Un précédent : Rencontre des ''experts de l'État'' des deux rives, religion et monde séculier - Par Talaa Saoud Al-Atlassi  

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Le professeur Ahmed Toufiq, ministre des Habous et des Affaires islamiques, a tenu à inaugurer la rencontre par une approche philosophique, visant à consacrer une réconciliation "religion-philosophie", espérée et bénéfique pour les deux parties

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Talla Saoud Al-Atlassi met en lumière une dynamique nouvelle dans la gouvernance marocaine, où la religion n’est plus seulement une sphère spirituelle, mais un levier actif pour accompagner les défis du développement. Pour le chroniqueur, cette rencontre marque un tournant dans la réflexion sur le rôle de la religion dans un État moderne, avec une approche qui allie pragmatisme et spiritualité pour répondre aux besoins de la société.

Le professeur Ahmed Toufiq, ministre marocain des Habous et des Affaires islamiques, historien, érudit et écrivain, était, ce dimanche 9 février à Rabat, visiblement épanoui alors qu’il animait, avec toute la vivacité de sa pensée, les sessions de la rencontre organisée par le Conseil supérieur des oulémas avec des experts en gouvernance gouvernementale et civile dans les domaines social, économique, sécuritaire, judiciaire et des droits humains.  

Cette rencontre est une première du genre au Maroc. Elle constitue un précédent historique dans l’instauration d’un dialogue interactif entre les théologiens – "experts" des affaires religieuses, la religion étant inscrite dans la sève même de l’État – et les experts en gouvernance étatique dans ses dimensions politiques, économiques, judiciaires et sécuritaires, afin d’examiner les moyens de dynamiser le rôle de la religion dans "ce qui est bénéfique aux gens", une expression répétée à plusieurs reprises par le ministre Ahmed Toufiq.  

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Des commentaires de celui qui est à la fois ministre et érudit, et des interventions des "experts", les participants ont pu discerner le fil conducteur de cette rencontre, qui semble sans précédent dans les mondes arabe et islamique. Il s’agit d’explorer comment les pratiques cultuelles peuvent renforcer l’utilité des transactions sociales et économiques et, comment ces dernières peuvent consolider la sincérité et l’authenticité des pratiques cultuelles. 

En effet, il n’y a pas d’intention plus profonde et plus utile aux cultes que "ce qui est bénéfique aux gens". À une époque où les contraintes de la vie deviennent de plus en plus difficiles et pesantes, comme l’a souligné un intervenant, et sous un système économique mondial que les musulmans n’ont pas contribué à construire mais auquel ils doivent se soumettre, cette réalité impose une contextualisation spécifique de l’encadrement religieux. Cela implique une ouverture de la vision religieuse, son renouvellement et son rejet de toute forme d’immobilisme L’être humain est le produit de son environnement, et il en est de même pour sa religion. La religion est une entité vivante qui préserve ses fondements tout en adaptant ses applications à la flexibilité de la vie.  

Le professeur Toufiq a tenu à inaugurer la rencontre par une approche philosophique, visant à consacrer une réconciliation "religion-philosophie", espérée et bénéfique pour les deux parties, comme l’a suggéré le ministre. Le professeur Ali Benmakhlouf a, dans son intervention, convoqué un ensemble de philosophes, de Socrate aux penseurs contemporains, pour ancrer des concepts dont le fondement est la foi, un point commun entre religion et philosophie. Il a ainsi évoqué Ibn Rochd (Averroès), qui avait établi un lien entre la charia et la philosophie. Devant les oulémas, il a analysé des notions comme l’intention, l’appel, la volonté et le bien, toutes imprégnées de foi, tant sur le plan formel que sur le fond, et ayant pour finalité l’être humain.  

Le développement, ou "ce qui est bénéfique aux gens", était au cœur des discussions, que ce soit de manière explicite ou en filigrane, de toutes les interventions. Elles ont abordé les principaux aspects de la gouvernance de l’État, de l’économie à la sécurité, en passant par la justice, la gestion des besoins, les aspirations et les nécessités, qu’il s’agisse de la sécurité, de l’eau, de la dignité humaine ou de son bien-être psychologique. Les oulémas ont un rôle essentiel dans cette exigence vitale : ils doivent transmettre, par l’autorité de la religion, un message qui génère une résilience dans la dynamique de développement. 

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Le développement est en effet dirigé par les différentes instances de la société : administratives, judiciaires et démocratiques. Ces instances ont besoin de principes et de valeurs éthiques, tout comme ces dernières ont besoin d’instances pour les imposer et les encadrer. C’est ici que réside la mission des oulémas : assurer la transmission et la diffusion des principes religieux, en les adaptant à la réalité, en appliquant la charia – la loi divine révélée –, et en influençant les valeurs morales, qui sont le fruit de l’action humaine et qui servent de lubrifiant aux interactions entre les individus.  

Le relâchement moral, qui découle d’une faiblesse dans l’incarnation des objectifs spirituels de la religion, constitue l’un des principaux freins à l’efficacité du développement, comme l’ont souligné presque toutes les interventions des ministres, des présidents des instances de gouvernance constitutionnelle, du porte-parole de la direction générale de la sécurité nationale et de plusieurs figures politiques influentes. Cette rencontre a ainsi permis une mise au point sur les vices à éradiquer et une précision sur les moyens de maximiser les bénéfices collectifs. La sincérité et la transparence ont marqué les discussions, et une volonté commune d’œuvrer pour l’intérêt suprême du Maroc s’est dégagée. Le Conseil supérieur des oulémas n’a ni anticipé prématurément cette rencontre ni tardé à la convoquer. Il a su capter la maturité de la conscience nationale partagée sur la nécessité d’unir les volontés et les piliers de la société marocaine, en intégrant l’ensemble des champs de pratique, y compris les sphères religieuse et institutionnelle. Ce faisant, il a ouvert, à travers cette rencontre, une nouvelle approche dans la dynamique du développement marocain.  

Les intervenants ont approfondi l’analyse d’une des dérives les plus pernicieuses en matière de moralité – ou plutôt d’immoralité –, qui nuit gravement à l’efficacité du développement : la fraude, tant dans les comportements individuels que dans la vie publique. La fraude, qui trouve son origine dans l’égoïsme, corrompt la foi de l’individu et nuit aux intérêts collectifs de la société. La fraude dans l’exercice des responsabilités publiques grève les efforts de développement, tandis que la fraude dans les comportements personnels érode l’intégrité morale des individus. Il s’agit d’un exemple frappant des effets délétères de l’égoïsme individuel sur le bien commun. Cette problématique appelle à une intervention des oulémas afin d’approfondir la foi des individus et d’améliorer leur engagement citoyen au service du projet national.  

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L’objectif est que la religion, avec ses rites, ses pratiques et ses principes, imprègne de manière tangible aussi bien la vie privée que la vie publique. Il est nécessaire que les oulémas s’investissent davantage dans la transmission des enseignements religieux et qu’ils se rapprochent de la réalité quotidienne en prônant le bien, qui est ce qui est bénéfique aux gens. De même, la gestion du développement par l’État doit être imprégnée de la dimension religieuse afin d’en renforcer l’efficacité en l’alignant sur les besoins quotidiens et fondamentaux de la vie, tout en résistant aux contraintes de l’époque.  

Cette rencontre aura des répercussions et marquera l’histoire. Elle est appelée à se prolonger à travers d’autres rencontres similaires, dont la première consistera en une session où les oulémas prendront place sur l’estrade afin que, cette fois, les experts du développement les écoutent à leur tour, pour favoriser un échange mutuel et nécessaire entre ceux qui veillent sur les pratiques cultuelles et ceux qui œuvrent à enrichir l’environnement des transactions sociales et économiques.

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