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POLITIQUES PUBLIQUES ET PERFORMANCE - Par Mustapha SEHIMI
Au centre Noureddine Bensouda, Trésorier Général du Royaume : " Quel modèle de gouvernance des finances publiques dans un monde multi-crise?
Mieux gérer les finances publiques, donner plus d'efficience à l'allocation des ressources budgétaires : voilà bien une problématique récurrente dans le discours officiel depuis des lustres. Mais qu'en est-il au vrai ? En tout cas, la Trésorerie Générale du Royaume et l'Association pour la Fondation internationale des finances publiques continuent à œuvrer et à se mobiliser dans ce sens.
Le thème de la 15ème édition de leur rencontre annuelle a précisément retenu, les 16-17 décembre courant, à Rabat ; " Quel modèle de gouvernance des finances publiques dans un monde multi-crise?
Le monde d'aujourd'hui est marqué du sceau de l'incertitude et de la complexité. Cela tient à ce que Noureddine Bensouda, Trésorier général du Royaume a appelé "une confluence de crises et de risques majeurs". Quelle réponse l'Etat peut-il y apporter ? L'endettement ? Mais jusqu'à quel niveau de soutenabilité ? Une autre gestion et régulation des fonds publics ? Oui, sans doute, mais en se dotant des instruments adéquats. Ce qui pose le problème, entre autres, d’une évolution et même d’un basculement - d'"une logique juridique et comptable" vers une autre privilégiant la "culture managériale", comme l'a souligné Mohamed Tawfik Mouline, Directeur général de l'Institut Royal des Etudes Stratégiques (IRES).
Le New Public Management
Il y a là une double exigence : 1'évaluation donc des politiques publiques se concentre sur les points de l'audit et de la performance. Leur déclinaison se fait selon les principes suivants: le principe d'économie visant à réduire au minimum le coût des ressources avec une mise en œuvre des moyens disponibles en temps utile; le principe d'efficience pour obtenir le maximum à partir desdites ressources; enfin, le principe d'efficacité relatif à la réalisation des objectifs fixés et l'obtention des résultats es comptés. Dans tout cela, il ne faut pas minorer la pertinence et l'utilité des politiques publiques : adéquation des objectifs aux besoins socio-économiques, leur bien-fondé en se référant à tous les effets directs (résultats) et indirects (impacts).
Cela dit, un concept revient dans l'appréhension des évolutions du secteur public au Maroc: celui du New Public Management, un mouvement international des politiques de réforme administrative. Il se propose de favoriser le passage d'une culture par trop administrative - voire bureaucratique - jugée même dysfonctionnelle des administrations à une autre culture, entrepreneuriale: celle de l'innovation, de la proactivité et de la propension à prendre des risques.
Il se définit comme un mode de management public qui utilise des méthodes et outils du secteur privé, inspirés de la recherche de la performance et de résultats. Il s'inscrit, à compter des années quatre-vingt, dans le déploiement d'un mouvement international des politiques de réforme administrative. Il se propose de favoriser le passage d'une culture "administrative" - voire bureaucratique - jugée même dysfonctionnelle, des administrations à une autre culture, entrepreneuriale : celle de l'innovation, de la proactivité et de la propension à prendre des risques. Les gestionnaires publics sont ainsi mis à l'épreuve des résultats et des performances. Ils sont conduits à mettre en œuvre des pratiques et des processus permettant de d'assurer et de développer un service public de qualité. Autant de questions au cœur de la mutation des organisations publiques. Se réduit-elle à l'innovation publique ? Quels sont les déterminants et les freins à l'innovation publique et à leur diffusion ? Comment développer une relation co-créative productive entre l'Etat et les citoyens ? Comment doit se dérouler le processus d'innovation dans le secteur public ? Le rôle des fonctionnaires et /ou des décideurs politiques dans le portage d'une innovation en fait-il pour autant des entrepreneurs institutionnels concevant et développant de nouveaux cadres de l'action collective ?
Un nouveau seuil est ainsi franchi dans l'application des principes managériaux. Cet élan réformiste s'étend dans la majorité des pays industrialisés durant les précédentes décennies ; il est promu à l'échelle planétaire par la Banque mondiale et l'OCDE sous le label de " bonne gouvernance". Il ne s'agit pas seulement d’équiper de quelques techniques de gestion à la mode les pratiques de gouvernement régaliennes ; l'activité de l'administration est envisagée explicitement comme une activité de production. Le droit n'est plus qu'une norme parmi d'autres. Il est intégré à l'arsenal managérial au titre de simple outil aux côtés de normes non-juridiques. C'est le sacre de la... "Start-up nation".
Une action publique responsable
L'approche en termes d'action publique permet de traiter du thème de la responsabilité; cela aide à prendre en compte les fondements juridiques et les choix politiques participant à la décision publique et à sa mise en œuvre. L'action publique peut être définie comme l'ensemble des processus sociaux à travers lesquels sont traités des problèmes considérés comme relevant de la compétence d'autorités publiques et dont le règlement conditionne pour une part la légitimité et la responsabilité.
Ce concept d'action publique responsable n'est apparu que récemment. Il invite à s'interroger sur la connexion avec les théories des organisations et management. Ce terme peut être défini comme un ensemble de processus et de méthodes utilisés pour piloter toute forme d'organisation. Il se décline suivant une grande variété de modalités, les unes relatives à des approches globales et finalisées et les autres plutôt tournées vers des considérations et des valeurs éthiques. Une tendance s'affirme de plus en plus à cet égard : celle de la "RSE" pour "Responsabilité sociale des entreprises" - ou encore "CSR" pour Corporate Social Responsability". Cela veut dire quoi ? Qu'au-delà de leur mission, celles-ci se doivent également de prendre en compte une double exigence : les externalités induites de leurs activités sur la société et les incidences des choix - ou de l'absence des choix - opérés en la matière. Il s'agit là d'obligations d'ordre moral ou éthique.
En termes généraux, le concept de RSE englobe des principes tels les droits de l'Homme, les pratiques en matière de travail et d'emploi, les sujets environnementaux, les politiques de lutte contre la corruption, etc... Et la responsabilité sociale d'une organisation concerne tout à la fois ses salariés ou agents et toutes les parties prenantes ayant un lien direct ou indirect avec elle ou pouvant être affectées par son activité. En tout cas, la question de la responsabilité de l'action publique complète voire même dépasse la responsabilité administrative traditionnelle ; elle s'appuie sur une combinaison de logiques relatives au juridique, au politique, au social et au managérial.
Transparence administrative
Dans ce registre, nul doute que la transparence a toute sa place. Elle est appréhendée comme présentant un caractère vertueux; elle participe d'une approche citoyenne, militante, de la vie publique. L'amélioration de la transparence est ainsi censée contribuer à une meilleure gouvernance. La "transparence administrative" était à l'ordre du jour depuis des décennies ; elle se confondait cependant avec une autre question : celle de la "démocratie administrative". Celle-ci renvoyait aux droits des administrés, au droit d'accès aux documents ou encore au droit à une bonne administration. La transparence est à la fois un moyen pour éclairer ce qui est caché mais aussi une forme de surveillance des agissements de ceux qui ont en charge la gestion des affaires publiques.
Au Maroc, le principe de "transparence" est souvent consacré dans la loi suprême : articles 147 ( Cour des comptes), 154 ( Service publics), 157 ( Charte des services publics), 165 ( Conseil de la concurrence). Reste à se demander comment la transparence trouve à se réaliser : par quels dispositifs et quelles réformes ? Et quelles conséquences sur les pratiques politiques et institutionnelles ? Avec la surveillance découlant de la transparence, le modèle démocratique n'est-il pas redéfini et réarticulé ? C'est que la transparence paraît bien avoir trouvé un regain d'intérêt avec la promotion de la gouvernance, laquelle priorise la gestion. Et au peuple se substitue la société civile, à la loi le programme et à la représentation la transparence...