Voiture électrique en Europe : Des grains de sable dans le moteur - Par Morad KHANCHOULI

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D’après l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), les ventes de voitures électriques ont chuté au mois d’août deux fois et demi plus vite que le marché

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Par Morad KHANCHOULI (MAP)

Bruxelles - Et si l’euphorie qui s’était emparée de l’annonce du passage à la voiture électrique en Europe est en train de se muer en désillusion ? Au fur et à mesure que l’échéance de 2035 approche, l’objectif de la fin de la vente du moteur thermique, décrétée par l’Union européenne, semble trop ambitieux. La barre trop haute.

Ventes en bernes, rétropédalage politique, fermetures d’usines, report de projets de constructeurs de batteries, infrastructures de recharge insuffisantes, prix exorbitants dans un contexte d’essoufflement du pouvoir d’achat…Tant de nids-de-poule en perspective pour l’industrie européenne, dont la route vers le tout électrique semble bien plus sinueuse que prévu.

La crise du secteur couvait depuis un certain temps déjà, mais les derniers chiffres sont venus confirmer une tendance négative. D’après l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), les ventes de voitures électriques ont chuté au mois d’août deux fois et demi plus vite que le marché. Il ne s’en est vendu que 92.627 voitures électriques, soit un repli de presque 44% par rapport au mois précédent. Leur part de marché est elle aussi en net recul, d’un tiers. Les BEV (voitures électriques à batteries) ne comptant plus que pour 14,4% du total, alors qu’elles représentaient une vente sur cinq l’an dernier.

Des chiffres qui ne pouvaient pas plus mal tomber. En Belgique, l’usine Audi Brussels, qui produit le SUV électrique Q8 e-tron, va bientôt mettre la clé sous la porte, entraînant la perte de plus de 2.900 emplois. Selon des médias européens spécialisés, le constructeur allemand Volkswagen, maison-mère d’Audi, étudie la révision de ses investissements futurs, notamment dans le segment électrique, et envisage de supprimer jusqu’à 30.000 emplois en Allemagne. Fait inédit.

Avant VW, la marque premium Mercedes, un autre champion qui fait la fierté de l’Allemagne, le moteur économique et porte-étendard de l’UE, a mis la pédale douce sur ses investissements dans l’électrique. Le groupe a, entre autres, abandonné son projet de plateforme dédiée aux modèles électriques haut de gamme, initialement prévue pour 2028, et revu à la baisse les objectifs de production de véhicules électriques et hybrides, passant de 50% en 2025 à 50% d’ici la fin de la décennie.

L’exemple des fleurons allemands de l’industrie automobile est révélateur à bien des égards des difficultés que rencontrent les constructeurs européens, qui doivent investir massivement dans de nouvelles plateformes technologiques coûteuses, dans un contexte de crise, de consommation morose et de suppression des avantages fiscaux substantiels et des primes accordés, ces dernières années, à l’achat de voitures électriques dans nombre d’États membres. Sans faire fi des problèmes liés aux perturbations de la chaine d’approvisionnement et de la pression de la concurrence chinoise, que la Commission tente de contrecarrer à coups de surtaxes.

Le secteur des batteries de voitures électriques multiplie, lui aussi, les revers. L’essoufflement des ventes a contraint certains constructeurs à réduire la voilure de leurs investissements. Le dernier en date est le fabricant suédois Northvolt, fournisseur clé de constructeurs majeurs tels que Volvo et Volkswagen, qui a annoncé des suppressions d’emplois et la suspension de ses plans d’expansion.

Northvolt, qui emploie actuellement 6.500 personnes, va en effet réduire ses effectifs de 400 postes sur un site de recherche et de 200 autres à Stockholm. De plus, l’entreprise a déclaré qu’elle ’’suspendait’’ le développement de son usine de Skelleftea, dans le nord de la Suède.

Et les perspectives ne semblent pas bonnes. Selon le Think tank Transport & Environment, plus de la moitié de la production de batteries lithium ion prévue en Europe d’ici à 2030 pourrait être retardée, réduite, voire annulée.

Les contreperformances touchent également l’infrastructure de recharge, bien en deçà des objectifs initiaux. Selon l’ACEA, il faut multiplier le nombre d’installations de bornes de recharge par 8 en moyenne pour atteindre les objectifs fixés par la Commission européenne d’ici 2030.

Un rapport de la Cour des comptes de l’UE va dans le même sens. D’après ses auditeurs, l’industrie européenne des batteries est à la traîne par rapport à ses concurrents, qui pourraient court-circuiter la capacité de production de l’Europe avant même qu’elle soit parvenue à pleine charge. Moins de 10 % de la capacité de production mondiale de batteries est en effet basée en Europe, et la plupart d’entre elles sont fabriquées par des entreprises non européennes. La Chine détient à elle seule 76% des capacités mondiales. De ce fait, l’objectif du million de chargeurs en 2025 est, selon elle, loin d’être atteint.

Cette semaine, l’Italie est montée au créneau, demandant un réexamen rapide de l’interdiction de vente de voitures neuves à moteur thermique dans l’UE.

"Avec d’autres pays, nous formulerons un document écrit à soumettre à la Commission. Au vu des données déjà disponibles (…), nous sommes désormais certains qu’avec ce calendrier, nous n’atteindrons pas les objectifs fixés pour 2035’’, a déclaré le ministre italien des Entreprises et du Made in Italy, Adolfo Urso, en marge d’une réunion informelle sur le secteur automobile organisée par la présidence hongroise du Conseil de l’UE au Parlement européen à Bruxelles.

À ses yeux, l’interdiction est synonyme de grave crise pour les constructeurs automobiles européens et susceptible de "mettre en péril des centaines de milliers d’emplois dans toute l’Europe".

L’Italie ne serait pas la seule à exiger le réexamen de cette décision ou du moins des conditions à même d’atteindre cet objectif. L’Allemagne semble prête à suivre cette voie, selon son ministre de l’Économie, Robert Habeck, tout comme la Pologne, la Bulgarie ou la Roumanie, au vu de leurs positions exprimées par le passé.

Toutefois, la décision est entre les mains de la Commission européenne, qui détient le monopole de l’initiative législative dans l’UE.

En attendant le chemin que décidera d’emprunter la Commission von der Leyen II, qui passera l’oral du Parlement européen durant les tout prochaines semaines, des constructeurs font preuve de pragmatisme, en maintenant leurs motorisations thermiques, tout en développant leur offre électrique. Réalisme économique oblige, ils n’éludent aucun scénario. Surtout que la nécessaire relance de la compétitivité de l’industrie européenne - sur toutes les lèvres à Bruxelles - pourrait avoir pour conséquence directe le ralentissement de la transition écologique.