Chronique d’un malentendu entendu – Par Naïm Kamal

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Le Roi Mohammed VI au sommet UA-UE réuni à Abidjan les 29 et 30 novembre 2017

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Par Naïm Kamal

Lorsque ce 16 décembre 2022 à Rabat, le ministre des Affaires étrangères marocain Nasser Bourita invite son homologue française à prendre l’écouteur de l’interprétariat pour suivre la déclaration qu’il s’apprêtait à faire en arabe, Catherine Colonna, ministre de l'Europe et des affaires étrangères d’Emmanuel Macron, marque un geste de surprise. Il est en effet rare qu’en pareille occasion un ministre marocain ne s’exprime pas dans la langue de l’hexagone, septième dans le classement des langues les plus parlées au monde. Derrière le Bengali, sixième, et l’arabe cinquième.

Suffisant pour comprendre que l’entretien qu’ils venaient d’avoir ne s’est pas déroulé dans les conditions espérées et leurs déclarations réciproques qui suivront, notamment sur la question du Sahara, ne sont pas au diapason. L’annonce de la fin de la ‘’crise des visas’’ par laquelle Paris s’est coupé une partie de son bras béatement francophile au sein du Royaume chérifien, n’y changera rien. 

Rien que du prévisible

Cette perpétuation de la tension sourde entre les deux capitales, on s’y attendait un peu. Avant l’arrivée de la ministre française au Maroc, Paris avait bien annoncé par voie de presse qu’elle estime faire déjà assez sur la question du Sahara. Outre cette façon de faire peu élégante, un autre point d’achoppement, probablement des plus importants, éloigne les deux capitales : Paris qui se refuse à l’adaptation, selon l’expression de Nasser Bourita, des relations franco-marocaines à l’évolution du Maroc. 

Hasard ou voulu comme une réponse du berger à la bergère, dès son retour à Paris, Catherine Colonna s’empresse d’adresser au parlement de Strasbourg l’injonction de ‘’faire toute la lumière’’ sur le scandale de corruption qui secoue le microcosme des eurodéputés où l’on essaye, sans preuve aucune, d’impliquer le Maroc aux cotés du Qatar qui fait figure de principal accusé. 

Dans son sillage, le 5 janvier 2023, arrive l’espagnol Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne (UE) pour les Affaires étrangères qui n’est pas à sa première démonstration de son aversion pour le Maroc. En août 2022, il s’était déjà fait remarquer par une déclaration, depuis Madrid, peu compatible avec celle du gouvernement de son propre pays, après le passage de la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Bearbock par Rabat. Il ne trouvait pas sa position sur le Sahara à son goût.   

Josep Borrell dans les pas de Colonna

A conférence de presse conjointe, Nasser Bourita, anticipant la déclaration du haut représentant, avait beau attirer son attention sur le "harcèlement et les attaques médiatiques multiples" qui ciblent le partenariat Maroc-UE ", Josep Borrell emboite le pas à la cheffe de la diplomatie française. "La position de l'UE est claire, fanfaronne-t-il, il ne peut y avoir d'impunité pour la corruption". Alors même que lui-même soulignait dans le même point de presse devoir ‘’attendre les résultats des investigations en cours’’. Pourquoi donc n’a-t-il pas patienté avant de se fendre en déclarations et pourquoi a-t-il fait peu de cas de l’invitation du ministre des Affaires étrangères marocain à immuniser et protéger contre le ‘’harcèlement juridique continu [et] les attaques médiatiques répétées’’ dont est objet le partenariat entre Rabat et Bruxelles ? 

La réponse tombe sous le sens. Autant que Paris, il est partie prenante de ces attaques. 

Le reste des déclarations sur le ‘’ partenariat stratégique et autres ‘’relations avancées’’ apparait dès lors pour ce qu’il est : des professions de circonstance. Mais ces deux épisodes n’ont été que la préparation du terrain et le prélude à la dernière ‘’résolution’’ du parlement européen qui résonne comme une réponse à un mot d’ordre venu ‘’d’en haut’’. L’ambiance de suspicion créée autour du parlement strasbourgeois est propice à l’obéissance. Dans leur majorité sous la pression et la menace de révélations sur leur corruption, les eurodéputés moralisateurs n’avaient plus qu’à obtempérer.

Le Maroc n’est sans doute pas irréprochable, tant s’en faut, mais sa mise en cause dans cette affaire révèle les tenants et aboutissants de la basse manœuvre néocoloniale pour n’être en définitive qu’une tartuferie de la part d’une institution qui a précisément la réputation d’être le temple de la corruption. 

Anticor, une association très française anticorruption qui se définit comme transpartisane, évalue la corruption au sein de l’Union européenne à 981 milliards d’euros par an dont 120 milliards, presque l’équivalent du PIB marocain, rien qu’en France. Le lobbying, pseudonyme de la corruption, y fait rage ? Ce qui réduit l’agitation contre le Qatar et accessoirement le Maroc à une piètre manigance d’intimidation de Rabat qui a clairement répondu : le Maroc ne peut être ni ‘’effrayé’’ ni ‘’intimidé" ! 

L’esprit de la Conférence de Berlin

Dans un éditorial qui remonte au 21 mai 202, puant l’esprit prédateur de la conférence de Berlin de 1884-85 et celle d’Algésiras de 1906, le journal Le Monde, qui laisse transparaitre l’agacement européen devant l’adhésion du Maroc aux accords d’Abraham, écrivait, au faîte de la crise maroco-espagnole, que le moment était venu pour les Européens, ‘’au nom d’une amitié qui doit rester exigeante (sic) […], de signifier au Maroc que son crédit à l’étranger est entamé’’. Un euphémisme suggérant de mettre les Marocains au pas. Croire dans ce contexte, ou même dans l’absolu, que la ‘’résolution’’ du parlement européen résulte de son attachement aux droits de l’homme, reviendrait à se laisser duper par des illusions que rien dans le comportement passé ou actuel des Européens ne corrobore. 

Sommes-nous en présence du plan de ralentissement du développement du Maroc prédit par une officine allemande d’études stratégiques ?  La question mérite d’être posée et l’on est fondé de penser que c’est la volonté marocaine d’émancipation et sa force d’exemple pour le continent africain qui sont ciblées. Le discours du Roi Mohammed VI du 20 avril 2016 à Riad où il assurait au Sommet des pays du Golfe que ‘’tout en restant attaché à la préservation de ses relations stratégiques, le Maroc n’en cherche pas moins […] à diversifier ses partenariats, tant au niveau géopolitique qu’au plan économique’’, n’a pas été, malgré son souci d’équilibre, bien perçu. Notamment en Europe de l’ouest.

Mais c’est aussi et surtout le discours d’Abidjan, deux années auparavant (24 février2014) où le Souverain marocain affirmait que l’Afrique n’est plus un ‘’ terrain acquis, pas plus qu'il n'y a de chasse gardée’’, que les Européens n’arrivent visiblement toujours pas à digérer.

Curieusement, c’est à cette époque (février 2014) que contre les bons usages diplomatiques, la police française s’était rendu au domicile de l’ambassadeur du Maroc à Paris pour interpeler le patron de la Direction Générale de la Surveillance du Territoire (DGST) Abdellatif Hammouchi. Bévue policière ou message crypté à l’intention de Rabat ? Il n’est pas interdit de le croire. 

Le discours d’Abidjan théorisant et clarifiant ‘’l’activisme’’ royal en Afrique dont le Roi visitait itérativement les pays, notamment de l’Afrique de l’ouest, ne pouvait qu’exaspérer les dépositaires de l’esprit de la Conférence de Berlin. Semé dans un terrain favorable où l’on découvrira à peine un peu plus tard un ras le bol de la présence néocoloniale européenne et particulièrement française, d’autant plus insupportable qu’ostentatoire et gloutonne, le discours de Mohammed VI ne pouvait passer que pour subversif. Comme fut subversif le discours du 9 avril 1947 à Tanger d’un autre Roi, Mohammed V, exigeant la fin du protectorat et l’avènement de l’indépendance du Maroc. Entre ces deux époque à près d’un siècle d’intervalle, un point commun : un monde en profond bouleversement géostratégique.     

 

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