Congrès extraordinaire : Le PJD face à des choix périlleux- Par Bilal TALIDI

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Saad Dine El Otmani et Abdalilah Benkirane : Il est dit (et écrit) qu’entre ces deux-là il n’y aura plus d’entente

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Tout au long de son parcours, relativement long, le PJD a choisi de gérer ses crises par le levier organisationnel, en misant sur la démocratie interne pour régler ses différends par le truchement du vote et le respect de ses résultats.

Le référentiel religieux et pédagogique de ses membres lui a permis de de capitaliser sur cette méthodologie et sur la discours qu’elle a généré dans le fonctionnement interne du parti.

Mais à la veille du prochain congrès extraordinaire prévu ce samedi, le cours des évènements prend une tournure différente. La limitation de la mission de cette échéance à l’élection d’une nouvelle direction et à la fixation de la durée de son mandat, a été dictée par le souci pragmatique d’écarter le débat politique des travaux du congrès pour lui éviter de sombrer dans le conflit.  Sauf que la méthodologie suivie à cette fin a obéi à des attitudes politiciennes précipitant le parti dans un bourbier inextricable.

Désordre comportemental 

Le désordre qui caractérise le comportement de la direction démissionnaire est pour le moins incompréhensible. Après avoir présenté une démission collective suite à la débâcle électorale, le secrétariat national sortant a surpris le dernier Conseil national du parti en assurant que sa démission était d’ordre politique sans conséquences légales, exprimant ainsi son intention de maintenir son contrôle sur l’appareil du parti et sur ses décisions.

De même, l’appel de la direction sortante à un congrès extraordinaire, alors même que le congrès ordinaire était prévu pour décembre prochain, a éveillé en interne de nombreux soupçons et suscité des questions profondes sur les velléités qui ont présidé à ce choix.

Nombre de militants estiment que la démission du Secrétaire général aurait suffi en pareille situation et aurait épargné au parti l’enlisement dans des conjectures tortueuses telle la conformité avec les dispositions de la loi organique relative aux partis politiques dont l’irrespect entrainerait la perte des subventions de l’Etat.

Selon eux, il aurait suffi au Secrétaire général de présenter une démission écrite et juridiquement contraignante. Assumant, comme il se doit, la responsabilité de l’échec, il confierait à son adjoint la gestion de la durée restante du mandat avec pour unique mission de préparer le congrès ordinaire du parti, en décembre ou quelques mois plus tard, sans avoir à tenir un congrès extraordinaire réduit à examiner le mandat d’une nouvelle direction transformée pour l’occasion en simple comité préparatoire d’un congrès ordinaire.

Il serait difficile de s’expliquer le comportement de la direction démissionnaire par un amateurisme politique dans la gestion des exigences organisationnelles. Loin s’en faut. Il n’est pas dans les mœurs juridiques, politiques et morales du PJD d’annoncer une démission collective devant les membres du parti et devant l’opinion publique, pour prétendre par la suite qu’il s’agissait-là d’une démission d’ordre politique sans conséquences légales. Ou encore de prétendre que le secrétaire générale continuerait à assumer pleinement ses prérogatives, y compris la présidence des travaux du prochain congrès et la définition des prérogatives de la nouvelle direction qui en serait issue.

L’ombre de Benkirane

Il ne fait pas l’ombre d’un doute que les calculs politiques n’étaient pas étrangers à ce comportement. Il est fort probable que la direction démissionnaire a agi avec l’arrière-pensée d’écourter le mandat d’Abdalilah Benkirane, s’il venait à revenir, quitte à engluer l’appareil du parti dans un labyrinthe organisationnel, et à compromettre sa conformité avec la loi sur les partis.

On en veut pour preuve que les options disponibles sur lesquelles la direction sortante a engagé le parti s’articulent autour de trois scénarii.

Le premier consiste à ce que Benkirane accepte la limitation à une année du mandat de la nouvelle direction, auquel cas il ne pourrait jouir d’un mandat complet s’il est élu. Dans cette éventualité, Benkirane serait devant une mission herculéenne qu’il ne pourrait accomplir en un laps de temps aussi court (une année), sachant que la tenue du prochain congrès n’est pas qu’une affaire de documents et de paperasses, mais de la création des conditions nécessaires au resserrement des rangs, de la production d’une réponse politique collective pour la prochaine étape, et du dépassement des clivages politiques qui fragmentent autant la direction que les bases du parti. Cette mission impossible à accomplir en si peu de temps est synonyme d’échec, et cet échec éventuel, dans les calculs du secrétariat général démissionnaire, serait un alibi idoine pour écarter Abdalilah Benkirane de la direction de la prochaine étape courant jusqu’aux élections de 2026.

Le deuxième scénario suppose que Benkirane rejette, ce qu’il a fait publiquement, la limitation à un an du mandat de la nouvelle direction. Dans ce cas de figure, une nouvelle personnalité influente prendra les rênes du parti avec pour agenda unique la préparation du congrès et corollairement l’éviction de Benkirane pendant une année, au cours de laquelle il sera procédé à un travail minutieux au sein des bases du parti pour faire oublier la débâcle électorale, soigner ses séquelles et préparer l’éviction de Benkirane de la période post-congrès ordinaire.

Le troisième scénario porte sur l’éventuel rejet par le congrès extraordinaire de la proposition limitant à une année le mandat de la nouvelle direction. Dans ce cas, Benkirane, les coudées franches, aura une occasion inestimable pour reprendre la direction du parti, et tout son temps pour réajuster ses cartes politiques et organisationnelles.

L’instant de discernement

Pris dans l’engrenage des arguments produits par la direction démissionnaires quant à l’éventuelle non-conformité du parti avec les dispositions de la loi organique sur les formations politiques, les bases et cadres du PJD semblent incapables de discerner les dynamiques internes de ses dirigeants. Devraient-ils se fier aux préceptes religieux et pédagogiques qui lui intiment d’écarter la mauvaise foi (barrer la route à Benkirane) ? Ou se rendre à l’évidence d’une crise de confiance au sein de la direction du parti qui requiert une fine gestion politique ?

Dans tous les cas de figures, l’étape du prochain congrès mettra à l’épreuve le système des valeurs du PJD et sa pensée politique. C’est l’instant de discernement. L’on saura alors si la logique conservatiste l’emportera. Ou si la Raison politique aura commencé à comprendre la pratique politique qui a ses propres règles et ses procédés particuliers. Si aussi elle a saisi que l’acte politique est devenu plus fort que le système des valeurs, et que derrières les choix organisationnels se nichent des considérations politiques souvent aux conséquences lourdes.

 

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