Vague d'optimisme - Par Seddik Maaninou

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Le Roi Hassan II prêtant une oreille à Abderrahmane Youssoufi : En choisissant Abderrahmane Youssoufi, Hassan II signifiait tous que l'ère des complots était révolue, que la patrie était clémente et miséricordieuse, que les ennemis d'hier étaient devenus les amis d’aujourd’hui

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Depuis la fenêtre de la maison, je regarde la mer et observe ses vagues sans pouvoir en profiter pour des raisons de santé. Je saisi l'occasion pour entamer une nouvelle révision de mes mémoires « Les jours d'antan » en six tomes, en vue d’une cinquième édition, après l'épuisement de la quatrième, que j'avais appelée « l'édition d’argent ». La popularité de cet ouvrage est sans aucun doute due au fait qu'il raconte en détail, de mon point de vue, les événements et faits marquants que le Maroc a connus au cours des quarante années du règne du roi défunt Hassan II.

Les dernières années 

J'ai commencé la révision du sixième tome, dans lequel je raconte ce que j'ai vécu et observé au cours des cinq dernières années du règne d'Hassan II, une période marquée par un changement profond dans sa politique intérieure. Cette période a été particulièrement marquée par une nouvelle constitution (1996) et des élections sans tâches notables (1997) et qui ont permis à l'Union socialiste des forces populaires (USFP) de remporter un nombre conséquent de sièges qui l'a qualifiée à la primature et l’occupation de plusieurs portefeuilles ministériels.

Cette période a ainsi vu la formation d'un gouvernement dirigé par l'avocat de gauche Abderrahmane Youssoufi (1998), accompagné d'une vague d'optimisme et de beaucoup d’attentes. Enfin, j’évoque longuement de la maladie de Hassan II, de ses dernières décisions et son décès au quatrième étage de l'hôpital Ibn Sina à Rabat en juillet 1999.

Une page de tournée 

Le mercredi, 4 février dans après-midi, une annonce du Protocole royal a indiqué que "Sa Majesté le Roi a reçu Abderrahmane Youssoufi... et l'a chargé de former le nouveau gouvernement, et Youssoufi a accepté cette mission." Immédiatement, les déclarations de satisfaction et de volonté de travailler ont afflué tandis que les membres de l'USFP exprimaient leur soulagement. Beaucoup se sont alors empressés d'encourager le premier secrétaire du parti à prendre tel ou tel profil pour tel ou tel poste ministériel. Ce fut la corse aux portefeuilles.

En choisissant Abderrahmane Youssoufi, Hassan II cherchait à provoquer un électrochoc politique et psychologique, pour signifier que l'ère des complots était révolue, que la patrie était clémente et miséricordieuse, que les ennemis d'hier étaient devenus les amis d'aujourd'hui, et que l'objectif était de sauver le Maroc de la "crise cardiaque". Il voyait dans le choix de Youssoufi une preuve indéniable du succès de la réconciliation et de la fin d'une page douloureuse marquée par des décennies de confrontation où chaque camp utilisait contre l’autre toutes sortes de conspirations, de violence et de force. 

C'était là une opportunité en or pour ouvrir de nouveaux horizons prometteurs.

Les secrets des rencontres  

J'ai noté dans mes mémoires que les membres de l'USFP tentaient de connaître le contenu des discussions entre Youssoufi et le Roi, mais celui qui était devenu ainsi son Premier ministre évitait scrupuleusement d’en révéler la teneur, conservant pour lui les secrets de ses nombreuses rencontres avec Hassan II. Ou alors  s’il en a parlé c’est certainement à un nombre de camardes très proches et très limité. Ce qui est certain, c'est que Youssoufi s'efforçait toujours d'adopter une approche prudente pour obtenir l'approbation du Roi et le rassurer, notamment en acceptant la présence de ministres de souveraineté, en modifiant certaines de ses propositions de ministres que le Roi avait recusés, et en engageant des négociations avec les "partis administratifs" pour assurer une majorité confortable à son gouvernement.

Qui s’en souvient ?

Qui d'entre nous se souvient de ces jours, des surprises et des spéculations qui les ont accompagnées, et des rencontres qui ont eu lieu en public et en coulisses. Le récit de tous ces événements a capté l'attention des lecteurs, qui se sont tournés vers mes mémoires pour découvrir une version de ce qui s'était passé à un moment critique de la vie du Royaume, caractérisé par la détérioration de la santé d'Hassan II et son désir de garantir une transition pacifique pour la continuité de la dynastie alaouite.

Aujourd'hui, tout cela semble appartenir au domaine de l'évanescent, bien que ces événements ne datent que d'un quart de siècle. En vérité, nous attendions plus de détails dans les mémoires de Youssoufi, rédigées par un de ses disciples. Cependant, en raison de l'autocensure et de l'oubli de certaines périodes historiques, ces mémoires n'ont pas atteint le niveau élevé qu'on aurait pu attendre de la part d'un homme qui a pratiqué la politique sous ses deux formes, pacifique et armée... 

Néanmoins, pour cette partie de l’Histoire, Youssoufi restera le symbole d'une vague populaire d'optimisme.