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Bir Anzaran : 2/3- le général raconte la bataille épique qui a fait de ce lieu un site historique – Par Seddik Maaninou
Le général à la retraite Lhoucine Mzird, alors commandant, est dé décoré de l’Étoile de guerre et de l’Ordre du Trône au grade de chevalier, et promu au rang de lieutenant-colonel par le défunt Roi Hassan II
Dans la première partie de cette chronique sur la Bataille de Bir Anzaran du 11 août 1979, qui a été décisive dans la maitrise territoriale de l’ensemble du territoire du Sahara, Seddik Maaninou est revenu sur sa récente rencontre à Meknès avec l’un des principaux héros de cet affrontement, le général à la retraite Lhoucine Mzird, et raconté les enjeux de ce moment crucial qui, sans le courage d’hommes de la trempe de celui qui était alors commandant, aurait changé toute la géopolitique de la région. Dans cette deuxième partie, il donne la parole aux valeureux commandant pour raconter sa bataille.
Le jour d’avant
« Le commandement m’avait informé que ma position allait être attaquée et qu’un important rassemblement d’équipements et de combattants se déroulait sur le sol mauritanien adjacent au Sahara. Je devais renforcer mes positions défensives et creuser des tranchées. Mon objectif était d’appliquer les ordres : défendre la position, protéger la population et empêcher toute avancée ennemie », explique le général Mzird.
A l’époque il était commandant. Les renseignements militaires lui fournissaient toutes les informations disponibles sur les préparatifs de l’attaque à venir. ‘Au fil des jours et depuis le discours du roi, les préparatifs ennemis s’intensifiaient », explique-t-il avant de poursuivre : « La veille du jour J, nous avons reçu des informations confirmant que l’ennemi avait achevé son regroupement. Plus de cinq cents véhicules et camions allaient se lancer à l’attaque, transportant entre 4 500 et 5 000 mercenaires. Les rapports que je recevais du commandement à Laâyoune étaient alarmant et m’incitaient à poursuivre les préparatifs. Je passais toute la journée avec mes officiers à parcourir les positions pour améliorer leurs capacités défensives, et nous encouragions les soldats à tenir bon et à se préparer au combat.
« Dans la nuit du 11 août, la terre trembla sous l’effet des camions, des blindés et des transporteurs de troupes ennemis. J’étais convaincu que le choc serait violent et que nous devions briser les premières vagues de l’attaque sans leur permettre d’atteindre la ligne de défense principale. Les positions avancées devaient absorber le premier impact.
« Personne ne dormit cette nuit-là. L’obscurité rendait la visibilité difficile, mais de temps à autre, les phares de certains camions apparaissaient au loin. Leur vrombissement se rapprochait dans un grondement incessant. Les soldats récitaient la shahada (profession de foi musulmane), puis se retranchaient dans leurs tranchées en criant : "Allah Akbar... Allah Akbar..." À l’aube, l’attaque débuta. »
Énumérant la liste des armes sophistiquées dont disposaient les assaillants, le général mentionna leurs types et numéros et ajouta : "Kadhafi leur avait fourni des armes en abondance, des quantités que peu d’armées régulières possèdaient.. »
Il poursuivit :
« L’ennemi utilisait des canons et des missiles dans un vacarme infernal d’explosions. Il était impossible de s’entendre ou de communiquer dans de bonnes conditions. Je tenais le commandement informé en permanence de l’évolution de la situation. On m’apprit que le roi suivait la bataille. Au matin, il était évident que le nombre des assaillants était considérable et qu’ils avaient réussi à percer certaines lignes avancées...
« Soudain, j’ai entendu la voix du roi Hassan II au téléphone :
'Attaquez-les. Soyez patients et tenez bon. Les renforts sont en route.'
« La voix du roi a agi sur moi comme une étincelle qui ralluma ma flamme et me motiva à résister davantage..."
Il continua :
"Je ne cessais de me déplacer entre les fronts, criant et encourageant les hommes à tenir bon et à résister. L’aviation se mit en action, et des avions à réaction survolèrent nos positions. Je communiquais avec leurs pilotes, leur indiquant les cibles à bombarder... Ils étaient courageux et prêts à toutes les aventures pour nous défendre. Après avoir frappé l’ennemi, ils retournaient à Laâyoune pour se réapprovisionner en carburant et en munitions, puis revenaient bombarder à nouveau...
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« Après dix heures de combats acharnés, beaucoup de martyrs étaient tombés et les affrontements avaient atteint les lignes de défense avancées. J’ai dit aux pilotes des avions de chasse :
‘'Je vous en prie, si jamais ils franchissent nos lignes, bombardez-nous tous... Nous préférons le martyre à la capture...'’ »
Le commandant m’expliqua qu’il avait répété cette phrase plusieurs fois et que les pilotes en furent bouleversés, l’encourageant à faire preuve de plus de patience et de résistance...
« On m’informa, dit-il ensuite, qu’un avion gros porteur de type C-130 se dirigeait vers Bir Anzarane.. Conformément aux ordres du roi, j’avais préparé une piste d’atterrissage pour les gros avions. C’était la deuxième piste que j’aménageais après celle de Bir Lahlou...
« J’aidai le pilote à s’aligner sur la bonne trajectoire et, soudain, l’avion massif apparut, atterrit et, à peine ralenti, ouvrit sa porte arrière. Des soldats commencèrent à sauter et à rouler sur le sol, leurs armes chargées et prêtes au combat. Ils étaient des héros. L’avion redécolla aussitôt, suivi d’un autre.
Les martyrs
« L’attaque ne cessa pas, même pas pour un bref instant. L’ennemi fut surpris par la résistance des forces marocaines, qu’il n’avait pas anticipée. La ténacité de notre défense dépassa toutes les prévisions.
« Malgré ses lourdes pertes, qui se comptaient en centaines de morts, et la destruction de dizaines de blindés et de camions, l’ennemi poursuivit son assaut. Mais la peur s’installa dans ses rangs. J’écoutais leurs communications et mon équipe me tenait informé de leurs échanges.
« Le commandement à Laâyoune interceptait également leurs transmissions radio. Les informations confirmaient un état de désespoir et de dépression dans leurs rangs, ce qui m’encouragea à continuer à me déplacer de position en position, renforçant celles qui avaient perdu de nombreux soldats. Je disais aux hommes que l’ennemi était en train de perdre et que Dieu était avec les patients...
« Après dix heures de combat, les affrontements cessèrent et l’ennemi battit en retraite. Malgré cela, notre aviation continua à pourchasser et à anéantir leurs véhicules...
« Nous avons poussé un soupir de soulagement et nous sommes empressés de prier pour nos martyrs, qui dépassaient la centaine. Nous avons soigné les blessés et réussi à protéger la population et à empêcher leur enlèvement. Je leur ai fourni des vivres et des médicaments. Je suis allé plus loin : j’ai construit pour eux un hammam, et un four pour la cuisson du pain »
Le commandant replongea dans le silence du début de notre rencontre, on aurait pensé qu’il se contemplait dans le cours du combat, sa respiration qui s’était faite haletante pendant le récit, se calma. Comme délesté d’un poids, Il me dit :
« Si Maâninou, j’ai simplement accompli mon devoir... J’ai appliqué les ordres et Dieu était avec nous... «
Puis il ajouta :
« La même année, je participerai à la construction de '’Sam’ta'’ autour de Dakhla... » "Sam’ta", c’est ainsi que le désormais générale à la retraite appelle le mur de défense édifié pour sécuriser la région des attaques et incursions des milices du Polisario : Une fois fait achevé, il reçut l’ordre d’évacuer la population derrière le mur pour assurer leur sécurité. « Cette opération fut difficile et pleine de dangers, mais le climat nous a aidés », précise-t-il.
Un secours du ciel ? peut-être, toujours est-il que « pendant les jours du transfert, raconte-il encore, un épais brouillard couvrit la région, facilitant notre mission sans que l’ennemi ne s’en aperçoive. Il continua même à diffuser des communiqués prétendant qu’il avait bombardé le site de Bir Anzarane et infligé des pertes aux forces marocaines alors que nous avions déjà évacué la zone. »
Le jour d’après
« Après la bataille, nous avons reçu la visite du Prince héritier Son Altesse Sidi Mohammed, aujourd’hui Sa Majesté le roi Mohammed VI. Nous étions heureux et fiers de cette visite. J’ai présenté à Son Altesse un compte rendu détaillé du déroulement de la bataille et lui ai présenté les officiers pour qu’ils le saluent. Il a visité les positions et je lui ai montré des tonnes de canons et de munitions abandonnées par l’ennemi lorsqu’il a été contraint de fuir le champ de bataille.
« Le prince héritier s’est montré bienveillant à notre égard, nous félicitant et nous honorant pour nos efforts. Par la suite, plusieurs généraux sont venus inspecter les lieux et s’informer de la situation. Tous ont salué notre capacité au combat. Je répondais simplement : "Nous avons accompli notre devoir ! »
Le pays des lions
Toute la famille était présente à cette rencontre, et l’épouse du commandant intervenait parfois pour commenter un événement ou préciser certaines dates. Elle me dit :
« J’étais à Ifrane le jour où le roi a reçu mon mari. Je l’ai attendu pendant plusieurs heures, craignant qu’il ne soit tombé en martyr. Entourée des hauts responsables, j’ai éclaté en sanglots.
« À mes côtés se trouvait Mahjoubi Aherdane*, qui me dit : '’Pourquoi pleurer ?... S’il revient, ce sera une joie, et s’il est tombé en martyr, alors tu devrais être fière d’être la veuve d’un héros.'"
Le commandant reprit la parole, rappelant que Hassan II suivait la bataille de près et s’informait de l’état général des troupes.
« À l’époque, j’étais au grade de commandant. Le roi m’a convoqué à Ifrane, où il m’a décoré de l’Étoile de guerre et de l’Ordre du Trône au grade de chevalier, tout en me promouvant au rang de lieutenant-colonel...
Lors de la cérémonie, Hassan II m’a demandé en dialecte marocain : 'De quelle région es-tu ?'
J’ai répondu : 'Oui, Sidi, je viens d’Izourar, dans la région de Mermoucha.'
« Il répliqua : '’Tu es de "بلاد السْبوعَة" (la terre des lions), puis ajouta : '’Dieu nous a donné les montagnes, et les montagnes nous ont donné des hommes.'"
Les souvenirs de Fatima
Son épouse, Fatima, raconta comment elle rendait visite à son mari sur le site de Bir Anzarane, où l’armée la transportait en hélicoptère. Avec ses enfants, elle y passait plusieurs jours, et ces derniers considéraient cela comme des vacances. Pendant un séjour, le site était bombardé par l’artillerie et les missiles... Les explosions secouaient l’endroit, et les enfants demandaient à leur père d’où venait ce bruit. Il leur répondait que c’étaient les soldats qui tiraient sur les chiens. »
Une femme engagée
L’épouse du commandant, est une femme engagée, une militante politique et associative. Non seulement elle a pris soin de ses enfants et veillé à leur éducation, mais elle s’est aussi investie dans la vie nationale et a occupé des postes de leadership.
Je lui ai demandé l’origine du prénom de sa plus jeune fille. Elle m’expliqua :
"Lorsque la bataille se déroulait en août, j’étais enceinte... Et quand nos forces ont remporté la victoire et que j’ai reçu les félicitations, j’ai voulu inscrire cet exploit dans l’histoire...
Ainsi, lorsque j’ai donné naissance à ma fille, je l’ai appelée Intissar (Victoire)."
Il se trouve qu’aujourd’hui c’est justement Intissar, sachant que je cherchai à rencontrer son père, qui m’a contacté et organisé cette rencontre. (A suivre)
*Mahjoubi Ahardane (1922 – 2022), homme politique, plusieurs fois ministre