National
En marge de la découverte d’épaves archéologiques sur la côte d’El Jadida - Par Mustapha JMAHRI
La présence d’épaves issues des naufrages célèbres près du port d’El Jadida était toujours connue grâce aux archives des pays européens notamment française et espagnole. Mais c’est la découverte des endroits qui est l’élément essentiel dans cette nouvelle annonce, les épaves étant toujours sujets à la destruction, à la dégradation et au glissement avec les courants
Depuis la nuit des temps, la côte de la province d’El Jadida a connu nombre de marins et de compagnies de navigation de tous les pays du monde, engendrant à l’occasion des évènements de mer comme les naufrages et les incidents maritimes. L’histoire a gardé les traces indélébiles de ces tragédies survenues en mer.
Jeudi 9 janvier 2025, l’une de ces traces a « émergé » du fond de l’océan. Un communiqué du Centre national des études et des recherches sur le patrimoine subaquatique au Maroc a annoncé, en effet, la découverte des épaves de deux navires archéologiques au large de la ville d’El Jadida. Il s’agit d’épaves métalliques, l’un près de la plage de la ville et l’autre à proximité de l’entrée du port. Selon les premières descriptions des épaves, « ces navires datent probablement de la seconde moitié du XIXe siècle », période d’apogée des activités de l’ancien port d’El Jadida, considéré à l’époque comme l’un des principaux ports commerciaux du Maroc.
Il faut dire que la présence d’épaves issues des naufrages célèbres près du port d’El Jadida, de la plage et au long de la côte de la province était toujours connue grâce aux archives des pays européens notamment française et espagnole. Mais c’est la découverte des endroits qui est l’élément essentiel dans cette nouvelle annonce. Car en effet, les épaves sont toujours des sujets voués à la destruction, à la dégradation et au glissement avec les courants, …
En tant que chercheur sur l’histoire de la ville d’El Jadida et de sa Région, j’ai abordé ce volet des incidents maritimes, survenus dans cette région, dans certains de mes travaux. Déjà, en 2008 j’ai publié mon livre « Le port d’El Jadida, une histoire méconnue » qui est le seul et unique travail de son genre sur ce port emblématique qui fut jadis le deuxième port marocain après Tanger. J’y ai consacré six pages sur « Les périls de la navigation » abordant les naufrages célèbres dans cette zone : l’Alcyone en 1839, le Papin en 1845, le Maroc en 1871, La Marne en 1901, l’Amazone, le M’sella, le vapeur Brake en 1904 et le chalutier José Carmen en 1945 heurté par le sous-marin Orphée. Cet ouvrage a fait l’objet d’une recension dans le bulletin de liaison des membres de la Société de géographie de Paris en juin 2008.
Dans un deuxième livre « Chroniques secrètes sur Mazagan », j’ai également consacré une chronique à ce sujet intitulée « Les naufrages célèbres à Mazagan aux XIXe et XXe siècles ». Les navires de marchandises, à cette époque, sillonnaient la côte du Maroc dans les deux sens et parfois, faisaient l’objet de naufrages. Certains incidents étaient donc répertoriés mais d’autres sont toujours inconnus des annales maritimes et des récits de navigateurs.
Dans mon livre « Bibliographie sur l’histoire d’El Jadida », paru en 1993, j’ai consacré un volet bibliographique aux cartes et plans publiés à la fin du XIXe et débuts du XXe siècle et qui mentionnaient les différents endroits des épaves encore visibles à marée basse à cette époque près du port d’El Jadida. À titre d’exemple, le plan de Mazagan levé par le capitaine Nestor Larras en 1899 indique les endroits de trois épaves l’Amazone, la Marne et Maroc. Les deux premières près du port, la troisième proche de la plage. Selon Jean-Pierre Guilabert, président de l’Amicale des anciens de Mazagan, deux épaves sont restées partiellement visibles à marée basse jusqu’aux années 1958-60, telle l’épave du navire l’Azemmour échouée entre le bas de la route du phare Sidi Bouafi et les dunes de Sidi Bouzid. Pour diverses raisons ces épaves ne sont plus visibles aujourd’hui et c’est le cas dans beaucoup d’endroits du monde.
Mes autres travaux portant sur les naufrages et les épaves, toujours sur cette côte, ont été notamment publiés dans le magazine marocain d’histoire Zamane sous forme d’articles illustrés de photos en l’occurrence : le sous-marin Méduse à Jorf Lasfar datant de la Deuxième Guerre mondiale (dans le numéro de mai 2023) et le naufrage du Nemos dit Titanic de Haouzia (dans le numéro d’août 2023).
Quand il s’agit de navires de commerce disparus sur la côte ou à l’entrée du port généralement ces incidents étaient consignés sur des comptes rendus déposés dans les chambres de commerce ou les compagnies d’assurance. Chaque disparition de navire a, en général, laissé des traces dans les archives depuis le XVIIe siècle. Quelques copies de comptes rendus sont disponibles dans ma collection documentaire remise (et consultable) aux Archives du Maroc à Rabat depuis 2022.
En général, la recherche d’épave est très complexe, on peut classer en trois parties les découvertes : certaines épaves sont découvertes fortuitement, par des plongeurs découvrant par hasard des traces d’un naufrage sur le fond de la mer, l’utilisation de magnétomètres pour détecter les masses ferreuses (par exemple lors de travaux en mer par les entreprises Of Shore ou les entreprises qui posent des câbles ou encore les nouveaux champs éoliens), et finalement par l’intermédiaire des archives dans chaque pays.
Max Guérout, membre fondateur du Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) en France explique : « En général on parle d’épave quand les structures du navire sont identifiables et de site de naufrage lorsque ne subsistent que du « mobilier » archéologique marquant le lieu d’un naufrage. Dans les deux cas il peut être possible d’identifier le navire d’origine en croisant données historiques et données archéologiques (courriel du 11 janvier 2025).
Le communiqué du Centre national des études et des recherches sur le patrimoine subaquatique au Maroc indique, dans son dernier paragraphe, que « Ces accidents sont principalement dus à la difficulté d’accès au port, en particulier avant la construction des brise-lames, ainsi qu’aux conditions météorologiques défavorables », il faut y ajouter aussi d’autres raisons : la vétusté du bâtiment (cas du Papin), l’erreur humaine (cas du Brake), la guerre (cas du sous-marin Méduse) etc.
Bien évidemment, il est important de rappeler que les épaves des bâtiments et navires échoués lors des siècles passés ne figurent pas toutes dans les statistiques et que cette initiative de recherche sous-marine lancée par le Centre national des études et des recherches sur le patrimoine subaquatique au Maroc doit être grandement saluée. Dans l’attente de l’achèvement de l’opération d’identification de ces épaves afin de leur attribuer un nom et de connaître toute leur histoire et pour enrichir ainsi notre patrimoine culturel.