Sexe contre bonnes notes en terrain favorable - Par Bilal TALIDI

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Le plus important ne sont pas les détails sordides de ces faits abjects, mais l’appréhension des contours d’un phénomène social qui interpelle fortement, dès lors que qu’il implique des enseignants universitaires dans leurs rapports avec leurs étudiants.

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Cinq enseignants universitaires sont poursuivis devant la Cour d’appel de Settat dans le cadre de l’affaire communément appelée «sexe contre bonnes notes», impliquant chantage, falsification de notes, corruption, chantage sexuel et traite d’êtres humains.

Ce qui frappe dans cette affaire qui n’est pas « l’apanage » d’une seule université, est qu’elle concerne cinq enseignants d’une même université, qui dispensent des cours dans deux disciplines connexes (économie et droit), et qui assument d’importantes responsabilités administratives (chef de département) et pédagogique (coordination du Master). Ce sont donc des responsables dotés d’un certain pouvoir et de larges prérogatives dont dépendent les intérêts des étudiants et leur besoin impérieux de parachever leurs études supérieures et leur cursus académique.

L’anecdotique au détriment de l’essentiel

Il est regrettable que l’opinion publique n’ait pas eu la réaction correspondant à une affaire dont la nature la prédisposait normalement à servir d’électrochoc à la conscience académique et pousser chacun, le ministère de tutelle en premier, à une introspection profonde, individuelle et collective, pour soulever les questions fondamentales que suscite ce scandale inconcevable sans terrain favorable et proposer des politiques conséquentes pour en circonscrire l’étendue pour que « plus jamais pareilles forfaitures ne se reproduisent».

Certains activistes, un brin sarcastique, ont réagi sur les réseaux sociaux à cette douloureuse affaire en se demandant pourquoi la faculté des sciences juridiques et économiques de Settat n’a pas fermé ses portes ? 

Excessive, cette dérision n’est pas pour autant complètement déplacée. Sous d’autres cieux, ce type de chocs susciterait sans attendre des mesures drastiques, avant même d’entamer toute autre procédure appropriée. 

Car le plus important n’est pas de revenir sur les détails sordides de ces faits abjects, de sacrifier l’essentiel sur l’autel de l’anecdotique, mais d’appréhender les contours d’un phénomène social qui interpelle fortement, dès lors qu’il implique des enseignants universitaires dans leurs rapports avec leurs étudiants. 

Des modalités et des procédures à revisiter

La première question qui se pose dans ce sens consiste à préciser le circuit suivi par ces prévenus pour accéder à l’enseignement supérieur. La deuxième, les responsables de ces abus étant à des postes de responsabilité, consiste à remettre sérieusement en cause les modalités de l’élection d’un chef de département et l’accréditation d’un Master au niveau central. La troisième question, enfin, se rapporte à l’abus d’autorité et de pouvoir en matière d’évaluation pédagogique, pour procéder à une remise à plat du système d’évaluation pédagogique universitaire dans sa globalité.

Chaque fois qu’il en est question, l’accès à la fonction de l’enseignant universitaire entraine dans son sillage un déluge de critiques sur les résultats de sélection et de l’examen oral des candidats au poste. Aux détracteurs, le ministère répond invariablement en brandissant l’argument de l’autonomie de l’université, dont le doyen ou le président a toute latitude de nommer les commissions en tenant compte dans leur composition du rapport des candidats avec les départements concernés. Sauf que le travail au sein de ces départements est malheureusement souvent subordonné aux polarisations qui traversent la faculté. Ce qui donne au final une sélection et une admission du candidat tributaires d’équations complexes et douteuses qui, à la longue, ont fini par s’ériger un système d’allégeance, de clientélisme et de réseautage comme unique déterminant dans tout le processus. 

Ce processus ainsi vicié est conforté en amont de sa genèse par une grille d’évaluation pédagogique du candidat au poste de professeur-assistant, livrée à un pouvoir discrétionnaire, en l’absence d’un cadre académique précis censé évaluer les compétences du postulant à travers ses travaux antérieurs et ses publications. De même, le critère de l’ancienneté dans l’enseignement n’échappe pas au système de clientélisme, puisque l’on demande au détenteur d’un doctorat qui postule au poste de professeur d’avoir déjà exercé en tant que vacataire, et ce en l’absence toujours de critères académiques contraignants pour l’acceptation ou le rejet des services de ce même vacataire.

La procédure d’élection et d’accréditation à la tête d’un département devrait obéir normalement à deux critères. Le premier est que le postulant remplisse une batterie de conditions pédagogiques et scientifiques, outre des prérequis de rectitude morale et professionnelle. Le second, relatif aux Masters, nécessite du ministère une profonde refonte du processus de leur accréditation, à commencer par l’examen de leur conformité avec les exigences administratives, juridiques, pédagogiques et académiques, et, le cas échéant, ne pas hésiter à suspendre les accréditations non conformes aux conditions requises, en vue de mettre vigoureusement un terme à l’anarchie qui gangrène les procédures.

Un générateur de profits et d’outils de pression

L’on pourrait légitimement objecter contre la pertinence du critère de « rectitude morale », difficile à cerner, dans une candidature à un poste de responsabilité. La solution est pourtant simple : Elle se trouver dans les dossiers de l’administration de l’université et de la faculté qui dispose de nombre de registres susceptibles d’être utilisés comme des indicateurs fiables pour jauger une candidature tels les absences non justifiées ou encore les manquements pédagogiques ou juridiques du postulant.

Reste l’évaluation pédagogique des étudiants, proies potentielles des enseignants prédateurs, qu’il s’agisse des examens de passage ou de l’admission des prétendants aux cycles des Masters et doctorants.

Le problème majeur, à ce niveau, est que nombre d’étudiants se plaignent continuellement de certains enseignants, particulièrement ceux de la faculté des sciences juridiques, qui obligent à l’acquisition payante des polycopies, ces dernières étant la clé de voute indispensable pour le passage des examens oraux. Ce commerce prospère sans que le ministère de tutelle intervienne pour mettre un terme à un phénomène devenu « vache à lait» pour certains, et un arme de chantage pour d’autres. De même, le pouvoir étendu de certains enseignants, adossés à leurs clans dans le milieu universitaire, a fini par faire de l’accès aux cycles du Master et des études doctorantes un outil de chantage financier et sexuel.

Pour ne rien changer, le ministère de tutelle se barricade derrière l’autonomie de l’université pour se défausser de ses responsabilités qui consistent à intervenir dans le processus de l’évaluation pédagogique et à en interdire l’usage à des fins condamnables. Devant le fait accompli, le doyen de la faculté tout comme le président de l’université se retrouvent pieds et poings liés, étant eux-mêmes englué dans un engrenage d’équilibres et d’équations créés par la nature des blocs qui tiraillent l’institution universitaire. 

Il n’est donc pas un hasard si aucun ministre n’ait, jusqu’ici, réussi à faire bouger le curseur à ce niveau, de crainte de s’attirer les foudres de l’université, mais aussi et surtout la colère des syndicats, « anges » gardiens de cet état de fait.

Le ministre actuel n’en sait que trop, chiffres à l’appui, sur cette situation dont il a lui-même, à un moment donné, fait les frais, mais risque fort probablement d’hésiter à s’y attaquer de crainte de provoquer la tempête.

Pendant ce temps, d’aucuns se délectent du phénomène «sexe contre bonnes notes», une belle occasion d’entamer la crédibilité de tout un corps enseignant, quand bien même il ne s’agirait que d’une minorité. Mais peu osent poser les questions qui fâchent afin de leur trouver les réponses idoines. Sont-ils seulement conscients que la peur d’affronter de front les problèmes est ainsi souvent le pire moyen d’ajourner le changement. Jusqu’à quand ? 

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