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Les bénéfices du Maroc de la visite d'Emmanuel Macron - Par Bilal Talidi
Ceux qui ont analysé les accords conclus entre Paris et Rabat n’ont pas pris en compte les gains stratégiques du Maroc. Ils n’ont pas posé la question de ce que signifie un investissement massif de Paris dans les provinces du Sud et de ce qu’implique l'ouverture d’un consulat français à Dakhla. (Photo MAP)
Il y a deux ans, en août précisément, l’Algérie attendait la visite du président français Emmanuel Macron, et cette visite fut l’occasion de conclure un partenariat exceptionnel qui a suscité beaucoup de controverses quant à ses motivations et ses origines. Certains se demandaient si ce partenariat était dirigé contre le Maroc ou s’il s’agissait simplement d’un investissement intelligent de la France pour garantir l'approvisionnement en gaz algérien en pleine crise énergétique.
Mais avec le temps, il est devenu clair que cette relation ne pourrait pas durer, pour plusieurs raisons : premièrement, la question de la mémoire, où les approches des deux pays divergent ; deuxièmement, un climat des affaires bureaucratique qui décourage les investissements, y compris ceux de la France ; et troisièmement, le dossier du Maroc et du Sahara, que l’Algérie considère comme prioritaire, bien qu’elle prétende être un acteur neutre dans le conflit.
Ce partenariat exceptionnel avec l’Algérie a fait long feu, en raison de ces raisons, mais aussi de la réévaluation par Paris de sa politique étrangère suite à son revers dans la région du Sahel et en Afrique de l’Ouest après les résultats des élections présidentielles au Sénégal. Les voix des critiques, qu’ils soient politiciens, intellectuels ou experts français, ont commencé à se faire entendre, soulignant les risques de négliger un allié historique et fiable de la France (le Maroc). Des comparaisons ont alors été établies entre les bénéfices tirés du partenariat exceptionnel avec l’Algérie et les pertes causées par les tensions avec Rabat, renforçant l’idée qu’il était nécessaire pour la France de faire un pas en avant et de mettre fin à ses hésitations concernant le dossier du Sahara, en reconnaissant que le présent et l’avenir du Sahara ne peuvent exister que sous la souveraineté marocaine.
L’approche graduelle de Paris
Il faut noter à cet égard que la visite du président Macron à Rabat s’inscrit dans un processus de changement progressif de la position française. Tout le monde se souvient des déclarations du ministre français des Affaires étrangères, même avant l’annonce par Paris de sa nouvelle position sur le Sahara le 30 juillet 2024, où il déclarait simplement lors de sa visite à Rabat en février de cette année que Paris soutenait fermement la proposition marocaine d’autonomie et que la position de Paris avançait dans cette direction. Rabat le savait et les observateurs avaient alors compris que Paris était en train de changer de position et attendait le moment opportun, lorsque les conditions seraient réunies pour modifier sa politique régionale sans nuire à ses acquis.
Il est très clair que Paris a opté pour une approche graduelle dans le changement de sa position, et l’annonce de sa nouvelle position fin juillet dernier n’était pas suffisante pour Rabat, qui attendait quelque chose de plus, que la visite du président Emmanuel Macron au Maroc fin octobre a apporté. Certains pensent que le président français est venu au Maroc pour en tirer profit, et que les grands contrats remportés par la France lors de cette visite, ainsi que les avantages contenus dans les accords signés (22 accords), surpassent ce que l’Algérie avait offert lors de la conclusion de son partenariat exceptionnel avec Paris en août 2022. Mais en réalité, le président Emmanuel Macron n’est pas venu pour répéter sa déclaration précédente (« Le présent et l’avenir du Maroc ne peuvent être envisagés en dehors de la souveraineté marocaine »), mais pour remplir une condition essentielle demandée par Rabat, qui souhaitait voir la France s’y engager politiquement. Cela a été traduit dans la déclaration conjointe entre le roi Mohammed VI et le président français Emmanuel Macron, et s'est reflété dans les accords signés. Le Maroc ne veut pas seulement entendre cette phrase essentielle, ni que Paris s'engage simplement à accompagner et soutenir le Maroc dans toutes les instances internationales, notamment aux Nations Unies et dans l’Union européenne, mais souhaite aussi voir les promesses françaises d’investissement dans les provinces du Sud se concrétiser, voir un consulat français à Dakhla, et que la France cesse de traiter le Maroc avec condescendance et respecte sa souveraineté et son indépendance de décision. Le Maroc veut également que la France contribue de manière significative aux investissements dans le Sahara pour garantir ainsi la concrétisation de sa vision d’une résolution finale de la question du Sahara.
Les dynamiques qui se sont manifestées ces derniers jours confirment que Paris a respecté une partie importante de ses engagements à soutenir la position marocaine sur la question du Sahara. La France a déployé des efforts pour désamorcer l’impact de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne et a agi au sein de la Commission européenne pour isoler cette décision et empêcher qu’elle ne produise des effets politiques et juridiques. La France a également intensifié ses efforts au niveau des Nations Unies pour contrer les tentatives de l’Algérie, qui cherchait à amender le projet de résolution américain en proposant deux modifications : la première exemptant l’Algérie de participer aux tables rondes, et la seconde visant à élargir les compétences de la MINURSO pour inclure la surveillance des droits de l'homme au Sahara.
Les gains stratégiques du Maroc
Ceux qui ont analysé les accords conclus entre Paris et Rabat n’ont pas pris en compte les gains stratégiques du Maroc. Ils n’ont pas posé la question de ce que signifie un investissement massif de Paris dans les provinces du Sud et de ce qu’implique l'ouverture d’un consulat français à Dakhla. Le Maroc est aujourd’hui convaincu, comme il l’était par le passé, que le Conseil de sécurité avancera lentement tant que les faits sur le terrain n’auront pas radicalement changé. Le changement de position des États-Unis, de la France, de l’Espagne, et de l'Allemagne, ainsi que le large soutien international en faveur de la proposition marocaine d'autonomie, ne suffisent pas si les faits sur le terrain n’évoluent pas, si le Sahara ne devient pas une région avec des indicateurs de développement élevés, intégrant non seulement les populations locales mais aussi attirant des habitants du nord du Maroc pour s’installer dans cette région prometteuse.
Certains imaginent que Rabat place tous ses espoirs dans le Conseil de sécurité, attendant qu’une solution émerge de cet organisme, estimant que les décisions successives, y compris la dernière qui a contraint l’Algérie à participer aux tables rondes, ne changent rien de fondamental et ne font que maintenir le statu quo. Mais cette perception est erronée et ne prend pas en compte les éléments de la vision marocaine, qui lie la résolution du conflit au Sahara à la stabilité dans la région du Sahel (initiative atlantique), en intégrant le règlement du conflit sous souveraineté marocaine (autonomie) comme une ouverture aux investissements internationaux traversant le cœur de l’Afrique. En outre, cette résolution est perçue comme un facteur essentiel de développement et de stabilité pour l’ensemble de la région africaine.
La stratégie du Maroc consiste à attirer les grandes puissances internationales à investir dans le Sahara, transformant cette région en un pont stratégique pour le commerce international, augmentant ainsi les indicateurs de développement dans la région, favorisant l’intégration des populations locales, et attirant même des habitants des autres régions pour s’installer dans cette zone prometteuse, ce qui désamorcera naturellement la thèse de la séparation et transformera le Front Polisario en un fardeau intérieur pour l’Algérie, une tendance qui commence à se manifester.
Il est vrai que les contrats importants obtenus par Paris susciteront la concurrence des autres grandes puissances internationales, notamment celles qui ont également exprimé leur soutien à la proposition marocaine d’autonomie. Cependant, cela posait problème par le passé, lorsque les opportunités économiques du Maroc étaient limitées. Mais aujourd’hui, alors que l’Afrique est devenue le continent de l’avenir et du développement, un champ de compétition majeur pour les grandes puissances, et que la sécurité, le développement, et la stabilité sont devenus des enjeux prioritaires, les opportunités pour le Maroc se sont accrues. Le Maroc peut désormais diversifier ses partenaires sans tomber dans le jeu de « favoriser l’un au détriment de l’autre ».
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