Gouvernement Akhannouch : Les trois exigences du succès – Par Bilal TALIDI

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Réunion du conseil de gouvernement le 16 octobre 2021à Rabat (Crédit photo MAP)

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Pour nombre d’observateurs, le projet de loi de finances du cabinet Akhannouch est probablement plus important que le programme gouvernemental, en ce sens qu’il renseigne sur le plafond des réalisations à atteindre dans le contexte des défis et contraintes auxquels le Maroc est confronté. Pour réussir sa mission, il doit répondre à trois exigences de base. 

Il est certes prématuré d’émettre des remarques sur ce projet de loi. Il n’empêche que l’on peut, dans cette phase préliminaire, sur une première leçon pédagogique à retenir du discours de l’institution du Chef du gouvernement qui se place désormais dans un langage glissant des importantes promesses électorales vers la dure réalité du terrain. Le Chef du gouvernement, à l’instar de ses prédécesseurs, commence ainsi à assurer que «nous ferons ce qui peut l’être, et ce que nous ne pourrons réaliser, nous vous le dirons».

Il s’agit là d’un significatif glissement, dans la mesure où le social (enseignement, santé voire protection sociale) n’a plus la même prépondérance qu’il occupait dans les promesses électorales.

Le réalisable de l’infaisable

Il va sans dire que les chiffres élaborés par les cadres du ministère des Finances aident les politiques à corréler ce qu’ils ambitionnent d’accomplir avec les diktats têtus du terrain et leurs implications financières. 

Le projet de loi de finances 2022 livre des données assez pesantes quant à la charge que doit supporter le budget de l’Etat et le rôle qui revient au gouvernement pour mobiliser les ressources nécessaires afin de combler le manque budgétaire. Les dépenses des fonctionnaires ont augmenté de plus de 6,5 milliards de DH, en raison des retards de paiement des promotions et recrutements de 2020/2021, tandis que les dépenses liées à la compensation ont augmenté de 5 milliards et seront sans doute amenées à augmenter davantage avec la hausse des prix du gaz sur les marchés mondiaux. Il en va de même pour les dépenses liées à la généralisation des régimes de la protection sociale avec une hausse d’environ 4,8 milliards de DH. La réalisation d’une partie aussi minime soit-elle des promesses électorales, notamment celles relatives aux secteurs sociaux (santé, enseignement, et renforcement du système de la protection sociale), exige du gouvernement la mobilisation de plus de 2 milliards de DH supplémentaires pour les finances publiques. Se posera alors la question de la programmation de 21 milliards de DH pour le nouveau budget, ainsi que les procédés de mobilisation de ce montant, sans parler de l’amélioration promise des conditions sociales du personnel de l’enseignement et de la santé.

Sur le plan pratique, les grandes lignes de la loi de finance révèlent un indicateur important sur les contraintes dont le gouvernement est visiblement conscient. Cette conscience se traduit dans la fixation à deux ans au lieu d’une année des délais de réalisation de certains chantiers, et le report à 2023 du traitement de certaines mesures sociales, parallèlement à un changement de ton politique et de communication, qui tente désormais de faire le distinguo entre le réalisable et ce qui ne l’est pas.

Cohérence et distance avec les orientations royales

Outre cette leçon pédagogique, le gouvernement Akhannouch doit tenir compte de deux autres enseignements tout aussi importants.

Le premier consiste en la réalisation d’une adéquation subtile entre la vision du Roi et ses instructions avec celle du gouvernement et de son programme. C’est une opération délicate qui doit faire en sorte que le discours du gouvernement soit à la fois en cohérence avec les dispositions constitutionnelles, et suffisamment distant et assumé pour ne pas placer l’Institution monarchique en première ligne. 

Aujourd’hui, M. Akhannouch est investi, par la force de la Constitution, la nomination royale et l’installation gouvernementale, comme chef d’un gouvernement responsable devant le Parlement et le peuple. De telle manière que tout en s’inspirant dans son programme et décisions des orientations royales, le gouvernement reste seul sur la scène et ne peut aucunement se dissimuler derrière le Roi, particulièrement en cas d’échec.

Un discours qui alimenterait la confusion entre le gouvernement et le Roi et tenterait de s’arroger une légitimité en se cachant derrière le Souverain est de nature à entrainer des risques réels, du fait qu’il met le Roi au contact direct du peuple, sans compter qu’il remettrait en cause des concepts majeurs que Sa Majesté Mohammed VI a patiemment forgés dans des discours, comme «l’égalité des partis devant le Roi», et «le Roi au-dessus des partis».

Le soutien conditionnel de l’Autorité

Le troisième enseignement que le cabinet Akhannouch devrait sans tarder assimiler est d’éviter l’erreur de croire que l’Autorité serait constamment à ses côtés, ou que l’approche sécuritaire serait en permanence prête à combler le vide éventuel que créerait un possible échec de gestion. Ce serait, en effet, une erreur de croire que l’Autorité pourrait intervenir constamment pour amener les élites à répondre aux vœux du gouvernement, faire pression sur les hommes d’affaires pour les faire rentrer dans les rangs en vue de les obliger à s’acquitter de leurs impôts, ou encore contraindre les syndicats en vue d’assurer au chef du gouvernement une période de paix sociale de longue durée. L’Autorité ne saurait non plus obliger les partis de la coalition gouvernementale à rester dans leurs positions, ou amener les partis de l’opposition à adoucir leurs critiques ou à surseoir à leur rôle d’opposition, pas plus qu’elle ne peut pousser la presse à changer de ligne éditoriale pour devenir moins indocile ou un peu plus complaisante avec le gouvernement.

Le souci majeur de l’Etat, tout Etat, est d’abord et avant tout la stabilité et, à ce titre, sans soutien est conditionné par l’efficience de l’action gouvernementale. C’est que l’Etat ne saurait sacrifier les prérequis de la stabilité pour arranger tel ou tel gouvernement. Lorsqu’il déploie un certain effort avec ce cabinet, ou n’importe quel autre, pour lui assurer une certaine légitimité, l’Etat tente de l’assister à ses débuts pour lui favoriser une acceptation populaire lui permettant d’entamer son travail avec sérieux. Cette étape franchie, l’Autorité ne peut indéfiniment servir de pompe à légitimité pour quel que gouvernement que ce soit tout au long de son mandat aux dépens de sa propre légitimité, et aux dépens des exigences de la paix sociale. Les processus des remaniements ministériels auxquels le Maroc a cycliquement assisté, renseignent sur le degré d’agacement qui peut atteindre l’Etat en un temps T, l’incitant à intervenir avec force et fermeté, chaque fois que la stabilité est en jeu.

Il a appartient donc au gouvernement d’assimiler ce trois enseignements pour élaborer une nouvelle communication politique susceptible de convaincre une partie du peuple, et de démontrer que l’attelage hommes d’affaires-technocrates et certains politiques, est capable de produire non seulement un discours politique convaincant pour une bonne partie des citoyens, mais aussi qu’il travaille pour l’ensemble des Marocains indépendamment de leurs catégories socio-professionnelles et de leurs appartenances politiques.

 

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