‘’Partition du Sahara’’ : Foreign Affairs tente de sauver la mission de De Mistura avec un plaidoyer algérien – Par Bilal Talidi

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Le Roi Mohammed VI à Laayoune en 2015 - Appel à "une mobilisation et une vigilance accrues pour continuer à renforcer la position du Maroc, faire connaître la justesse de sa cause et contrer les manœuvres de ses adversaires." (Discours du souverain pour l’ouverture de la session parlementaire de l’année 2024).

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Alors que le Maroc renforce son soutien international pour son plan d’autonomie, l’idée d’une partition du Sahara ressurgit, alimentant interrogations et commentaires.  Une lecture de Bilal Talidi 

Le 4 mars dernier, la revue américaine Foreign Affairs a publié un article de la chercheuse Hannah Rae Armstrong intitulé : "La question de la partition du Sahara : comment convaincre le Maroc d’accepter la moins mauvaise des solutions ?". Ce qui n’a pas manqué de susciter les interrogations des observateurs sur les conclusions de cet article, qui affirme en substance que le Maroc n’a que deux options : accepter la décision de partition du Sahara ou se risquer à une guerre régionale dévastatrice.  

Les éléments sur lesquels la chercheuse a fondé cette conclusion retracent le processus de règlement du conflit et la manière dont il s'est retrouvé dans une impasse : des Nations Unies qui confirment que l’option du référendum était impraticable ; et le Front Polisario qui rejette la proposition marocaine d’autonomie.  

Les appels du pied à Trump

L’aspect le plus important du raisonnement développé dans l’article concerne les relations algéro-américaines, notamment dans leur dimension économique (l’Algérie ayant fourni de l’énergie à l’Europe en opposition aux intérêts russes) et militaire (la coopération avec Washington pour faire face aux défis sécuritaires au Sahel). L’évolution de ces relations au cours des derniers mois amène l’auteure à considérer que l’Algérie, avec ses ressources en métaux rares, pourrait attirer l’administration de Donald Trump et l’inciter à revenir sur sa position antérieure concernant la souveraineté du Maroc sur le Sahara. D’autant plus que la guerre à Gaza et le ralentissement du processus de normalisation (avec Israël) poussent, selon la chercheuse, à un changement de vision de la part des États-Unis, en faveur de nouvelles idées susceptibles de résoudre le conflit.  

L’auteure affirme ainsi que le Maroc contrôle en pratique les deux tiers du Sahara et que ce statut serait entériné par la partition. Le Front Polisario établirait alors son État dans le tiers restant, au sud des territoires sahariens actuellement sous souveraineté marocaine.  

Les interrogations des observateurs marocains face à cet article sont compréhensibles. En effet, Foreign Affairs, revue publiée par le Council on Foreign Relations (un important think tank réunissant d’anciens hauts responsables et diplomates américains), est l’un des centres de recherche les plus influents en matière de politique étrangère américaine. De plus, la chercheuse Hannah Rae Armstrong est présentée dans son profil comme une experte spécialisée en Afrique du Nord, dans le conflit du Sahara et dans la région du Sahel depuis plus d’une décennie. Elle a notamment travaillé pour le Crisis Group en Algérie et au Sahel entre 2014 et 2017, et est surtout connue pour son rôle de conseillère et d’analyste en plaidoyer sur la question du Sahara.  

En réalité, il ne faut jamais, surtout dans un monde en perpétuelle mutation où les règles du droit international ne gouvernent plus les rapports de force, céder à un excès de confiance quant à l’avenir du règlement du conflit du Sahara. Et ce, malgré les efforts considérables déployés par le Maroc pour rallier le soutien international à sa proposition d’autonomie. Le Maroc a déjà été pris au dépourvu à plusieurs reprises : d’abord avec la proposition de partition d’inspiration algérienne dont James Baker s’est fait le porte-voix en 2002, ensuite avec la recommandation américaine d’élargir les compétences de la MINURSO que Rabat a refusée en 2013, puis avec les déclarations du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon en 2016, qui avait décrit la situation au Sahara de manière trompeuse en qualifiant le Maroc de ‘’puissance occupante’’.  

 

Par conséquent, il ne faut pas considérer les évolutions des positions américaines, françaises et espagnoles comme un gage absolu de la préservation des intérêts du Maroc dans cette question cruciale. Une vigilance maximale doit toujours être maintenue au plus haut niveau.

Le sens d’un appel royal

Cela dit, une analyse objective dicte de prendre du recul par rapport aux appréhensions excessives et aux états d’euphorie trompeuse. Depuis plus de quatre ans — ou, plus précisément, depuis la nomination de Staffan de Mistura comme envoyé personnel du Secrétaire général des Nations Unies — les résolutions du Conseil de sécurité (2021, 2022, 2023, 2024) ont été une source constante d’irritation et de dénonciation de la part de l’Algérie. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que ce même émissaire onusien a présenté, lors d’une séance à huis clos du Conseil de sécurité en octobre dernier (2024), des idées relatives à la ‘’partition’’ du Sahara. Il semblerait que le rejet de ces propositions tant par l’Algérie que par le Maroc ait justifié l’absence de publication officielle de ses déclarations lors de cette réunion.  

Ce contexte étant, dévoilant chaque jour un peu plus ses contours, ce n’est donc pas un hasard si la question du Sahara a été le thème central du discours du Roi lors de l’ouverture de la session parlementaire de l’année dernière (2024). Traditionnellement, ces discours d’ouverture sont consacrés aux grands enjeux législatifs qui attendent les représentants de la nation. De plus, la célébration de l’anniversaire de la Marche Verte, où le Roi aborde toujours la question du Sahara, n’était séparée de cette ouverture parlementaire que d’un mois à peine.  

En analysant le contenu du discours royal à l’ouverture du Parlement en 2024, on constate qu’il associe les réalisations majeures sur les plans politique, économique, stratégique et diplomatique à un appel à "une mobilisation et une vigilance accrues pour continuer à renforcer la position du Maroc, faire connaître la justesse de sa cause et contrer les manœuvres de ses adversaires." 

Il ne s’agit pas ici d’affirmer que ce discours était une réponse directe aux idées de partition du Sahara que l’envoyé personnel du Secrétaire général de l’ONU semble vouloir relancer, selon plusieurs agences de presse internationales. Toutefois, il serait naïf d’accorder une confiance excessive au ‘’refus affiché de l’Algérie’’ concernant cette idée de ‘’partition’’, d’autant plus qu’elle a pris naissance et trouvé son couffin au Palais d’El Mouradia**, dès les débuts de la présidence de l’ancien chef d’Etat algérien Abdelaziz Bouteflika.  

Il est évident que la mission de l’envoyé personnel du Secrétaire général a échoué. Ne parvenant pas à faire avancer le dialogue politique entre les parties (notamment en raison de son incapacité à contraindre l’Algérie à participer aux tables rondes), il s’est rabattu sans gros efforts dsur une ‘quatrième option : ‘’la partition’’. Il en est venu à cette solution après avoir constaté le rejet du plan d’autonomie marocain par le Polisario. Il sait par ailleurs et de ‘’sources sûres’’ que l’Algérie, même en affichant un refus officiel, est en réalité favorable à ce scénario, car il permettrait de faire peser toute la pression sur le Maroc. Ainsi, au lieu que le Polisario et l’Algérie se retrouvent isolés face à l’élan diplomatique grandissant en faveur du plan d’autonomie marocain, la partition permettrait de déplacer le centre de gravité du conflit vers Rabat.  

L’échec de Di Mistura 

Revenons maintenant à l’article afin d’en analyser les messages politiques. Il est clair que l’échec de la mission de l’envoyé personnel de l’ONU pose une question fondamentale : ce dossier a-t-il encore sa place dans les couloirs des Nations Unies après plus d’un demi-siècle d’impasse ? Si ce constat venait à s’imposer, cela ne conduirait pas nécessairement à une guerre régionale, contrairement à ce que tente de créditer la chercheuse. En réalité, la politique du fait accompli profiterait au pays qui dispose de l’élan politique et diplomatique le plus fort et d’une vision stratégique claire pour la région, c’est-à-dire le Maroc.  

Ainsi, au lieu d’acter l’échec de Staffan de Mistura et de l’éventuel retrait du dossier saharien du cadre onusien, après une évaluation approfondie du processus, on observe une convergence d’intérêts entre l’envoyé onusien et l’Algérie en faveur de la ‘’partition’’. Car cette option permettrait à De Mistura de sauver sa mission, et à l’Algérie de tropuver une issue pour écarter définitivement la proposition marocaine d’autonomie, qui bénéficie aujourd’hui d’un large soutien international.  

Il n’est donc pas surprenant que la chercheuse, qui a passé quatre années en Algérie et y a tissé des liens solides en raison de son travail de plaidoyer et d’influence (*Advocacy*), adopte un langage menaçant qui n’a rien d’académique. Elle place le Maroc face à un choix binaire : accepter la partition ou entrer en guerre régionale. Elle appelle Washington à faire pression sur Rabat pour qu’elle se plie à ce plan et tente de convaincre les décideurs marocains en leur rappelant le profil du président américain, passionné par les métaux rares. L’Algérie pourrait, selon elle, lui offrir ces ressources en échange d’un revirement de position sur la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara.  

Par ce raisonnement, elle cherche à susciter un parallèle avec la décision américaine de laisser l’Ukraine aux mains de la Russie en échange d’un accord économique sur les ressources minières. Elle veut ainsi créer l’impression que si Washington a déjà monnayé une nation contre des richesses minières, il ne serait pas étonnant qu’elle le refasse avec le Maroc.

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