Dissoudre l’UMA : Le Maroc ne doit plus couvrir l’imposture – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni

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L’instant d’un rêve célébré en grande pompe, le temps que le jour se lève et que l’on se réveille de nouveau à la tristesse du réel

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Être heureux envers et contre tout !

La création du l’Union du Maghreb Arabe a été officialisée en grande pompe à Marrakech en février 1989. Les cinq chefs d’Etats n’avaient ce jour en tête qu’un objectif : occulter les profondes divisions qui lézardaient l’idée du Grand Maghreb. Une idée née une trentaine d’années auparavant, en pleine guerre d’Algérie, lors de la rencontre de Tanger tenue fin Avril 1958 entre les principales forces politiques qui ont lutté ou qui luttaient encore pour l’indépendance de leurs pays respectifs.

Ces forces portées par nos aînés, ceux de la génération des Indépendances, s’inscrivaient naturellement dans l’idéologie dominante de l’époque : le nationalisme arabe qui voyait dans la création de grands ensembles géographiques la condition sine qua none pour que nos pays réintègrent l’Histoire. Une idée qui a fait rêver et qui fait encore rêver !

L’annonce de la fondation de l’Union en 1989 était le cataplasme miracle posé par les chefs d’Etats maghrébins de l’époque pour calmer les blessures de leurs peuples. Le mot Maghreb avait un pouvoir à la fois magique et surtout... soporifique qui arrangerait les calculs sordides des protagonistes. Les populations y croyaient et continuaient à nourrir l’espoir fou de voir l’Union dissoudre les divisions ou du moins résorber un tant soit peu les antagonismes.

Est-ce une idée chimérique à remiser dans le musée de l’Histoire ? Ou y a-t-il des forces névrotiques qui font tout pour torpiller cette idée ? Y répondre, revient à répondre à la sempiternelle question : à qui profite le crime ?

Certainement pas au Maroc, un pays qui de tous temps et culturellement a fondé sa prospérité sur les échanges extérieurs. Le Marocain vit de l’export et avec l’export, il ne vit pas d’une situation de rente qui le dispense de l’effort. Il essaime partout, là où il estime sa présence utile pour lui et pour ses partenaires. Ce fût le cas en Afrique où il est présent depuis des générations. Sa présence remarquée aujourd’hui, est saluée parce qu’elle s’appuie, dans ses échanges, sur des produits novateurs comme la Finance ou les Télécoms ou la nouvelle agriculture. 

Le Maroc, dans sa catégorie, est le pays qui a signé un nombre appréciable d’Accords de Libres Échanges (ALE), englobant un maximum de pays. Autrement c’est dit un pays qui n’hésite pas à s’ouvrir aux autres et à aller vers et chez les autres. Il tient cette belle assurance de sa relation décomplexée avec l’étranger, car il assume avec aisance son identité, une identité judicieusement affinée et pleinement aboutie.

Il ne peut donc être, et ne saurait être un obstacle à une quelconque ouverture sur l’extérieur, car c’est précisément dans ce genre d’ouverture qu’il puise une part non négligeable de son rayonnement. 

Je vois difficilement des pays comme la Tunisie, la Libye ou La Mauritanie torpiller un ensemble aussi prometteur pour leur devenir. Ces pays, de tailles modestes, ont grandement besoin de s’arrimer à des locomotives capables de les tirer vers le meilleur. L’Algérie comme le Maroc avaient la capacité de jouer ce rôle de locomotive comme ce fut le cas de l’Allemagne et la France pour l’Europe. Donc chacun des trois pays avait un intérêt évident à faire aboutir l’UMA. 

Si ces trois pays et le Maroc voulaient l’UMA et souffrent de son blocage, il ne reste plus qu’un pays à mettre à l’index, l’Algérie ! Pour quelles raisons s’est-elle obstinément opposée à l’édification du Maghreb ? Un patriotisme subitement découvert qu’accompagne une vaine vanité ? L’orgueil d’avoir enfin un État qu’il fallait ne pas engager dans un processus de construction d’un ensemble susceptible d’altérer un tant soit peu une liberté chèrement acquise ? 

Les choses sont allées trop vite pour l’Algérie. Ce pays à peine sorti de nimbes de la colonisation s’est doté d’un État, mais il arrive difficilement à s’ériger en Nation car il n’y a aucun recul historique pour solidifier les liens entre les différentes populations. En fait un pays en mal d’identité. Disons une Nation en devenir !

Normal qu’elle ne veuille pas se saborder en se fondant dans un ensemble au côté d’un pays qui comme le Maroc a une identité aussi affirmée. On comprend alors ce complexe maladif vis à vis de nous et la peur panique qui détermine les décisions de nos voisins.

Des psychologues ou des sociologues peuvent mettre un nom sur ce genre de pathologie. Pas moi ! Je conviens que cette approche de l’attitude algérienne relève de la théorie pure. Qu’en est-il de la réalité ?

On sait la fascination que la manne des hydrocarbures a toujours exercée sur les dirigeants successifs algériens. Ce don, venu du ciel, est le remède miracle pour contourner le surgissement de tous problèmes dans le pays. Développer l’industrie, le tourisme ou l’agriculture allait permettre de glaner des quarts ou des demi-points du PIB. 

Trop insignifiant ! Il suffit parfois d’un changement brutal du cours de pétrole pour que le revenu du pays grimpe (ou baisse) de 4 à 5%. L’UMA apparaît plus insignifiante que jamais aux yeux du pouvoir algérien.

Insignifiante pour insignifiante, pourquoi offrir au Maroc l’opportunité de s’affirmer davantage grâce à son entregent, son savoir-faire dans les services innovants, son sens inné du commerce, son industrie relativement performante ... En face l’Algérie, en l’absence de toute production propre se trouve désarmée et se réduit à être un simple marché livré à la concurrence de produits étrangers. Pourquoi privilégier le Maroc en donnant corps à l’UMA ? 

La non-réalisation de l’UMA coûte entre 1 à 2% du PIB à chacun des pays de la région. En retenant pour le Maroc l’hypothèse basse d’un PIB annuel de 100 milliards de Dollars sur les 45 dernières années, notre pays accuse une perte abyssale de l’ordre de 70 milliards de Dollars. À cela il faut ajouter un montant équivalent dépensé inutilement en armements pour nous défendre contre une menace persistante à notre frontière Est. Imaginez un instant ce que nous aurions pu faire avec 150 milliards de Dollars avec un voisinage moins hostile !

Trop c’est trop, et cette plaisanterie de mauvais goût dure depuis longtemps. Aucune prémisse à l’horizon d’une éventuelle éclaircie ! Continuer dans ce déni, c’est être complice d’une mascarade dont aucun pays ne sortira indemne. Vous rétorquerez que le Maroc, depuis deux décennies, poursuit son bonhomme de chemin enregistrant ici et là des avancées certaines. Il aurait ainsi intégré dans son quotidien l’absence de l’UMA.

Si cela va de soi, les choses iront encore mieux en le clamant haut et fort ! Les peuples du Maghreb ont besoin de se libérer de cette idée factice, de cette illusion devenue à la longue sournoise, car chaque maghrébin garde au fond de lui-même l’espoir que l’UMA n’est pas juste un mirage.

Il appartient au Maroc de jouer la carte de la franchise avec les peuples de la région en annonçant la fin du mythe. Nous avons été sincères en nous embarquant dans l’aventure maghrébine et notre sincérité a été contagieuse pour les autres pays. Peut-être devrons-nous aller jusqu’au point de présenter des excuses pour avoir trop cru dans cette idée en entraînant les autres avec nous. En nous affranchissant officiellement, et avec nous tous les Maghrébins, de ce dogme qui perdure, nous donnerons une chance de recomposition des relations intra-maghrébines de manière qu’elles ne pourront être que plus bénéfiques.

Je rêve d’un discours que Mohamed VI adressera, par-delà les gouvernements, à l’ensemble des peuples du Maghreb pour leur annoncer la fin de la mascarade UMA, et leur dire combien le Maroc est désolé que l’idée pour laquelle il s’est tant investi n’a pu se concrétiser à cause des desseins hégémoniques des voisins. Nul doute que les Maghrébins sauront gré au Roi pour une franchise dont ils ne sont pas coutumiers.

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