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Le fin du fabuleux destin de Driss Lachgar - Par Bilal Talidi
Le premier secrétaire de l’USFP Driss Lachgar : Ses choix, du moins l’a-t-il cru, lui ont permis d’aborder la fièvre électorale de 2021 avec un excès d’optimisme. La déception n’en est que plus grande
Manifestement, le parcours de Driss Lachgar à la tête de l’USFP tire vers sa fin. Même s’il a bonifié de 15 députés la représentation parlementaire de son parti, il ne semble plus en mesure de représenter une alternative actuelle. Ayant échoué dans des conditions humiliantes à maintenir l’USFP au gouvernement, il aura beaucoup de difficultés à rester à la tête de sa formation.
Lui-même d’ailleurs, arrivant à terme de son deuxième mandat légal, a déclaré son intention de libérer la place, même si au fond de lui-même il aurait souhaité une reconduction au prix des modifications habituelles des statuts du parti. C’est en quelque sorte la fin d’une ascension aux cimes qui s’est enclenché très tôt dans sa jeunesse pour commencer à culminer à partir de 2007 par sa révolte contre la direction de son parti qui n’a pas défendu sa ministérabilité au gouvernement de Abbas El Fassi.
Les tribulations de Driss Lachgar
Après les élections de 2007, l’USFP avait procédé à une évaluation sévère de la situation. Ses termes étaient annonciateurs d’un probable basculement dans l’opposition. Driss Lachgar avait alors apporté sa griffe à un communiqué incendiaire qualifiant le PAM de «nouveau venu», brandissant le slogan d’un front élargi pour la défense de la démocratie. Ce qui ne l’a pas empêché, dans le sillage des communales de 2009, dépité, de courtiser le PJD, nouant avec lui des alliances au niveau des conseils des communes, des assemblées provinciales et préfectorales et des conseils régionaux.
Derrière ces tribulations, les calculs de Driss Lachgar n’avaient rien de mystérieux. Réduit dans le gouvernement de Abbas El Fassi à une portion congrue qui ne reflétait pas sa position au vu des résultats des élections, l’USFP en avait conçu une profonde amertume.
Les manœuvres de Driss Lachgar et la constance de ses pressions ont fini par donner leurs fruits, réussissant ainsi à obtenir un portefeuille-strapontin de ministre des Relations avec Parlement lors du remaniement de janvier 2010. Il n’en fallait pas plus pour que celui qui se préparait à devenir le patron du parti de Abderrahim Bouabid, oublie l’histoire du front démocratique, le déséquilibre entre la place de l’USFP au gouvernement et le nombre de ses sièges parlementaires, ou encore ses alliances contre le «nouveau venu».
Le baiser de l’araignée
Lors de la formation du premier gouvernement Benkirane, l’USFP a opté pour l’opposition, déclinant l’offre insistante de participation par des justifications politiques qui ne convainquaient personne, y compris à l’intérieur même de l’appareil du parti.
Driss Lachgar avait motivé le retour de son parti à l’opposition par l’antinomie idéologique et la nécessaire rationalisation de la politique, et sa fondation sur des pôles homogènes.
Durant la formation avortée d’un nouveau gouvernement Benkirane en 2016, Driss Lachgar s’est rangé derrière Aziz Akhannouch, alors président frais émoulu du Rassemblement National des Indépendants. Rejetant toute idée d’entrer au cabinet par la porte du Chef de gouvernement, il a préféré se mettre sous la coupe du RNI auquel il a définitivement scellé le sort de son parti pour constituer un bloc de pression lors des négociations, contribuant ainsi grandement aux tractations politiques qui ont conduit à l’impasse le processus des négociations entamé par le Chef de gouvernement désigné.
En échange de ses positions, sans se rendre qu’elle s’offrait au baiser de l’araignée, l’USFP a obtenu la présidence de la Chambre des représentants en étant encore dans l’opposition, et s’est assuré par la suite un maroquin dans le gouvernement de Saad Dine El Otmani.
Le prix de l’inconstance
Driss Lachgar a aussi joué un rôle central dans le plaidoyer pour le nouveau quotient électoral, défendant énergiquement le droit à la représentation des formations minoritaires, sans se soucier de la position de son parti qui a constamment soutenu le système majoritaire, au nom de la rationalisation de la vie politique et contre la balkanisation du paysage partisan.
Ses choix, du moins l’a-t-il cru, lui ont permis d’aborder la fièvre électorale de 2021 avec un excès d’optimisme, au point d’affirmer que l’USFP était bien partie pour s’arroger la première place aux élections du 8 septembre. Ce n’était pas la première fois que Driss Lachgar se faisait remarquer par ce type d’excès. N’a-t-il pas claironné lors des élections de 2016 que son parti allait arriver en tête des suffrages pour hériter à l’arrivée d’une lamentable sixième position avec à peine 20 sièges.
La défaite cuisante du PJD aux derniers scrutins a vite fait d’aiguiser l’appétit de Driss Lachgar qui s’est mis en tête que l’heure était venue pour lui d’empocher le prix de son alignement sur le RNI. Le classement de son parti en quatrième position avec 35 sièges lui permettait en effet de rêver et de croire avoir en main un droit d’entrée indiscutable.
Dans pareilles dispositions, il était difficile, mêmes pour ses opposants, de remettre en question ses choix ou sa personne, puisque l’homme peut se prévaloir d’un argument de poids, d’une performance ‘’exceptionnelle’’ qui a permis au parti de redorer son blason électoral.
C’était compter sans les lois implacables de la politique, un comble pour un professionnel de la chose, qui a dans cette situation précise a fait preuve d’un manque remarquable de lucidité. Le RNI, sous la coupe duquel Driss Lachgar a choisi de subsister en cherchant quelques dividendes, n’est plus dans la même posture politique et électorale de 2016. Les résultats du scrutin du 8 septembre 2021 l’ont affranchi du besoin d’une pression politique contre une autre formation qui mène le gouvernement, puisque c’est lui-même qui détient désormais les rênes de l’Exécutif.
La carte électorale, elle-même, a beaucoup changé et le gouvernement ne dépend plus d’une pléthore de partis, cependant que les calculs et les rapports de force se sont modifiés. L’USFP, selon qu’il était désirable ou pas, pouvait être courtisée ou écartée, voire adoubée pour une autre mission, celle de donner quelque couleurs à une opposition anémique.
La fin prévisible
L’une des « trois erreurs mortelles » de Driss Lachgar est d’avoir méconnu les mutations autour de lui et continué à s’agripper à son ancienne posture en se mettant sous la férule du RNI, croyant que ce dernier avait toujours besoin ses services ou espérant de lui une quelconque reconnaissance, impensable en politique, au nom d’un compagnonnage conjoncturel.
Il offrait ainsi une image contrastante avec le Secrétaire général du Mouvement populaire (MP). Son expertise politique a permis à Mohand Laenser de comprendre que la position de son parti quant à sa participation au gouvernement dépendait d’une offre politique, sans laquelle le MP se rangerait naturellement dans l’opposition.
A l’opposé de M. Laenser, Driss Lachgar nourrissait toujours l’espoir de prendre part au gouvernement, même en l’absence d’une offre politique. Il n’a pas hésité à pousser le Conseil national de l’USFP à lui emboiter le pas pour ensuite, sitôt sa participation au gouvernement écartée, opérer un virage à 180° menaçant de mener une opposition virulente, critiquant au passage la domination hégémonique du triumvirat gouvernemental dans l’ensemble des institutions représentatives.
Avec le passage de son parti à l’opposition, le fabuleux destin de Driss Lachgar arrive à son terme, à court qu’il est d’un quelconque nouvel argument qui lui permettrait de défendre sa gestion. Une fin d’autant plus prévisible que l’avantage de l’avancée électorale du parti réalisée sous sa direction s’est consumé dans le feu de l’échec de sa gestion des négociations avec le Chef de gouvernement Aziz Akhannouch, et de la position de quémandeur d’une place au soleil dès l’annonce des résultats des élections dans laquelle il s’est mis.
C’est dire que le prochain congrès de l’USFP sera décisif à bien des égards. Driss Lachgar aura maille à partir non pas uniquement avec ses opposants traditionnels qui le considèrent comme l’incarnation du déviationnisme, mais également avec une nouvelle génération d’opposants ; les « élites de l’allégeance » sur lesquelles il s’est appuyé pour conforter sa légitimité. Elles considèrent désormais que la perte de leurs positions actuelles ou espérées revient à la mauvaise gestion de ses alliances tactiques avec le RNI et des négociations avec le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch.