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De la culture des terres à la culture des esprits - Par Bilal TALIDI
Bien qu’il en ait pris conscience très tôt, le Maroc, pourtant précurseur, n’a pas toujours réagi correctement dans la résolution de sa dépendance aux aléas climatiques
Le Maroc passe cette année par des temps critiques. A peine l’Etat réussit-il à surmonter un défi, qu’un autre surgit, encore plus important.
Globalement, le Maroc fait face à des défis majeurs. Tous s’articulent autour de questions de sécurité : sanitaire avec la pandémie, économique avec les problèmes des énergies, la sécheresse et les répercussions de la guerre russe en Ukraine.
La réponse stratégique que le modèle économique marocain a développée pendant plus de trois décennies a été l’agriculture, se refusant à mettre toutes ses billes dans l’industrie comme l’ont fait certains pays.
L’agriculture d’exportation
L’on se souvient comment l’Algérie de Boumediene raillait le Maroc, en considérant que le Royaume dilapidait ses ressources dans la construction des barrages et l’emblavement pour des produits qu’elle pouvait importer de meilleure qualité encore, grâce aux recettes de son industrie. Est-il nécessaire de le rappeler, mais l’Algérie a eu à réaliser la myopie de l’option industrie-industrialisante à la fin des années 80 lorsque les manifestations de la faim ont secoué les villes.
Le Maroc, lui, assurait sa sécurité alimentaire en produits céréaliers après l’indépendance pour ensuite changer de stratégie en optant pour une agriculture orientée vers l’exportation.
L’agriculture orientée à l’export a indubitablement joué un rôle majeur dans le renforcement du tissu agricole et lui a permis d’apporter une plus-value sensible à l’économie nationale. Mais, il y a aujourd’hui urgence à revoir les filières de produits que cible le Maroc
L’argument de cette réorientation était que l’importation des céréales était d’un coût moindre que celui de leur production, mais à l’aune des défis successifs actuels, cet argument a besoin d’une rectification radicale, la guerre russe en Ukraine ayant drastiquement limité les options et exacerbé comme jamais auparavant l’ampleur de menaces.
Il est vrai que la position de neutralité prônée par le Maroc à l’égard de ce conflit lui garantit sa part, sinon une part supplémentaire de blé russe. Il est tout aussi vrai que ses relations avec les Etats-Unis et le Canada lui offrent la possibilité de multiplier les partenaires.
Néanmoins, ces options, aussi diversifiées soient-elles, sont sujettes à deux défis majeurs.
Le premier tient à une concurrence exacerbée sur les céréales si la guerre devait s’éterniser. Auquel cas, le Maroc, n’étant pas le seul sur le marché, aura affaire à la compétition de plusieurs pays arabes, y compris des pays nantis qu’il ne peut concurrencer.
Le second concerne les prix des céréales qui connaîtront une hausse vertigineuse de nature à battre en brèche la pertinence de l’argument ayant amené le Maroc à abandonner le principe de son autosuffisance céréalière.
Des cultures ‘’hydrivores’’
Le taux de remplissage des barrages au Maroc est encore à des niveaux alarmants, malgré les précipitations enregistrées durant le mois de mars. Ce taux se situe globalement autour de 20%, par rapport à la retenue de 2021, avec de grandes disparités entre les bassins hydrauliques. Les bassins de Moulouya, Tensift, Souss-Massa, et Drâa-Oued Noun font face à des déficits pluviométriques beaucoup plus aigus que les bassins du Loukous et de Sébou. Le problème risque ainsi de passer de crise d’irrigation à une crise de fourrages, si ce n’est de soif qu’il serait difficile de surmonter par des mesures exceptionnelles limitées.
Il est difficile d’admettre que le Maroc continue d’investir, en ces moments difficiles, dans la production des pastèques, dans la culture de l’avocat et autres produits «hydrovores»
L’agriculture orientée à l’export a indubitablement joué un rôle majeur dans le renforcement du tissu agricole et lui a permis d’apporter une plus-value sensible à l’économie nationale. Mais, il y a aujourd’hui urgence à revoir les filières de produits que cible le Maroc, en particulier ceux dont la production absorbe des quantités démesurées d’eau. Tant il est difficile d’admettre que le Maroc continue d’investir, en ces moments difficiles, dans la production des pastèques, dans la culture de l’avocat et autres produits «hydrovores» ?
Pas plus tard que récemment, les experts parlaient d’une baisse de 100 mètres du niveau piézométrique ; aujourd’hui ils évoquent une baisse à 500 mètres de profondeur, et estiment que la vague de sécheresse ne fera qu’aggraver le problème et exacerber la question de la sécurité hydrique au plus haut point.
Il est possible de percevoir une certaine contradiction entre la réalisation de l’autosuffisance céréalière et l’appel à l’abandon de production de certains produits pour préserver la nappe phréatique ou du moins pour ne pas aggraver la crise de la sécurité hydrique. En réalité, la résolution de cette contradiction supposée réside dans l’adoption d’une politique à double dimensions. La première reconduit l’option stratégique initiale qui consiste à favoriser les produits agricoles de base pour assurer l’autosuffisance et à abandonner les autres produits pouvant constituer une menace à la sécurité hydrique. La seconde tient à favoriser les cultures résilientes et durables, celles qui s’adaptent à la parcimonie des pluies, tout en s’appuyant sur la recherche scientifique pour s’affranchir des aléas de la Nature.
La nécessité d’un plan pour les années des vaches maigres
Le Maroc a agi de manière variable aux défis, selon qu’il s’agisse de la dépendance de son modèle économique des aléas de la Nature (pluies) ou des fluctuations des cours mondiaux de l’énergie. Et force est de constater que sa réaction au second défi était plus rapide et plus efficiente que sa réponse au premier.
Le Roi Mohammed VI a initié une grande révolution en termes d’orientation vers les énergies renouvelables et les énergies propres. Cette option n’a pas uniquement contribué à pallier un déficit énergétique considérable, mais elle est devenue une carte importante dans les négociations avec les autres pays au sujet de la question nationale, tant avec l’Espagne et l’Allemagne, qu’avec la Grande-Bretagne qui devrait incessamment emboiter la pas à la position de Berlin et de Madrid à l’égard de la question du Sahara.
Mieux, le Maroc est passé à la vitesse supérieure dans la prospection des ressources énergétiques et a réalisé des résultats substantiels qui pourraient pallier son besoin important en pétrole et en gaz sur les marchés mondiaux.
Il n’en a pas été de même pour la dépendance de son économie des aléas climatiques bien qu’il en ait pris conscience très tôt. La réaction a été plutôt tardive, tant et si bien que le Plan Maroc vert paraît comme un programme pour les années agricoles des vaches grasses, plutôt qu’un plan des situations d’urgence auxquelles le Maroc est contraint de se confronter de manière récurrente depuis 2020.
Soumis à bien plus qu’un stress hydrique aigu, curieusement, il ne prévoit dans ses politiques culturelles aucun programme de sensibilisation à la rareté de l’eau et son utilisation rationnelle
Certains plaident pour une nouvelle génération de réformes dans le domaine agraire, d’autres appellent à remodeler me Plan Maroc vert, pour en réparer les failles et mettre à jour ses enjeux. Mais ce qui est certain c’est qu’on est en situation d’urgence qui nécessite des réponses immédiates aux problèmes patents.
Pour réaliser l’autosuffisance alimentaire et hydrique, il ne s’agit pas uniquement d’intervenir sur les politiques de production, mais il est tout aussi question de faire intervenir les politiques culturelles pour convaincre la société à modifier une partie importante de ses habitudes de consommation.
Au Maroc, qui importe ses besoins en céréales, des quantités énormes de pain vont à la poubelle, alors que le pays. Et soumis à bien plus qu’un stress hydrique aigu, curieusement, il ne prévoit dans ses politiques culturelles aucun programme de sensibilisation à la rareté de l’eau et son utilisation rationnelle dès la prime enfance pour que les comportements à son égard deviennent plus naturels que culturels.
La politique culturelle devrait être efficiente en abordant de manière frontale la question de la sécurité alimentaire et hydrique, voire énergétique. A coup de campagnes de conscientisation et de sensibilisation sanitaire, les Marocains peuvent très bien réduire leur consommation de pain, et s’investir dans des initiatives de réduction de consommation des carburants, et d’utilisation rationnelle de l’eau.
Toutes les politiques devraient confluer vers un objectif commun dans le cadre d’une vision convergente et intégrée, alliant aspects productifs et culturels. C’est un objectif à portée de main pourvu que l’on y associe les cadres spécialisés en diététique et qu’on intensifie les programmes de sensibilisation sur tous les supports de communication et de formation à la vie en société : scolaires, médiatiques et religieux.