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CITOYENS MRE ET RÉFORME DES INSTITUTIONS DÉDIÉES : II - Neuf SUGGESTIONS POUR AGIR - Par Abdelrim Belguendouz
Il serait hautement souhaitable que cette inflexion majeure initiée par le Souverain, soit renforcée par la reconnaissance par le gouvernement (et le parlement dans ses deux chambres) de la citoyenneté effective, pleine et entière des citoyens et entière des citoyens marocains établis à l’étranger, en conformité notamment avec l’article 17 de la Constitution
Dans la première partie de la tribune publiée hier, le professeur Abdelkrim Belguendouz (Université Mohammed V de Rabat) et chercheur en migration, a mis l’accent sur le sens et la portée stratégique à donner à la réforme d’envergure du champ institutionnel MRE lancée par le Roi Mohammed VI le 6 novembre 2024. La seconde partie de cette tribune est consacrée aujourd’hui à des suggestions et pistes d’action concrète, à même de contribuer au succès de cette réforme d’envergure qui suscite selon l’auteur, «espoir et espérance »
Éponger la dette citoyenne envers les MRE
1 - Il serait hautement souhaitable que cette inflexion majeure initiée par le Souverain , soit renforcée par la reconnaissance par le gouvernement ( et le parlement dans ses deux chambres) de la citoyenneté effective , pleine et entière des citoyens marocains établis à l’étranger , en conformité notamment avec l’article 17 de la Constitution et les deux premières décisions annoncées dans le discours royal fondateur du 6 novembre 2005 qui ont fait l’objet jusqu’ici de la «démarche progressive » par les divers gouvernements qui se sont succédés, à savoir la députation des citoyens MRE par le biais de circonscriptions électorales législatives de l’étranger. La non réponse positive de ces instances à cette demande citoyenne constamment reportée par les majorités parlementaires et les gouvernements successifs, justifierait à notre sens l’arbitrage royal, le Roi étant l’ultime recours, Arbitre suprême entre les institutions nationales, garant notamment du choix démocratique et des droits et libertés des citoyennes et des citoyens et des collectivités.
2 - À l’approche des élections législatives de 2026 et pour renforcer justement les liens fondamentaux du Maroc avec nos compatriotes émigrés, les responsables gouvernementaux , les dirigeants d’un grand nombre de partis politiques ( et de syndicats), ainsi que les groupes et groupements parlementaires dans les deux chambres ( sauf exceptions rarissimes) , ont dans leur très grande majorité , en appui des responsables du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME ), contracté vis à vis d’eux une forte dette citoyenne cumulée depuis le gouvernement Driss Jettou, le gouvernement Abbas El Fassi et renforcée depuis les gouvernements Benkirane et El Otmani ( PJD) , y compris l’exécutif en cours qui maintient la tendance , dirigé par Aziz Akhannouch, président du Rassemblement National des Indépendants (RNI). Le gouvernement d’alternance consensuelle, bien avant eux (El Youssoufi , 1998-2002) , est également comptable de ce passif démocratique envers les citoyens MRE, qui ne cesse , sur ce plan là, de s’alourdir au fil du temps, entraînant méfiance et contestation des institutions qui n’assument pas leurs missions à leur égard.
3 - Dés lors, n’est-il pas temps que tous ces milieux gouvernementaux, parlementaires, partisans et syndicats ( Chambre des Conseillers pour ces derniers), remboursent et épongent la totalité de cette dette citoyenne avec un programme d’ajustement citoyen vis à vis des citoyens MRE , au lieu de continuer indéfiniment à la rééchelonner à travers la méthode dite« graduelle » ou «progressive », décidée le 16 juin 2006 par le gouvernement en accord avec les partis politiques de la majorité de l’époque dans le cadre du dialogue préélectoral ? Cette approche est devenue en fait une approche régressive, dans la mesure où on n’a eu aucune suite positive concrète, avec un contenu précis et des échéances bien délimitées. Pour aller de l’avant dans un esprit constructif , il s’agirait d’abord , dès la toute prochaine échéance ( fin décembre 2024) , d’ouvrir les listes d’inscription sur les listes électorales générales DANS les consulats marocains ( et non pas faire jouer à ces derniers un simple rôle de boite postale vers le Maroc) pour organiser ces élections législatives à partir des circonscriptions électorales législatives de l’étranger et non pas pour voter au Maroc en présentiel ou par le biais de la procuration…
Lire aussi : CITOYENS MRE ET RÉFORME DES INSTITUTIONS DÉDIÉES : I - SENS ET PORTÉE STRATÉGIQUE - PAR ABDELKRIM BELGUENDOUZ
4 - Ces nouvelles listes électorales générales pourraient servir également en cas d’élection des comités consulaires, qui pourraient être utiles pour la constitution du « Collège électoral MRE » pour la Chambre des conseillers, en cas d’adoption de ce mécanisme juridique ( et non pas en passant par le CCME) . Ce collège électoral MRE pourrait être utile également pour élire les représentants des citoyens MRE au sein du comité directeur dans la future Fondation Mohammedia des Marocains résidant à l’étranger, voir même dans les diverses institutions consultatives (article 18 de la Constitution).
La réforme du système MRE n’est pas à concrétiser parce que nos compatriotes émigrés apportent déjà beaucoup de devises au Maroc et pourraient le faire davantage. La question n’est pas uniquement de les encourager à investir au Maroc comme le fait le gouvernement. Les citoyens MRE veulent également S’Y INVESTIR politiquement et démocratiquement, qu’ils soient considérés comme des Marocains à part entière et non pas des Marocains entièrement à part.
Pour un CCME élu
5 - Arrêtons-nous à un aspect particulier de la restructuration du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, celui des modalités de sa future composition s’agissant des MRE. Les membres provenant de la Jaliya seront-ils nommés ou bien élus et selon quel mode d’élection ? Si c’est la nomination qui prime comme modalité de désignation, sur quels critères objectifs vont-ils l’être et par qui ? Comment choisir objectivement dans une communauté qui regorge d’acteurs actifs, de talents et de compétences à tous les niveaux, sans entraîner de clientélisme , des injustices , frustrations , voir des protestations et des oppositions comme ce fut le cas lors de la première mouture du Conseil en 2007 !? Ceci avait même amené à laisser vacants jusqu’ici 13 sièges sur 50, les protestations n’étant pas tombées mais s’étant encore amplifiées…
Cette méthode des nominations n’est nullement un signe de pragmatisme, ayant en fait un autre objectif, celui de maîtriser la composition du Conseil. N’est -elle pas en effet la plus paresseuse intellectuellement et organisationnellement et la plus pauvre politiquement au regard du processus démocratique au Maroc, qu’il s’agit de renforcer et d’élargir, et d’une communauté expatriée plurielle qui vit (sauf pour certaines contrées) , dans des sociétés démocratiques avancées ? Voilà pourquoi nous préférons l’élection. Le discours royal du 6 novembre 2007 est très clair là-dessus, lorsque l’ex-institution du CCDH (Conseil consultatif des droits de l’Homme) avait remis au Roi Mohammed VI, un avis consultatif consistant à mettre en place un CCME nommé pour une période transitoire de quatre ans. L’option royale retenue par conviction profonde pour le futur est la conception démocratique :
«Nous avons examiné attentivement les recommandations qu’elle a soumise à Notre Majesté et ceux en partant de trois prémices de base :
- D’abord notre conviction que la représentativité authentique procède en fait de l’élection. Toutefois celle-ci risque de demeurer un simple exercice formel tant qu’elle ne sera pas étayée par la crédibilité, l’éligibilité, la concurrence loyale et la mobilisation de nos concitoyens émigrés.
- Le deuxième fondement induit la nécessité d’écarter la désignation directe, et ce, pour des raisons de principe. Car, c’est d’une instance représentative qu’il s’agit, et non d’une fonction administrative ou d’un poste politique. Par conséquent, l’élection reste nécessaire et souhaitable comme point de départ et comme objectif pour la mise en place de cette institution » .
La troisième prémice de base est la crédibilité de l’ex-CCDH (CNDH actuel). Et le Souverain d’ajouter :
« (…) Par conséquent, il nous a paru opportun de retenir la proposition contenue dans l’avis consultatif, celle d’une formule transitoire permettant de mandater cette institution dans sa première mouture consultative pour une période de quatre ans. Partant donc de notre position de principe, nous appelons cette nouvelle institution à inscrire en tête de son agenda un travail de mûrissement de la réflexion. Il lui appartient également de mettre en place de solides fondations, dans la perspective d’assurer comme ultime finalité une élection réfléchie et responsable, et de créer les conditions d’une large participation au scrutin, au lieu de recourir à des solutions de facilité ».
Ce choix démocratique est rappelé dans l’article 25 du dahir n° 1-07-208 du 10 hija 1428 (21 décembre 2007) portant création du CCME qui doit garantir pour sa nouvelle mouture «la plus efficace et meilleure REPRÉSENTATIVITÉ », des Marocains établis à l’extérieur, qui suppose bien entendu l’élection.
Dès lors, il s’agit de traduire dans la pratique la vision royale pertinente selon laquelle le Conseil doit être , au plan de la composante communauté MRE, «constitué de façon démocratique et transparente et bénéficiant de toutes les garanties de crédibilité, d’efficience et de représentativité authentique » ( discours historique du 6 novembre 2005 à l’occasion du 30é anniversaire de la Marche Verte) ou , selon des précisions ultérieures, « alliant dans sa composition les exigences de compétence, de crédibilité et de représentativité » ( discours du Trône du 30 juillet 2006).
Précisons à ce sujet que la restructuration annoncée du CCME, ne pourrait constituer un substitut à la jouissance et à l’exercice plein et entier par les citoyens MRE de leur droit de vote et d’éligibilité par rapport à la Chambre des députés au Maroc, par le biais de circonscriptions électorales législatives de l’étranger et non par celui du procédé inique de la procuration.
6 - Par ailleurs et de notre point de vue, si le prochain CCME est élu dans sa composante MRE, ceci pourrait avoir un autre grand avantage, celui de constituer un collège électoral MRE pour élire dans un second temps les citoyens MRE pour la Chambre des Conseillers. Dans ce cas, la révision de l’article 63 de la Constitution est nécessaire après un vote des deux chambres réunies à la majorité des deux tiers (article 74), formule qui est moins contraignante que l’organisation d’un référendum. Est-ce trop demander ? L’élection du CCME n’est pas quelque chose de démesurée ou d’utopique, mais elle est réalisable. Elle nécessite bien entendu de la volonté. Volonté politique chez les décideurs et volonté ferme des citoyens MRE et de leur tissu associatif qui devrait dépasser ses divisions et s’unir.
Autres propositions d’action pour l’avenir
7 - Pour la réussite de cette inflexion majeure relative au dossier des citoyens MRE, reflété par les décisions du 6 novembre 2024, un plan de travail législatif gouvernement -parlement dans ses deux chambres, paraît nécessaire en la matière.
8 - On pourrait aussi envisager à l’intérieur de la Fondation Mohammedia pour les Marocains résidant à l’étranger, de créer un Observatoire National des Migrations, tenant compte de toutes les formes de migration internationales pour éviter le double emploi : communauté marocaine établie à l’étranger, émigration vers l’étranger, y compris la mobilité internationale des étudiants pour le Maroc (étudiants marocains à l’étranger et étudiants étrangers au Maroc), immigration étrangère et asile au Maroc. La fonction de cet observatoire national serait de comprendre, anticiper et agir sur tout ce qui concerne ces migrations. Il pourrait constituer également le point focal ou le correspondant de l’Observatoire Africain des Migrations qui a, depuis fin 2020, son siège à Rabat, et qui constitue la concrétisation d’une des propositions phares de l’Agenda Africain des Migrations, présenté par le Roi Mohammed VI à l’Union Africaine, en tant que Champion de ’UA dans le domaine migratoire.
9 - Par ailleurs, associer à la réflexion la société civile MRE ainsi que les chercheurs, ne peut être que bénéfique. Une des formes de cette démarche participative pourrait être l’ouverture de la Commission interministérielle chargée des MRE et des affaires de la migration à ces acteurs et profils et l’organisation PAR LE PARLEMENT dans ses deux chambres d’un colloque national sur la réforme MRE, avec l’implication de toutes les parties prenantes et les milieux directement concernés sur une base démocratique, ouverte et plurielle. Insistons encore une fois et encore : associer les citoyens MRE dans la préparation de ces réformes nous paraît incontournable. Précisons aussi qu’en rapport à certaines instances consultatives, qui ont manifesté leur pleine disposition à contribuer à la mise en œuvre, voire au pilotage de cette réforme, on ne peut trouver mieux que de se référer à Einstein : « on ne peut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre ».