Benkirane parviendra-t-il à rallumer La Lampe ? – Par Bilal TALIDI

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Abdalilah Benkirane cible un triple objectif : barrer la route au radicalisme, marginaliser les avocats de la direction précédente du parti de la Lampe, et faire valoir la pertinence de sa thèse politique habituelle.

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Récemment, le secrétaire général du PJD Abdalilah Benkirane a tenu une réunion en interne avec les responsables provinciaux et régionaux du parti, suivant en cela un planning bien ordonnancé Une rencontre avec le Comité national avait précédé cette réunion.

Au plan de la ligne politique, il n’y a rien de notable à signaler. La doctrine de Benkirane, restée égale à elle-même, consacre invariablement la conviction des liens inaltérables avec la Monarchie, fondés sur des principes et une doctrine immuables. Ils transcendent les rapports de force et le positionnement politique, et dépassent même la position de l’Etat vis-à-vis du parti.

La responsabilisation de l’Etat, un non-sens

Dans le même type de crises que vit actuellement le PJD, la radicalité s’impose d’habitude comme alternative présumée salvatrice. Ce fut le cas avec l’option révolutionnaire suite à l’éviction en 1961 de l’Union nationale des forces populaires du gouvernement (Fkih Basri), ou encore avec le courant aventuriste (marxisme-léniniste), suite à la crise de la gauche dite réformiste.

Benkirane fait face, lui, à la thèse du caractère structurel de la crise et de sa relation causale avec la volonté de l’Etat, en invoquant sa propre évaluation de la débâcle électorale du PJD. De son point de vue, la mise à l’index de l’Etat dans cette déroute (falsification) n’aurait eu de sens que si la direction précédente du parti avait contesté les résultats des élections en leur temps. La publication d’un communiqué tiède évoquant timidement des «résultats incompréhensibles», suivi de félicitations au nouveau chef de gouvernement, indique nettement que le parti lui-même ou ne croit guère à cette thèse, ou n’a pas le courage de l’exprimer, ou ne dispose tout simplement pas d’une appréhension claire de la situation.

Pour Benkirane, le mal est dans le corps même du parti. Il ne sert à rien en conséquence de se défausser sur l’Etat, tant les parties hostiles au sein de l’institution étatique comme ailleurs préexistent au PJD et n’ont rien changé de leurs comportements. Leur existence et leurs manœuvres n’ont pas pour autant empêché ce PJD de remporter les élections communales de 2015 et législatives de 2016. Et si en 2021 ces forces y sont parvenues, c’est que le ver était dans le fruit d’un parti qui a renié tout ce qui faisait sa vigueur : son organisation, sa discipline, ses principes et ses valeurs.

La prescription de Benkirane

En livrant ce diagnostic, Benkirane cible triple objectif : barrer la route au radicalisme, marginaliser les avocats de la direction précédente du parti, et faire valoir la pertinence de sa thèse politique habituelle.

Il n’en demeure pas moins qu’un flou entoure de ses paradoxes la prescription de Benkirane pour remettre sur pied le parti et ses contours ont un grand besoin d’être éclaircis et précisés. 

D’une part, le secrétaire général du PJD rejette l’idée d’un dialogue interne en appelant à enterrer le passé de crainte de le voir dégénérer en conflits et échange d’accusations entre les deux composantes du parti, sans chance aucune de déboucher sur une solution. 

De l’autre, il fait une évaluation sans concession de l’expérience précédente et s’arrête longuement sur lss erreurs sous prétexte d’en tirer les enseignements.  Ainsi en est-il de son retour sur les couleuvres avalées par le cabinet El Otmani, l’intégration de l’USFP au gouvernement, la nomination controversée de Mohamed Amkraz au poste de ministre et la paralysie qui a frappé la Jeunesse du parti suite à cette nomination.

L’image d’abord, la consolidation après 

Les opposants de Benkirane ont donc beau jeu de lui reprocher un comportement contradictoire à l’égard de ce passé qu’il appelle à enterrer. Cette contradiction ne l’indispose pas tant si la finalité est de redorer l’image ternie du parti, sachant que dans sa démarche le chemin le plus court pour effacer au plus vite l’image négative associée à la direction précédente, consiste précisément à opérer une rupture avec cette même direction. On en veut pour preuves son souci constant à distinguer son expérience gouvernementale de celle de son successeur El Otmani, l’élimination des anciens ministres du Secrétariat général qu’il a imposée, et la mise de la débâcle du parti sur le compte de la gestion de ses prédécesseurs.

A ses yeux, l’amélioration de l’image du parti passe avant la consolidation des rangs. Cette dernière ne peut se réaliser qu’à la faveur du temps et des positions fermes qu’adoptera le parti dans l’interaction avec la dynamique politique nationale, et non par un dialogue interne prompt à exacerber divisions et désaccords.

Les détracteurs de Benkirane perçoivent mal cette panacée qui mise sur les positions futures du parti pour resserrer les rangs, mais appelle en même temps à temporiser l’exercice de l’opposition au gouvernement. Ils n’arrivent pas ainsi à concevoir la réalisation de l’unité du parti qui passe par des positions fermes si par ailleurs leur secrétaire général freine les élans du parti et l’empêche d’exercer une opposition forte.

La rupture avec des méthodes révolues

Benkirane, lui, tente d’amener les cadres et les bases à prendre la juste mesure de la transformation profonde que leur parti a subie après la débâcle, et à réaliser que les résultats électoraux étaient de nature à acter sa disparition de la scène politique. Sous l’ombrelle de ce constats, il priorise la reconstruction du corps partisan et de la correction de son image telle qu’elle s’est imprimée dans les esprits.  C’est ainsi qu’il en arrive à prôner une rupture radicale avec l’opposition du passé et ses méthodes révolues. Selon lui, le PJD ne saurait se reconstruire avec les outils et techniques du passé, car ils finiront fatalement par entretenir dans l’opinion publique l’image négative qui lui est accolée.

Mais une fois tout cela dit et agréé, reste à déterminer les voies et moyens de cette reconstruction et de façonner le meilleur plan pour au parti d’insuffler une nouvelle.

« Un parti pas comme les autres »

Mettant à profit l’expérience de mouvements politiques passés par des crises similaires, Benkirane estime que contrairement à la gauche qui a échoué à se revitaliser à  cause de son épuisement idéologique, la mouvance islamiste se distingue par des valeurs, des principes et des positions fortement adossés à un référentiel d’inspiration supérieure. Se fondant sur ce socle, il entame une nouvelle œuvre, du fait que la débâcle n’a pas été le produit du référentiel, au-dessus du reproche, mais de la corruption des comportements induits par la quête de biens terrestres et par le souci de préserver des positions acquises, au détriments des enseignements et des principes fondamentaux qui sous-tendent le PJD, un parti pas comme les autres.

Pour autant, cette approche pose un problème de taille pour une formation qui a pris ses distances avec le Mouvement Unicité et réforme (MUR), et porte désormais une identité politique typée, ne se présentant plus sous la bannière de la prédication. D’où l’intérêt de savoir au préalable comment se fera l’éducation spirituel des adeptes-adhérents, et quelle place elle occupera dans le nouvel édifice ?

Rupture avec le MUR ?

Pour Benkirane, il ne s’agit pas, ou plus, d’adopter un programme pédagogique à l’instar de mouvements de prédication, mais d’user des vertus islamiques comme source d’inspiration pour servir les gens et être plus proche d’eux, faire preuve de contentement face à l’argent public, de résistance à la tentation, de retenue dans les responsabilités et de renforcement des valeurs de transparence et de rectitude.

Abdalilah Benkirane dénie catégoriquement au MUR tout rôle éducatif et de formation interne, considérant que le parti dispose de ses propres ressources humaines pour accomplir cette mission en toute indépendance.

La recette de Benkirane, on le voit, pose de nombreuses questions. Si certaines composantes qui ont voté pour son comeback espèrent le voir rendre au parti l’éclat qu’il a connu sous son mandat précédent, d’autres attendent de lui une réponse différente pour voir sa capacité à unir les rangs, tandis que d’autres l’attendent au tournant pour l’abattre en cas d’échec.

Dans cette nouvelle entreprise, le facteur temps est d’une importance capitale pour Benkirane. Sa réclusion de cinq ans chez lui, depuis son limogeage jusqu’à la reprise des rênes du PJD, signifie que sa conscience du facteur temps est bien plus prégnante que celle de ses opposants. Mais son plus grand défi demeure la manière dont il va gérer les équilibres entre les différentes composantes du parti. Parviendra-t-il à gagner à sa cause ceux qui parient sur l’action éducative, de quelle façon abordera-t-il la nouvelle opposition pour assurer l’unité des rangs internes et comment appréhendera-t-il les dynamiques hostiles qui guettent sa chute, particulièrement à l’aune des préparatifs du prochain congrès extraordinaire qu’il est appelé à superviser ? Autant de questions dont les réponse est précisément inscrite dans le temps. 

 

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