Projet de liaison fixe à travers le détroit de Gibraltar : de la Marche verte au message de Pedro Sanchez - Par Mohammed Mohattane

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A nul autre endroit de la méditerranée occidentale, l’Afrique et l’Europe ne se frôlent d’aussi près

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Le Détroit de Gibraltar, un bras de mer de 14 km, souvent agité par la houle, est si banal qu’il invite à se laisser vaincre par la construction d’une liaison fixe. 

Par beau temps, des hauteurs de Tanger ou des collines de Tarifa, il est possible de apercevoir clairement l'autre rive. Ce «fossé rempli d’eau » entre l'Europe et l'Afrique est si insignifiant que l’idée de s’affranchir des bateaux pour le traverser « à pied » a suscité l’appétence des sociétés savantes et inspiré le génie des décideurs politiques audacieux et visionnaires.

La politique extérieure du Maroc est dans sa géographie

Si les premières idées de construire une liaison fixe entre l’Europe et l’Afrique à travers le Détroit de Gibraltar remontent à la deuxième moitié du XIXème siècle, elle s’est affirmée de façon très forte au lendemain de la Marché Verte, après les accords de Madrid scellant la décolonisation des provinces du sud du Maroc occupée par l’Espagne.

Dans ce contexte de normalisations des relations hispano-marocain et en signe de bonne entente et de bonne volonté, le Roi Hassan II et le Roi Juan Carlos I ont décidé, au Sommet de Fès (16 juin 1979), d’engager le Maroc et l'Espagne dans un ambitieux programme d’études de faisabilité technique d'un projet de liaison Europe-Afrique à travers le Détroit de Gibraltar.

Une décision politique au plus haut niveau des deux Etats d'une grande valeur symbolique pour l'avenir des relations hispano-marocaines et d’une grande portée géostratégique pour l’avenir du partenariat euro-méditerranéen et euro-africain. 

Si l'implication du Maroc dans l'idée de réaliser une liaison fixe Europe-Afrique à travers le Détroit de Gibraltar obéissait à des impératifs politiques du moment, il fut aussi et est toujours un engagement qui s'inscrit dans des déterminismes historique et géographique du Maroc.

Avant que cet Etat séculaire ne s’organise en Nation souveraine, ses côtes étaient régulièrement convoitées et sa façade maritime sur le Détroit de Gibraltar très souvent occupée. Mais une fois devenu un Etat central, jaloux de sa souveraineté et défenseur de ses frontières nationales, le Maroc a fait de sa rente de situation géographique un moyen d'ouverture sur l’universel. Il n'a jamais cherché à exploiter sa position privilégiée de trait d'union entre l'Europe et l'Afrique, entre la Machrek et le Maghreb comme une carte à jouer pour négocier des royalties pour les caravanes transsahariennes et pour les navires qui naviguaient dans ses zones maritimes ; un chantage mercantiliste de courte vue qui l’aurait condamné à l’autarcie.

Des siècles durant, dans l'échange comme dans la compétition, cette « Chine d’Occident », a lié son destin au commerce et aux échanges. Aux plus forts moments de son existence, c’était un empire qui se ressourçait dans ses prolongements extérieurs ; au faîte de l’émancipation de ses villes-Etats comme Sijilmassa, Essaouira, Mogador, Salé, Sebta, il puisait dans l’échange international et régional les ressources de sa puissance.

Adossé à l'Afrique et tourné vers l'Europe, le Royaume du Maroc a donc compris que son avenir est dans sa vocation de corridor transcontinental entre l'Afrique et l'Europe et d’espace de transit entre les deux rives de la Méditerrané. Il est ainsi, selon la célèbre métaphore du Roi Hassan II, un arbre qui se nourrit de ses racines profondes en terre d’Afrique et qui respire par son feuillage bruissant aux vents de l’Europe. 

D’ailleurs le Souverain défunt avait, pour le cas de la liaison fixe, une préférence pour un pont plutôt qu’un tunnel enfoui, et donc invisible, dans les profondeurs du détroit de Gibraltar. Pour Lui le pont a une signification fortement symbolique beaucoup plus forte et une sémantique plus riche que la variante tunnel. S’engouffrer dans un « trou » pour traverser le Détroit de Gibraltar est pour le Souverain défunt un voyage sans âme qui banalise les relations humaines entre l'Europe et l'Afrique, en les réduisant à de simples marchandises, alors que de voir le déplacement des gens sur le pont entre l'Europe et l'Afrique a ce quelque chose de vivant mettant en scène la volonté des peuples d’aller les uns vers les autres. 

En tenant compte des niveaux atteints par le progrès technologique et l'ingénierie des ponts et chaussées à la fin du XXème et au début du XXIème siècle,  le Comité mixte intergouvernemental permanent a décidé en 1996 de retenir comme alternative de base pour continuer les études de faisabilité du projet, uniquement la solution de tunnel ferroviaire foré sous le « Seuil du détroit », entre Malabata et Tarifa. 

LE RETOUR DE L’HISTOIRE

Depuis la Marche Verte jusqu’à ce printemps 2022, beaucoup d’eau a coulé sous ce pont en projet. Les contextes géopolitiques, international et entre les deux rives de la Méditerranée, ont changé énormément. 

Les bouleversements géopolitiques que le monde est en train de vivre actuellement, mis en exergue par la crise et la guerre entre l’Ukraine et la Russie, apportent de l’eau au moulin de l’idée de construire une liaison fixe Europe-Afrique à travers le Détroit de Gibraltar, ainsi que pour le projet de gazoduc offshore qui devrait relier le Nigeria (troisième producteur de gaz naturel en Afrique), au Maroc, puis à l’Europe via l’Espagne.

La crise actuelle et l’état de guerre entre l’Ukraine et la Russie et ses conséquences géopolitiques et géoéconomiques est riche d’enseignements pour la stabilité, la paix et la prospérité de l’Europe. Elle est en train de montrer que l’Union européenne (UE) a peut être pêché  par excès d’aveugelement, en mettant la quasi totalité de ses oeufs dans un seul panier, sous l’effet de l’euphorie de la chute du mur de Berlin et son basculement pratiquement  total vers l’Europe de l’Est et les Pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO) en particulier. 

Ni le processus du partenariat euro-méditerranéen de Barcelone (1995), ni la Nouvelle Politique Européenne de Voisinage (NPEV) (2004), ni l'initiative française de l’Union Pour la Méditerranée (2007), n’ont pu contrebalancer ce basculement au profit d’une prospérité partagée entre l’UE et ses flancs de l’Est et du Sud.

La décision du Premier ministre espagnol Pedro Sanchez de soutenir pour la première fois la proposition d'autonomie du Maroc pour ses provinces méridionales récupérées secouant les establishments de Nouakchott à Alger, de Tunis à Paris, de Bruxelles à Strasbourg, de Washington à Pékin, etc.,  intervient dans un contexte de  regain d’intérêt international pour l'Afrique et du retour du Maroc à sa famille africaine; le Royaume chérifien ayant fait de son continent l’alpha et l’oméga de sa nouvelle politique extérieure. 

Comme au lendemain de la Marche Verte, cette initiative forte et audacieuse  de l'Espagne de soutien à la position marocaine d’autonomie de ses  provinces du sud récupéréees, ouvrant ainsi une nouvelle phase dans les relations entre les deux pays voisins, doit être accompagnée de gestes forts comme la relance de façon irreversible de la réalisation du projet de tunnel ferroviaire sous le détroit de Gibraltar. Un  gage et un signe de bonne volonté pour la consolidation des liens entre le Maroc et l’Espagne et au-delà, entre le Maroc et l’UE et entre l’Afrique et l’Europe.