Sahara : La France et l'Espagne ou le retour de la conscience des anciennes puissances coloniales – Par Hatim Betioui

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De D à G : Le Roi Mohammed VI, le Président français Emmanuel Macron et le Prince héritier du Maroc Moulay El Hassan au Palis de l’Elysée en France - Avec la prise de position enfin courageuse et décisive de la France sur la question du Sahara marocain, il semble que l'histoire tourne, en partie, la page de la Conférence de Berlin et des découpages territoriaux qui en ont résulté au détriment du royaume marocain.

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Bien que la décision prise par l'Espagne concernant la question du Sahara marocain le 14 mars 2022 soit d'une importance considérable, lorsqu'elle a soutenu, dans une lettre envoyée par son Premier ministre Pedro Sanchez au roi Mohammed VI, la proposition marocaine d'autonomie pour le Sahara, cette importance ne prend toute son ampleur que si on y ajoute la récente décision du président français Emmanuel Macron, qui considère que "le présent et l'avenir du Sahara occidental s'inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine" et que l'autonomie sous souveraineté marocaine constitue le cadre dans lequel cette question doit être résolue.

La position française, exprimée dans une lettre du président Macron au roi du Maroc à l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de son accession au trône, ne peut être comprise dans sa totalité sans être mise en relation avec la position espagnole. La France et l'Espagne se complètent, étant les deux anciennes puissances coloniales qui se sont partagées le Maroc lors de la Conférence de Berlin en 1884 -1885.

Le partage du gâteau

La Conférence de Berlin demeure la première conférence tenue entre les pays européens impliqués dans la colonisation pour entériner la situation existante en Afrique, organiser la répartition de ce qui restait des territoires de la région, et veiller à ce que la compétition pour ces territoires ne se transforme en guerres dévastatrices, comme cela s'était produit auparavant dans les Amériques et dans le sous-continent indien.

La conférence qui a commencé le 15 novembre 1884 pour dresser une carte du partage du continent africain, déterminer qui s'approprierait telle ou telle partie de ce continent. Treize pays européens y ont participé : Allemagne, France, Angleterre, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Suède, Norvège, Espagne, Pays-Bas, Italie et Portugal. Les États-Unis y ont également participé en tant qu'"observateurs", ainsi que l'Empire ottoman, présent d'une manière "cosmétique" visant seulement à donner un caractère international à la conférence.

La Conférence de Berlin s’est poursuivie sur plusieurs mois en discussions et réunions entre les armées colonisatrices des pays concernés, qui ont abouti à nouvelles cartes.

Il faut souligner ici l'importance des archives diplomatiques et militaires de la France et de l'Espagne, les seules à évoquer cette réalité reconnue aujourd'hui par les anciennes puissances coloniales, d'autant plus que ces documents, déclassifiées, sont désormais accessibles au public et montrent entre autres ce qu’était la situation des territoires africains du nord au sud à ce moment précis.

Une histoire et des racines

Avec la prise de position enfin courageuse et décisive de la France sur la question du Sahara marocain, il semble que l'histoire tourne, en partie, la page de la Conférence de Berlin et des découpages territoriaux qui ont suivi au détriment du royaume marocain.

Que ces cartes attestent que Maroc, ce qui est é-avéré, existe en tant qu'État depuis douze siècles, signifie qu'il n'est pas une création coloniale sans passé ni « pièces d’identité ». Les livres d'histoire et les archives des ministères des Affaires étrangères de pays européens comme l'Espagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne, l'Autriche, etc., regorgent de traités et d'accords entre les sultans du Maroc et les rois des pays européens de l'époque. L'un des accords les plus célèbres est celui conclu par le sultan marocain Moulay Ismaïl Aloui au XVIe siècle avec le roi de France Louis XIV.

Ces traités concernaient le commerce, la libération des prisonniers européens détenus par les corsaires, et la protection des flottes commerciales de pays comme l'Espagne, le Portugal et la Grande-Bretagne, qui traversaient les côtes marocaines pour se rendre en Afrique, et s'échouaient souvent sur les rivages marocains.

Le plus important est que ces accords reconnaissaient explicitement et clairement la souveraineté des sultans marocains sur les provinces sahariennes méridionales jusqu'à la pointe de la région de Dakhla.

Les nombreux documents révélés montrent que les Européens reconnaissaient que le sultan marocain exerçait son autorité sur les tribus de la région de Dakhla, en particulier les tribus Oulad Delim, qui furent les premières à entrer en confrontation avec les Espagnols, car juste après la fin de la Conférence de Berlin, le lieutenant réserviste et arabisant espagnol Emilio Bonelli et ses troupes ont débarqué dans le Sahara, où ils ont trouvé les tribus prêtes à les affronter.

Dire que le Maroc était le seul État existant de lui-même n'est pas une fiction mais une réalité tangible. Il n'a pas été colonisé, mais soumis à un traité de protection avec la France et l'Espagne. Lorsque la France a occupé l'Algérie en 1830, elle l'a en réalité prise à l'Empire ottoman, qui s'étendait jusqu'à la frontière marocaine, et non à un État algérien sans existence à l'époque, sachant que tous l'Afrique du Nord, à l'exception du Maroc, étaient sous domination ottomane.

La Vérité historique

La position claire et forte des anciennes puissances coloniales, la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, et l'ample soutien de l'initiative marocaine d'autonomie au niveau africain, arabe, asiatique et en Amérique latine, auront sans doute aucun des répercussions juridiques et politiques, rétablissant la Vérité historique et établissant que les responsables de la division du Maroc lors de la Conférence de Berlin admettent, plus d'un siècle plus tard, la véracité de ce que le Maroc a défendu en 1975, et lui a été d’une certaine façon reconnu, devant la Cour Internationale de Justice à La Haye.

En revenant aux résolutions du Conseil de sécurité, on constate que depuis 2007, elles reconnaissent que l'autonomie est une proposition raisonnable, crédible et pragmatique. Elles demandent aux parties au conflit de parvenir à une solution politique finale basée sur le réalisme et la pragmatisme. Depuis 2007, les résolutions du Conseil de sécurité ne mentionnent pas le mot "référendum", mais parlent d'autodétermination. Il est crucial ici de comprendre la différence entre le référendum et l'autodétermination.

L'autodétermination est un principe inscrit dans les règlements de l'ONU, pouvant être réalisée par divers mécanismes, parmi lesquels le référendum et la solution politique consensuelle. Dans l'histoire des Nations Unies, sur 64 cas d'autodétermination, le référendum n'a été utilisé que quatre fois. Deux de ces cas ont conduit à l'indépendance, tandis que les deux autres ont abouti à l'intégration. Les soixante autres cas ont été résolus par des solutions politiques négociées.

Vers une évolution des décisions du Conseil de sécurité

L'ONU a abandonné le mécanisme du référendum pour réaliser l'autodétermination et a demandé aux parties au conflit du Sahara de recourir à un autre mécanisme : la solution politique finale consensuelle, prenant en compte le sérieux et la crédibilité de la proposition marocaine d'autonomie.

Dans ce contexte, de nombreux observateurs s'attendent à une évolution positive des décisions du Conseil de sécurité en octobre prochain, tout comme ils prévoient des développements et des prises de position politiques de la part d'autres pays européens, car la France a une influence en Europe et pourrait ouvrir la voie à d'autres pays européens pour adopter des positions similaires.

La nouvelle position de la France est le début d'une cicatrisation de la blessure historique dont le Maroc a beaucoup souffert, une étape essentielle pour remettre les choses en ordre, une correction du cours de l'histoire, et une reconnaissance implicite que le Maroc a été injustement morcelé et a subi une partition sévère. Aujourd'hui, la France reconnaît cela publiquement, comme un réveil de conscience des anciennes puissances coloniales amnésiques depuis la Conférence de Berlin en 1884.