-démocrate qui a plusieurs fois soutenu M. Saied, a affirmé qu'un de ses députés avait été interdit mi-août de se rendre en France, où réside sa famille. Il a dénoncé une "mesure arbitraire (...) sans décision judiciaire ou administrative".

Selon l'ONG tunisienne "I-Watch", 14 députés sont poursuivis ou ont été récemment condamnés pour divers crimes et délits, dans des affaires de fraude fiscale, escroquerie, soupçons de corruption, conflit d'intérêt ou même harcèlement sexuel.

Parmi eux se trouvent Yassine Ayari, un député indépendant condamné par un tribunal militaire en mars 2018 pour avoir critiqué l'armée, mais aussi Fayçal al-Tebbini, un autre indépendant jugé pour diffamation.

Au lendemain du coup de force du président, des policiers ont fermé, sans explication, le bureau de la chaîne qatarie Al-Jazeera à Tunis,  proche d'Ennahdha, sachant que Doha est le fief médiatique des Frères musulmans.

"Ecartant du pouvoir Ennahdha et ses alliés qui ont mené le pays à la situation dramatique qu’il connaît, il (M. Saied) ne doit pas pour autant se sentir libre (...) de donner le coup de grâce à la jeune démocratie à bout de souffle", a résumé samedi sur Facebook Kamel Jendoubi, un ancien ministre et défenseur des droits humains.

Alors que la suspension d'un mois du Parlement arrive bientôt à son terme, M. Saied devrait s'exprimer dans les prochains jours.

Selon Mme Ben Achour, il est probable qu'il prolonge cette suspension et décide d'une nouvelle organisation, provisoire, des pouvoirs publics.

"Ca ne sera donc pas une histoire de 30 jours. (...) Ça peut durer des années", dit-elle.