La diplomatie marocaine à l’ère des narratifs : de la réactivité à la maîtrise du discours – Par Adnan Debbarh

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Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères marocain - Le Maroc, qui bénéficie d’une stabilité politique et d’un positionnement régional de premier plan, doit aujourd’hui franchir un cap dans sa communication diplomatique. Trop souvent, encore, son action internationale reste perçue comme réactive

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Dans un monde où les récits façonnent les rapports de force, le Maroc doit dépasser la simple réactivité pour imposer son propre agenda diplomatique. Structurer son discours, moderniser ses outils et influencer le narratif global sont désormais des impératifs stratégiques, écrit Adnan Debbarh.  

Le poids d’un pays dans les affaires internationales ne se mesure pas uniquement à sa puissance économique ou militaire. Il repose aussi sur sa capacité à structurer un récit, à façonner la perception des acteurs et à imposer une lecture stratégique des événements. En un mot, à maîtriser la communication diplomatique.

En moins de deux décennies, la Turquie a su transformer sa diplomatie en un puissant levier d’influence mondiale. Grâce à une communication maîtrisée, voire millimétrée, et à une politique étrangère assertive, elle s’est imposée comme un acteur clé dans des crises comme celles de la Libye ou du Haut-Karabakh.

Cependant, une communication diplomatique agressive n’est pas sans risques. Si la Turquie a su imposer son narratif, elle souffre parfois d’une image d’opportunisme, ce qui peut fragiliser sa crédibilité à long terme. Un excès de communication peut se retourner contre un pays si son discours ne s’aligne pas sur une vision stratégique cohérente et lisible par ses partenaires.

Le Maroc, tout en s’inspirant de l’exemple turc, doit veiller à concilier influence et authenticité. En effet si l’efficacité d’une communication diplomatique repose sur sa puissance narrative, elle ne peut être dissociée d’une crédibilité à long terme.

D'autant qu'il ne manque pas de réussites à son actif. Lorsque le Maroc a annoncé la reprise de ses relations diplomatiques avec Israël en décembre 2020, il ne s'agissait pas d'un simple alignement sur une dynamique internationale, mais d'une démarche s'inscrivant dans une vision cohérente et assumée de sa diplomatie.

La communication qui a accompagné cette annonce a été pensée dans une logique d’équilibre, mettant en avant le rôle historique du Maroc comme acteur de dialogue et de médiation, tout en ancrant cet accord dans une dynamique de consolidation de sa souveraineté nationale. Loin d'être une concession, cette approche a permis au Royaume de transformer une évolution diplomatique en un levier stratégique, à la fois sur le plan régional et international.

Cet exemple illustre l’importance d’une communication stratégique : elle ne se limite pas à expliquer une décision, elle en façonne la perception et l’ancre dans une lecture politique favorable. En effet, il ne suffit pas d’avoir raison sur le fond, encore faut-il être capable de l’exprimer avec force, constance et efficacité.

Le Maroc, qui bénéficie d’une stabilité politique et d’un positionnement régional de premier plan, doit aujourd’hui franchir un cap dans sa communication diplomatique. Trop souvent, encore, son action internationale reste perçue comme réactive : il s’emploie à contrer des discours adverses au lieu d’imposer son propre agenda narratif.

Pourtant, la diplomatie marocaine dispose d’atouts indéniables : un réseau diplomatique étendu, une influence croissante en Afrique et des relations stratégiques consolidées avec les grandes puissances. Cependant, cette réactivité contrainte trouve son origine dans une structure encore trop centralisée, où la communication peine à s’adapter aux réalités du numérique et aux exigences d’une diplomatie d’influence.

Pour passer à l’offensive, le Maroc doit moderniser ses outils et adopter une approche plus proactive, en transformant sa communication en un véritable levier d’influence stratégique. À l’image de la Turquie, qui a su imposer son récit sur la scène internationale, le Royaume doit structurer sa diplomatie autour d’un discours clair, offensif et maîtrisé.

Trois axes majeurs doivent être activés.

D’abord, la mise en place d’une task force digitale diplomatique. Il ne s’agit pas simplement de renforcer une présence sur les réseaux sociaux, mais de bâtir une cellule de veille et d’action stratégique capable de préempter les débats internationaux, d’identifier en amont les offensives narratives adverses et d’imposer une lecture cohérente de la politique étrangère marocaine.

Imaginez une équipe dédiée, combinant diplomates, analystes et experts en communication, qui suivrait en temps réel l’évolution des discours sur le Maroc et réagirait de manière rapide et ciblée. Lors des tensions autour du Sahara, par exemple, une telle task force aurait pu déconstruire les campagnes de désinformation avant qu’elles ne prennent de l’ampleur, tout en mettant en avant les réalisations marocaines en matière de développement régional et de stabilité. Cette approche proactive permettrait au Maroc de ne plus être dans la réaction, mais dans l’anticipation et la structuration du récit diplomatique.

Ensuite, l’institutionnalisation d’un rapport annuel d’impact diplomatique. Trop souvent, les avancées stratégiques du Maroc restent confidentielles ou cantonnées à des cercles restreints. Un rapport d’influence, accessible aux partenaires internationaux, aux think tanks, aux médias et aux cercles diplomatiques, permettrait de documenter et de valoriser les actions du Maroc sur la scène régionale et mondiale. Ce document ne serait pas seulement une synthèse des décisions politiques, mais un outil de narration diplomatique structurant les succès, les orientations et les contributions stratégiques du Royaume dans la stabilisation régionale.

Enfin, la création d’un cycle régulier de conférences stratégiques internationales. Là où des pays comme la Turquie, le Qatar ou les Émirats investissent massivement dans des forums de réflexion et d’influence, le Maroc doit cesser d’être un simple participant et devenir l’hôte et l’architecte de ces débats. Casablanca et Rabat doivent accueillir les grandes discussions sur l’avenir du Maghreb, de l’Afrique et des relations Nord-Sud, sous une grille d’analyse portée par la diplomatie marocaine. L’objectif n’est pas seulement de rassembler des experts, mais de modeler le discours international sur ces questions et d’affirmer le Maroc comme un acteur clé de la réflexion stratégique mondiale.

Il ne suffit pas de disposer d’une diplomatie efficace. Encore faut-il qu’elle soit perçue et comprise comme telle. L’exemple turc montre qu’une stratégie diplomatique adossée à une communication bien maîtrisée permet d’exister sur la scène internationale avec une force de conviction décuplée.

Le Maroc ne doit pas seulement agir, il doit raconter son action, la définir et l’inscrire dans une lecture qui impose progressivement sa vision du monde. Dans un monde où les perceptions façonnent les réalités, il ne peut plus se contenter d’une diplomatie réactive. Il doit moderniser ses outils, structurer son discours et imposer son agenda diplomatique.

La question n’est plus de savoir si le Maroc doit agir, mais comment il peut faire entendre sa voix avec force et conviction. L’enjeu n’est pas seulement de réagir aux crises, mais de structurer un cadre narratif qui donne une lecture claire et lisible des ambitions marocaines. 

C’est en imposant sa propre vision du monde que le Maroc s’imposera dans les équilibres de demain.

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