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Tunisie : Les réformes politiques qui divisent
Pour contrer le président, un "Front de salut national" a été créé par Nejib Chabbi, un ancien opposant du président Ben Ali. Il est composé de cinq partis politiques, dont Ennahda, et de cinq associations (Photo AFP)
Tunis - Un grand débat déchire les partis politiques, la société civile et les experts en droit constitutionnel en Tunisie sur le calendrier électoral devant conduire le 25 juillet à l'organisation d’une consultation référendaire sur les réformes politiques que choisiront les Tunisiens, lors des législatives anticipées prévues en décembre 2022.
Ce calendrier, annoncée récemment par la nouvelle Instance Supérieure Indépendante des Elections en Tunisie (ISIE), confirme la feuille de route présidentielle qui veut jeter les fondements, à travers la consultation du peuple, seul détenteur de la souveraineté nationale, de la 3ème république.
Saied sauveur malgré lui d’Ennahda
Que ce soit pour son projet politique ou la conduite du dialogue national, la démarche du président tunisien Kaïs Saïed est invariable. Elle ne sera pas l’aboutissement d’une concertation ou d’un consensus entre les acteurs politiques et les composantes de la société civile, mais emprunte plutôt un autre chemin d’où sont exclues les forces politiques jugées "responsables de la crise politico-économique dans le pays, ceux qui ont saboté, affamé et maltraité le peuple".
Lors du discours qu’il avait adressé au peuple tunisien à l’occasion de l’Aïd Al-Fitr, le chef de l'Etat tunisien a annoncé qu’un comité sera mis en place pour préparer un projet de Constitution visant à instaurer une "nouvelle république", qui sera ensuite approuvée par référendum fixé au 25 juillet.
Le professeur de droit constitutionnel, Amine Mahfoudh, a tenu à nuancer la façon avec laquelle les choses sont en train d’être préparées.
Il affirme qu’il n’y a pas un "projet préparé au préalable", rappelant la création d’une commission composée de deux organes pour préparer au mieux l’instauration d'une "nouvelle République".
"Le premier organe constitue le cadre du dialogue national qui réunit les représentants des organisations nationales et des partis politiques, alors que le deuxième sera chargé de l’élaboration juridique des recommandations", explique-t-il.
Au sujet de l’observation du processus électoral, le chef de l’Etat tunisien s'est dit hostile à la présence d'observateurs étrangers aux prochains scrutins prévus les 25 juillet et 17 décembre soutenant que "Nous ne sommes pas un Etat sous occupation pour qu'on nous envoie des observateurs".
D’après les observateurs, si le président a réussi à écarter le mouvement Ennahdha (islamiste) du jeu politique, il n’en demeure pas moins vrai qu’à la faveur de la multiplication des oppositions contre son projet, de la dégradation de la situation économique et sociale, "M. Saïed a paradoxalement rendu un imminent service au mouvement Ennahdha, qui était pourtant au bord de l’implosion".
La crise politico-économique a permis à ce parti, responsable de plus de dix ans de gestion calamiteuse des affaires du pays, de souder ses rangs, de se réorganiser et de se prévaloir à nouveau comme une force politique qui a son poids dans le pays.
Si au départ le changement intervenu le 25 juillet dernier a suscité une adhésion spontanée des forces socio-démocrates, ces dernières ont fini par marquer leurs distances avec le projet en gestation.
Le 16 mai 2022, les partis qui marquent leur refus du projet présidentiel ont manifesté massivement dans la capitale.
‘’La dernière chance de sauver l’Etat de l’effondrement’’
Jaouhar Ben Mbarek, coordinateur du mouvement "Citoyens contre le putsch", a affirmé, que cette manifestation "fait partie d’une série de mouvements organisés depuis septembre 2021 contre les mesures prises par le président de la république".
A deux mois du référendum, la confusion est totale et le processus d’élaboration de la nouvelle constitution et des autres réformes politiques, suscite de plus en plus d’inquiétude et fait monter la tension et les appréhensions.
Pour le contrer, un "Front de salut national" a été même créé par Nejib Chabbi, un ancien opposant du président Ben Ali.
Composée de cinq partis politiques, dont Ennahda, et de cinq associations, cette coalition veut lancer un dialogue sur les réformes destinées à "sauver" d'une profonde crise politique et économique.
L’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, Mohamed Fadhel Mahfoudh affirme pour sa part que la Tunisie a aujourd’hui besoin d’un dialogue qui conduit à l’instauration d’une charte républicaine déterminant les orientations de la prochaine phase de transition, faisant savoir que le climat politique actuel n’est pas propice à l’organisation d’un référendum ou d’élections.
De son côté, le président de la puissante centrale syndicale, l’Union Générale Tunisienne du Travail, Noureddine Taboubi, a lancé un appel insistant à Kaïs Saïed pour qu'il lance le dialogue national.
C'est "probablement la dernière chance pour rassembler les forces nationales" et éviter "un démantèlement de l'Etat et un effondrement financier et économique" du pays", a-t-il averti.
Deux camps inconciliables
Enfin, Mona Kraiem, professeure de droit constitutionnel à l’université tunisienne, met en garde en estimant que si le texte intégral de la nouvelle Constitution est rédigé dans les délais requis, comme l’a promis le président de Saïed, le référendum sur les réformes politiques prévu le 25 juillet prochain ne devrait pas se transformer en un plébiscite pour le chef de l’Etat.
Elle précise qu’une seule question sera posée aux citoyens qui devront répondre par oui ou par non à la nouvelle Constitution, quel que soit le contenu de celle-ci.
Elle fait savoir que l’on parle aujourd’hui d’un nouveau système politique et non d’une troisième république, et pour cause, estime-t-elle, parler de passage à une nouvelle république n’est pas correct, étant donné que la Tunisie vit sous une seule république depuis l’adoption de la Constitution de 1957, qui a instauré le système républicain.
La polémique entre les défenseurs inconditionnels du président et les opposants acharnés à son projet ne fait qu’enfler au fur et à mesure où l’échéance consultative populaire s’approche.
A deux mois du référendum, le pays est pratiquement divisé en deux camps inconciliables. Deux visions antinomiques se disputent une légitimité populaire que chaque partie se présente comme son incarnation la plus parfaite.